Demain sera un autre jour.
Je ne suis pas du genre à ne parler que de ce qui ne va pas, à me vautrer dans le déclinisme, le complotisme, la victimisation ou la déploration pour tout et n’importe quoi. Mais tout de même, il y a des moments où l'on est abasourdi.
Prenons l’exemple de la réforme du Collège : quelle tristesse, quelle misère !
Ai-je bien entendu ?
Cela me fait "drôle" d'entendre notre ministre de l'éducation nationale vanter aujourd'hui à l'Assemblée nationale la "belle ambition" de René Haby en 1975 avec sa réforme du collège unique : ça correspond à ma deuxième "grève" après celle contre la réforme Fontanet...
Je ne comprends toujours pas tous ces tirs violents, sans semonce, au nom d’une soi-disante lutte contre l’élitisme, en réalité contre la culture et contre la place qu'elle doit occuper dans les cerveaux de nos enfants et des adultes qu'ils seront un jour.
Une place qu'on lui conteste aujourd'hui au nom du pragmatisme qu'impose la mondialisation. Mais quel pragmatisme, au moment où, partout dans le monde, de la Chine aux Etats-Unis, l'accent est mis précisément sur la culture et la diversité de l'éducation, le fameux soft power ?
Le pire dans cette affaire, c’est que ce n’est même pas vraiment une affaire de Najat Vallaud Belkacem ou du Gouvernement actuel tant l'offensive contre les humanités classiques (dont on a oublié qu’elles furent longtemps refusées aux filles !), contre les langues anciennes que sont le latin et le grec est symptomatique ne date pas d’hier. En réalité, cette une agressivité qui rejoint les attaques de plus en plus fréquentes contre la culture dans son ensemble, considérée désormais comme trop discriminante par des bureaucrates virtuoses dans l'art de la démagogie et maquillés en partisans de l'égalité, alors qu'ils en sont les fossoyeurs.
Ma contrariété tient au fait que c’est une agressivité d’Etat reprise à son compte par le Gouvernement qui ne sait nous opposer que le sourire de sa ministre pour tenter de couper court à tout débat, à toute contestation, à toute suggestion de réaménagement du texte portant sur la réforme des collèges.
Mais le pire n’est pas là qui nous noue le cœur et la raison : il illustre fâcheusement la tendance généralisée au renoncement à appréhender et à gérer la complexité du monde comme à assumer nos valeurs humanistes et nos principes républicains.
On renonce à l’essentiel, car outre l’apprentissage des savoirs fondamentaux, aurait-on oublié que l’éducation n’est pas un processus de fabrication, mais l’accompagnement de l’émergence d’un sujet libre ?
Aurait-on oublié que les savoirs scolaires doivent permettre à l’enfant de comprendre le monde dans lequel il vit et, en particulier, de connaître toutes les étapes de la construction progressive de l’humanité : apparition du monde et de l’homme, développement des sociétés de droit, émancipation de l’homme à l’égard des forces de la nature, construction des savoirs par rapport à toutes les formes de superstition, reconnaissance progressive de la dignité de tous les humains, efforts des hommes en faveur de la solidarité et contre toutes les formes de repliement et de dictature. Cette évolution vers plus de liberté et de solidarité, ainsi que la lutte contre tous les obstacles qu’elle a rencontrées, devrait constituer le fil directeur de l’élaboration des programmes scolaires.
Je crois fermement que les apprentissages scolaires doivent aussi permettre à tous les enfants d’apprendre progressivement à distinguer ce qui relève du « savoir » et ce qui relève du « croire », ce qui relève de « la connaissance » de ce qui relève de « l’opinion », ce qui relève de « l’objectivité scientifique » de ce qui relève de la « croyance personnelle ou collective ».
Aurait-on oublié que l’école n’a pas à discréditer ce qui relève des choix personnels, mais à enseigner ce qui vaut pour tous ?
Aurait-on oublié que cette distinction est fondatrice de la laïcité ?
Je ne dirais pas comme Régis Debray que cette réforme des collèges est du « progressisme pour les nuls », car je ne suis pas aussi cruel que lui, je dirais simplement que ça ressemble à s’y méprendre à du régressisme pour tous !
Je dois être un peu "con-con" : je croyais naïvement que les apprentissages scolaires devaient également former l’élève à « penser par lui-même » et à résister à toutes les formes d’emprise des clans, groupes et tribus de toutes sortes. L’adulte devant aider l’enfant et l’adolescent à résister à toutes les « pressions à la norme » et, en particulier, les pressions commerciales des marques.
Personnellement, accrochez-vous, je me suis de surcroît longtemps arrimé à l’idée que les apprentissages scolaires devaient plus généralement, à partir d’un certain niveau, permettre de surcroît le développement de la pensée critique !
Une pensée critique dont on voit bien que c’est aussi ce qui fait le plus défaut dans le monde d’aujourd’hui.
L’offensive actuelle contre le latin-grec de ce point de vue n'est pas la meilleure idée du moment. Mais elle ne date pas hier, tout comme l'affaiblissement de l'enseignement de l'histoire-Géo depuis plus de 13 ans. Quand on sait ce que ces langues prétendument mortes nous apprennent du Monde et de l'histoire des civilisations et nous rappellent toutes ces ressemblances qui existent de part et d'autres de la Méditerranée, que d'aucuns veulent effacer de nos mémoires à coups de violences terroristes, c’est à pleurer .
Et puis surtout, le plus grave, comment peut-on penser une seule seconde que la démocratie puisse se faire par l’abaissement égalitariste ?
Ou qui veut faire l’Ange fait la bête…
Pour moi, ça reste un gâchis et cela me rend triste.
Dominique Lévèque est secrétaire général du PRé.
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