Je n'ai pas connu le premier auquel la République est en train de rendre hommage aux Invalides.
Mais il m'a été donné de rencontrer le second disparu en 2009.
Un homme et un itinéraire non moins impressionnant !
J'ai eu le privilège de lire à l'époque quelques feuillets de son projet de Mémoires qu'il pensait intituler "Agitateur".
Comme par hasard ! De quoi, là aussi, requinquer une jeunesse en mal d'idéaux. Toujours pas publié depuis.
« A mon âge avancé, je conviens que ma vie a été formidable. Pour 90 %, je ne regrette rien! J'ai reçu le don merveilleux d'enrichir mon esprit à toutes les heures de ma vie. Ayant toujours privilégié l'action, souvent plutôt rude, il m'arrive aussi parfois, dieu merci, d'être contemplatif, poète même appréciant les choses simples qui se présentent. Traversant les grands événements de ce siècle (depuis la fin de la guerre 14-18), j'en ai gardé le souvenir. J'ai connu, fréquenté et admiré Trotsky, Léon Blum, Largo Caballero, Mitterrand, Indalecio Prieto, Felipe Gonzalez, Mendès France… J'ai rencontré Clémenceau, Aristide Briand, Malraux, Tito, Togliati, Pietro Nenni…
Outre ces grands personnages, au cours de ces longues années, j'ai bénéficié d'une chance inouïe, il m'est arrivé de lutter auprès de camarades de toutes conditions, magnifiques de conviction, de courage et de désintéressement qui sont devenus des amis très chers, je peux compter sur eux comme ils peuvent compter sur moi en toute circonstance. N'oubliant jamais nos grandes options de jeunesse, notre fidélité ne connaît ni distances ni frontières. De toute mon existence, j'ai eu la grande chance de n'avoir jamais été ni prisonnier, ni déporté, je n'ai pas connu l'humiliation même si j'ai parfois été moralement écrasé par le poids de la défaite, mais je me reprenais vite. Il m'est arrivé, hélas, d'éprouver de la honte pour mon pays.
De grands aventuriers ont croisé mon chemin et même quelque voyou. A condition qu'ils ne transgressent pas les règles de notre propre morale, je les écoutais; ils étaient souvent passionnants et toujours distrayants, les risques qu'ils acceptaient d'encourir me les rendaient sympathiques, préférant de beaucoup leur compagnie à celle des "honnêtes" paroissiens des beaux quartiers. Je suis d'accord avec Disraeli : "La différence entre l'aventurier et le gentleman, c'est que le gentleman obéit aux règles de son club et l'aventurier aux caprices de son cœur." Les personnages atypiques m'ont toujours attiré.
Depuis l'âge de 16 ans, je milite et lutte pour nos valeurs, je suis très fier et un peu triste d'avoir si souvent prévu les événements. (Parfois hélas pour un bien piètre résultat !). Mais je dois reconnaître que la certitude d'avoir eu raison contre les sots, les malfaisants et les bien-pensants de tous bords ("los cavernicolas" comme disent les Espagnols), m'a toujours procuré et me procure encore de superbes jubilations. Débordant d'enthousiasme et d'espoir; nous allions changer le monde. Prêts à toutes les peines et tous les sacrifices. Par tempérament, j'ai toujours préféré ne voir que le bon côté des choses et des gens, tout en gardant une lucidité aiguë. Enfin j'ai heureusement conservé intactes toutes mes facultés d'indignation.
Ma génération s'est violemment battue contre la dureté, l'égoïsme et la bêtise des possédants. Les tout premiers à dénoncer sans cesse le stalinisme et ses crimes, nous avons été aussi les adversaires les plus déterminés du fascisme. De nombreux amis ont laissé leur vie ou leur liberté sur ces deux fronts. Notre devise a toujours été : ne jamais se résigner. Qui n'a pas milité ne peut imaginer la chaleur fraternelle, la solidarité attentive, la joie d'être ensemble qui régnaient dans nos groupes. Nous y passions tout notre temps libre. Souvent même y trouvions nos compagnes.... Nous aidions les défavorisés et l'éducation comme la formation, la culture, le sport tenaient une grande place dans nos activités. Nous étions curieux de tout, toujours disponibles et déterminés. (Nos groupes d'action étaient les TPPS : "Toujours prêts pour servir" !)
Inutile de souligner que notre engagement était totalement désintéressé, de ce côté de la barricade, il n'y avait que de mauvais coups à récolter, sans aucune compensation ni espoir de profit. L'espèce des pseudos militants énarques, soucieux avant tout de leur plan de carrière n'existait pas encore, ni les frétillants attachés de cabinet, l'écuelle en bandoulière... Totalement solidaires, l'amitié était pour nous chose sérieuse, la fidélité se justifiait d'autant plus que nos amis se trouvaient en difficultés, même si parfois certaines de leurs positions pouvaient nous heurter. Pour ceux-là, l'important était qu'ils n'aient pas failli à notre éthique ». (...)
Dominique Lévèque est secrétaire général du PRé.
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