Ce débat devrait nous amener à réfléchir un tant soit peu sérieusement à l'essentiel : à la question sociale. Comme à agir et à soutenir en l'espèce toute idée qui garantirait une lisibilité générale du texte, et qui n’enterrerait pas au passage pour longtemps toute velléité de réforme en France (sic !)
Certes, cela n’a échappé à personne, cette loi a souffert de nombreux handicaps.
Il n’est que de voir toute sa préparation qui fut on ne peut plus erratique. Le dossier fut mal emmanché dès le départ, à un point qui ne laisse pas d’interroger : la méthode utilisée, particulièrement calamiteuse, qui priva notamment les partenaires sociaux et singulièrement les syndicats de salariés d’échanges nourris, de concertation sérieuse sur les points essentiels du projet de loi, n’aida pas à la compréhension des motivations du gouvernement. Conjuguée à l'absence totale de pédagogie, ces deux éléments sont sans doute pour beaucoup dans le psychodrame que se joue aujourd'hui.
Troublant, alors même que l’on avait cru que le PS avait fait de la démocratie sociale pendant la campagne présidentielle de 2012, non seulement une voie à approfondir, mais aussi le moyen de toute réforme d’importance.
Alors même que le candidat lui-même, François Hollande, avait assuré le 29 avril 2012 dans une lettre adressé aux dirigeants des cinq Centrales syndicales représentatives : « j’ai fait du dialogue social une priorité majeure de mon projet présidentiel et un pilier de la méthode de gouvernement » ajoutant que « le principe de confiance doit prévaloir non seulement dans les rapports sociaux, mais a fortiori entre la puissance publique et les acteurs de la vie socio-professionnelle ».
Pour quelle raison, cette méthode qui fut pourtant à l’œuvre en 2013 et en 2014 ne le fut-elle pas cette fois-ci ? S’est-il agit d’un simple amateurisme de la part du gouvernement, d’une impréparation flagrante ?
Ce ne me semble pas en la circonstance une explication appropriée tant cela apparait comme un choix assumé. Un parti-pris ?
D’aucuns en attribuent la responsabilité au Premier Ministre qui a paru un moment surtout obsédé par ce qu’il considérait comme une nécessaire clarification entre les deux gauches, entre la gauche dite de gouvernement (encore que celle-ci soit assez bicéphale) et celle dite protestataire (elle-même plus que plurielle), entre la gauche au pouvoir et les autres gauches qui ne se réduisent pas aux seuls « frondeurs » ou à la seule gauche dite « radicale ».
A se demander si le Premier Ministre qui a dû concéder en mars "un manque d'explication" n’aurait pas en définitive aimé prouver que l’on ne peut réformer réellement que dans la douleur et l’adversité (sic !)
D’où sans doute cette impression de brutalité au départ qui l’a conduit à rechigner à toute pédagogie, à toute recherche d’accord en amont, plus que cela : à tout diagnostic partagé.
C’est un secret de polichinelle, Manuel Valls s’est servi de ce qui n’était encore qu’un projet de loi comme d’un étendard pour assurer sa distinction politique, affirmer à tous prix son « social-réformisme » face à une partie du PS qui va jusqu’à lui contester l’étiquette socialiste, quand le Président de la République misait, lui, sur ce projet, dans un ultime coup de poker, pour tenter de reprendre la main, de la même manière, mais avec beaucoup moins de dommages, qu’il a aussi tenté de le faire par la suite au Sommet européen de février dernier, en militant pour plus d’intégration, pour un gouvernement économique de la zone Euro, assortie d’un budget autonome...
Cette "affaire" de loi Travail fut donc décidément et désespérément mal emmanchée. Doublement si l’on songe aussi au fond, par seulement au caractère obèse, illisible et confus de son contenu, qui a autorisé tous les fantasmes, tous les procès d’intention, toutes les oppositions, mais aussi aux énormités de la première mouture du projet de loi (fragmentation du repos hebdomadaire, extension sans avis médical du temps de travail d’adolescents apprentis, barémisation des indemnités prudhommales qui ne se justifiait pas tant le plupart des employeurs respectent la loi et ne risquait que de donner à des patrons indélicats une prime au n’importe quoi.
Enfin, la menace d'un passage en force, comme pour la loi Macron, a contribué à faire monter inutilement la tension.
Au-delà de cet épisode qui ne pousse guère à l'enthousiasme, il reste aux partis politiques, dans un dialogue avec les acteurs sociaux, au législateur, à faire leur part du travail, à travailler des pistes pour repenser précisément les relations du travail, redéfinir les relations de subordination, etc.
Quid par exemple du cas des filiales, des franchisés ou encore des sous-traitants exclusifs où les salariés ne disposent pas ou peu d’armes légales de négociations des conditions de travail ?
Le plus dommageable dans cette "séquence" est de constater que l'on rajoute inutilement de la crispation à de la confusion.
Comme si la cacophonie - pour ne pas parler de "débandade" - que le pays a connue en novembre dernier sur le registre fiscal ne nous avait pas suffisamment vaccinés ! Souvenons-nous tout de même de cette fâcheuse impression d'amateurisme que le gouvernement a livré alors, contraint à de successives volte-face, révélatrices surtout d'une série de dysfonctionnements au sein de l'exécutif et avec l'administration fiscale. Ou comment le gouvernement voulant de manière louable ne pas "brouiller le message" qu'il s'efforçait de diffuser sur la baisse des impôts en est arrivé en quelques jours, à force de reculades sur les impôts locaux des retraités, les dotations aux collectivités, les allocations aux handicapés, etc. à rendre tout message illisible.
Le fait est qu’il convient maintenant sur cette loi Travail de trouver une issue de crise. Et de dépasser le jusqu’au-boutisme de quasiment tous les acteurs du dossier afin de ne pas éreinter moralement plus que de raison les progressistes et le pays lui-même…A commencer par celui de Manuel Valls qui ne cesse de répéter que « ma responsabilité est d’aller jusqu’au bout », mais aussi celui de Philippe Martinez pour qui le retrait du texte semble rester le préalable à toute discussion. Celui de Pierre Gattaz qui n’a cessé d’opposer un ultimatum en répétant de son côté qu’il ne faut surtout pas toucher à l’article 2 de la Loi, sinon « nous demanderions le retrait du projet de Loi ». Comme celui de Laurent Berger qui n’est pas en reste, se crispe et refuse toute idée de possibilité de modification de ce désormais fameux article 2 qui privilégie les accords d’entreprise majoritaires.
Jean-Claude Mailly ciblant la CFDT comme si elle était le seul syndicat soutenant la loi El Khomry dans son entièreté.
Résultat, chacun campe sur ses positions - sur sa posture - et l’on fait croire sans vergogne que le texte va dynamiter le Code du Travail, remettre en cause la durée légale du travail, le salaire minimum ou le CDI. Ou encore qu’il va relancer la croissance !
On peut tester la « flexisécurité » à la danoise, mais il serait déraisonnable de donner le sentiment que l’on axe tout dans ses conditions sur la flexibilité et que l’on oublie la sécurité.
Revenons à l’esprit du projet de loi : responsabiliser tous les acteurs, aussi bien les partenaires sociaux, salariés et entreprises que l’Etat.
Une sortie de crise pourrait consister à améliorer le volet sécurité en dynamisant le compte personnel d’activité (qui aurait sans doute mérité une loi à lui tout seul) destine à sécuriser précisément le parcours professionnel des salariés (en leur permettant donc de conserver leurs droits sociaux : droits à la formation ou au chômage, points pénibilité ; tout au long de leur carrière y compris dans le cas où ils changeraient d’employeur) qui reste aujourd’hui trop embryonnaire. Alors même que le Premier Ministre l’avait pourtant vendu comme étant « la grande réforme sociale du quinquennat ». Certes il faut convaincre le Medef, mais comme le note Pierre Ferracci, dirigeant du cabinet conseil Alpha, spécialisé dans les relations sociales (conseillant notamment les CE dirigés par la CGT et la CFE-CGC), l’Etat pourrait jouer là son rôle de régulateur. Ce CPA ayant été initialement présenté par le Gvt comme la première étape d’une orientation vers la « sécurité sociale professionnelle » chère à la CGT, c’eût été une bonne manière…
Comme à aménager l’article 2 sur « l’inversion de la hiérarchie des normes », qui consacre les accords d’entreprise, sans pour autant contrarier inutilement la CFDT qui s’est très impliquée dans l’écriture même du projet de loi comme dans son explication. Après tout, comme le rappelle avec d’autres, Pierre Ferracci, dans le modèle allemand, souvent brandi comme un exemple, c’est l’accord de branche qui est structurant ! Le sénateur PS de Franche Comté, Martial Bourquin, a du reste proposé un amendement intéressant visant à proposer une régulation par les branches quand il y a du moins-disant social au niveau de l’entreprise. Mais rejeté à quelques 60 voix près.
Il faut en tous les cas sortir de l’ambiguïté du discours du ministère quand il réaffirme sa volonté de consacrer la « primauté » de l’accord d’entreprise, tout en assurant ne pas vouloir accorder la supériorité à tel ou tel niveau de concertation ?!
D'autant que sur la question par exemple du taux de rémunération des heures supplémentaires qui devrait être décidé par accord d'entreprise et plus par accord de branche, on peut légitimement s'interroger. Cela signifie-t-il que le gouvernement compte surtout sur la baisse du coût du travail pour se sortir de la crise ? Cela vaut-il le coup de générer une compétition qui peut vite s'avérer folle sur la baisse de rémunération de ces heures entre entreprises d'un même secteur alors que le FMI lui-même reconnait que la liberté totale des capitaux et les politiques d'austérité ont eu des effets délétères sur nos sociétés (sic !)
L'autre sujet en réalité posé par cette loi Travail, et tous les praticiens, tous les observateurs des relations sociales le savent, c’est qu’il y a en France beaucoup trop de branches : 700 (hors secteur agricole) contre 50 en Allemagne !
Mais qui dit que l’on ne pourrait pas s’orienter vers une diminution significative du nombre de branches en France ? Après tout, on l’a déjà bien fait dans le passé pour les organismes de financement de la formation professionnelle, sujet à très haute sensibilité ?!
Il reste que si l’on veut vraiment privilégier le niveau de l’entreprise, donnons au dialogue social les moyens de s’y développer sans minorer pour autant l’accord majoritaire, en faisant confiance aux syndicats, en encouragement réellement la présence syndicale dans l’entreprise. Toutes mesures qui favoriseraient la syndicalisation et permettraient aux salariés d’être en situation de négocier réellement sans être trop démunis face aux dirigeants et améliorerait le faible taux actuel de syndicalisation en France : 11% (8% dans le privé) contre 17% en Allemagne, encore plus important en Belgique, dans les pays scandinaves ou encore l’Italie (35%).
Car l’autre vraie difficulté, c’est la faiblesse du monde syndical.
Une solution pourrait consister à promouvoir le chèque syndical qui permettrait à chaque salarié de choisir la centrale syndicale de son choix pour le représenter et défendre ses intérêts. Une idée qui devrait rencontrer un écho favorable chez les salariés si l’on songe au succès du Chèque-déjeuner ou du Chèque-vacances…
Il serait dommageable pour ce gouvernement de ne pas se donner les moyens de faire vivre son désir affecté de démocratie sociale, de concrétiser sa volonté affichée pendant la campagne présidentielle de favoriser le dialogue social, d’en faire quasiment l’alpha et l’oméga de toute réforme importante, en se contentant d’un texte toujours pas suffisamment équilibré qui, dans un contexte de morcellement et de faiblesse syndicale en France, risquerait de renvoyer à des salariés désarmés la responsabilité de consentir, sans protection aucune, à la possibilité d’un recul possible de leurs droits (sic !)
Sauf à se contenter d’un texte au demeurant devenu banal, bien loin de la promesse qui avait été faite de faire surgir un droit du travail adapté aux « réalités du XXI ¨siècle »…
A l’évidence, l’article 2 doit être non pas retiré (ce n’est juste plus possible) mais aménagé. Ça vaut la peine pour le gouvernement, sans donner l’impression de tout lâcher, de ménager un vrai échange approfondi sur les points qui font débat d’ici début juillet avec les acteurs concernés pour obtenir un consensus dynamique qui puisse permettre à tous de s’en sortir. Et pour en finir surtout avec cette impression de projets qui arrivent de manière tardive et complétement désordonnée.
Il est encore temps.
Il est surtout étonnant - symptomatique ? - de voir toute cette débauche énergie déployée de part et d'autre à propos d'une loi qui, en vérité, n'a rien d'une grand loi, dont les effets ne se feront sans doute pas sentir avant le quinquennat du successeur du successeur de l'actuel président (sic !)
En dernière analyse, il le serait non moins de voir le gouvernement au nom d'une recherche d'un point de croissance hypothétique sacrifier le peu de crédit politique qui semble lui rester pour une loi travail qui amenuiserait la protection des uns sans rien avancer de tangible pour aider à l'intégration des autres. Au risque de nourrir un peu plus l'exaspération des françaises et de français...
Quoi qu'il en soit et plus généralement, il convient sur ce sujet, comme sur d’autres, d’échanger avec les partenaires sociaux sans exclusive, en développant une relation symétrique avec tous. Et en évitant de créer de la confusion mal perçue par les français.
En n'oubliant pas non plus que la bataille de l'emploi se joue sur trois fronts : syndicats, salaires et licenciements.
En assumant, au niveau de l'exécutif, les décisions à prendre en la matière au lieu de chercher systématiquement à faire peser sur les épaules de la seule CFDT le poids des réformes sociales...
Les partis politiques ont aussi leur rôle à jouer.
Certes, côté PS, cela fait maintenant plusieurs décennies que les choses ne vont plus de soi.
Les écologistes, et singulièrement ceux d’Ecologistes !, la nouvelle formation dirigée par François de Rugy, qui semble vouloir s'inscrire sur une ligne réaliste et d'efficacité, et tous les démocrates, pourraient y aider. Il n’y a aucune fatalité à être malhabile avec les corps intermédiaires. N’affichent-ils pas leur détermination à donner une chance au sursaut des gauches, au dépassement du PS comme à celui des autres appareils politiques, si nécessaire contre le patriotisme désuet des partis qui fleure bon le XX siècle, contre la glissade et la dissémination ?
J’ajouterais : contre la désocialisation, plurielle, des gauches.
On pourrait ajouter au passage qu’il en va de la légitimation d’Ecologistes !, si elle veut sortir du champ groupusculaire, comme de sa monétisation dans le schéma général de reconstruction à gauche et plus généralement dans celui des progressistes.
C’est ainsi, tout en continuant de travailler à la transition énergétique - en accompagnant les territoires et les entreprises sur ce chemin, en donnant à voir les voies possibles d’une amélioration durable de la qualité de vie individuelle et sociale de nos concitoyens fondée sur une empreinte écologique soutenable, en inventant une « planification » à la française sur cet enjeu - et en ne désespérant pas trouver les clés d'une société plus juste et plus solidaire, que l’on se donnera une chance d’y arriver.
Dominique Lévèque est secrétaire général du PRé.
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