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LES BOBARDS DU BOBO DETRICOTES, par Nathalie Krikorian-Duronsoy

"INCORRECT, Pire que la gauche bobo, la droite bobards", Aymeric Caron (Fayard, 2014)

Les bobards du "bobo" détricotés

Aymeric Caron veut être le chevalier sans peur et sans reproche des dérives fascisantes des médias. Dans un livre qui sent bon (ou mauvais) la revanche.

Portrait en couverture d'Aymeric Caron sur fond noir : longue chevelure grisonnante et barbe de hipster, les petits yeux plissés d'un regard qui voudrait briller d'intelligence sous des sourcils broussailleux, l'auteur autoproclamé "incorrect", selon le titre de son livre, offre l'image d'un héros de Game of Thrones, genre sauveur de l'humanité. Une manière efficace de faire entrer son lecteur dans le vif du sujet : à ma droite, les méchants "réactionnaires xénophobes" et "fachos" (ils sont devenus majoritaires en France) ; à ma gauche, Aymeric le gentil, seul dans la lutte pour "débusquer le mensonge". Ses armes sont "des experts" : "éminents sociologues, démographes, historiens ou statisticiens" triés par lui sur le volet. Que nous disent-ils ?

Ils répètent à l'envi que les discours des méchants sont "truffés de mensonges" : "Ils inventent, interprètent oublient, trafiquent." Le gentil et ses spécialistes ont traqué et identifié l'ennemi : "C'est la droite bobards." Des "réacs néo-cons" et "fachos" qui roulent tous en sous-main pour l'extrême droite. Le gentil, lui, ne dit que la vérité, c'est un "bobo" : se reporter à l'illustration en couverture du livre.

 

"Le bobo" anti-bobards est seul contre tous !

 

La critique binaire de M. Caron est un procédé par lequel il tente de rendre légitimes des amalgames douteux. Renaud Camus, Alain Finkielkraut, Éric Zemmour et Élisabeth Lévy, Ivan Rioufol, qui "se tiennent tous par la barbichette", sont accusés d'être des soutiens actifs du Front national. Les chevènementistes, Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan, Jean-François Copé ou Nicolas Sarkozy sont ceux qui "remuent aujourd'hui les eaux saumâtres de l'idéologie xénophobe". Face à ce terrible complot, "le bobo" anti-bobards est seul contre tous et incompris. Pour preuve, le pauvre Aymeric nous livre in extenso dans son chapitre "Insultes et menaces" plusieurs pages des messages Facebook et des tweets que les téléspectateurs de On n'est pas couché lui envoient - Vous êtes un bobo de gauche déconnecté de la réalité, M. Aymeric Caron" ou "Je t'exploserai bien ta face de pseudo-bobo intello, pauvre merde" -, ce qui, avouons-le, n'est pas très élégant.

 

Tout à son délire victimaire, Aymeric Caron inverse les réalités : il se peint comme le dernier défenseur d'un projet de société qui, pourtant, reçoit depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale l'assentiment général : "En continuant à prôner (...) l'opposition à toute forme de discrimination, sociale ou raciale, je suis devenu politiquement incorrect. Car minoritaire." Il vit dans le mythe d'une "France droitisée", celle que Zeev Sternhell et BHL représentaient jadis antisémite et que Caron voit aujourd'hui islamophobe.

 

Schéma convenu du reductio ad Hitlerum

 

C'est donc sur le terrain idéologique que le résistant aux "fachos" livre bataille. Contre "la pensée réactionnaire et xénophobe", la sienne est inversement progressiste et xénophile. Il voudrait nous prouver qu'"une identité commune (...), c'est la pente vers le totalitarisme". Les méchants majoritaires au cerveau gangréné par des idées réacs pensent "identité nationale" ; lui rêve d'"une France multiraciale qui accueille et respecte les différences".

 

Ce que déplore en fait Aymeric Caron, et nous avec lui, mais qu'il critique selon le ridicule schéma convenu du reductio ad Hitlerum, ce sont les récents succès électoraux du Front national. Sans voir, ironie du sort, qu'ils sont liés à la récupération par Marine Le Pen de la République que la gauche, bobo ou non, lui a abandonnée dès la fin des années 1980 au profit du fameux idéal multiculturaliste dont il se prétend le fervent chevalier.

 

Nathalie Krikorian-Duronsoy est Déléguée générale du PRé, membre du conseil scientifique, philosophe, analyste du discours politique et des idéologies; ancien membre du Laboratoire de "Lexicologie politique" (ENS-Saint Cloud-CNRS).

 

N.B : Cet article a également été publié le Le Point.fr

 

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