La victoire de François Fillon à la primaire de la droite donne à cette dernière une belle occasion de s'affirmer enfin face à une gauche fort diminuée mais toujours influente d'un point de vue intellectuel et moral.
Avec François Fillon, la droite française saura-t-elle offrir une alternative sérieuse, tant à l’option sociale-démocrate n’ayant toujours pas de vrai leader au PS, qu’au national-populisme social et républicain du FN qui représente, ne l’oublions pas, un bon quart de l’électorat français ?
La sur-médiatisation sondagière dont avait bénéficié la candidature d’Alain Juppé, jusqu’au premier tour de cette première primaire de droite, n’aura donc pas permis à ce dernier de l’emporter face au tsunami François Fillon, surgi de nulle part, puisque personne ne l’avait vu arriver.
En politique, les discours sont des actes. Et la France a besoin d’un discours de vérité, de confiance et surtout d’espoir. Le désormais candidat de la droite à la présidentielle lui a offert les trois.
Dans un pays où le sentiment le plus puissant est la peur, François Fillon a aussi montré qu’il ne craignait rien. Ni ce terrorisme d’un genre nouveau, ni les conséquences de la mondialisation d’une économie française terrassée par la crise et la déprime.
La confiance que semble inspirer son volontarisme, autant que sa proposition d’une alternance forte, auront donc pu incarner, dans l’esprit des 66,5% de Français ayant voté pour lui, l’image d’une nouvelle "force tranquille" et déterminée, de droite, cette fois-ci.
Les Français souhaitent une rupture avec un modèle et un monde politique décevant, miné par les affaires de corruption. Beaucoup veulent aussi en terminer avec ces questions sociétales inventées par la gauche, en finir avec ce système des partis, langue de bois et ballet des égos. C’est un leurre car les partis sont essentiels en démocratie. Mais le quinquennat à vau-l'eau de François Hollande a affaibli le régime, comme en témoignent les 15% d’intentions de vote pour Emanuel Macron, candidat à une présidence anti-système, anti-partis.
François Fillon arrivant en tête avec 26% des voix, devant Marine Le Pen à 24%, Manuel Valls et François Hollande stagnant ensemble autour de 9% (1).
L’apport un brin pervers, aux deux tours de cette élection, 15% puis 17%, des électeurs d’une gauche menant campagne depuis près d’un an pour son favori déclaré, Alain Juppé, n’aura servi à rien. 44,2% des Français avaient déjà donné leurs voix à François Fillon au premier tour, belle démonstration de la vitalité de notre démocratie rousseauiste où les citoyens se forgent, par eux-mêmes et jusqu’à l’isoloir, leur propre opinion politique. Je m’étonne qu’on s’en étonne : cette idée géniale de la République, voter en son âme et conscience dure depuis plus de 200 ans !
Notons tout de même que pour un socialiste, un communiste, un amoureux des théories de Trotsky ou de Mao, soutenir un candidat de centre-droit au motif qu’il multiplie les discours d’allégeance à la "Grande Cause Culturelle de la Diversité" démontre combien les socialistes français chérissent, plus que tout, l’hégémonie intellectuelle et morale dont ils bénéficient depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Il faut dire que c’est ce pouvoir idéologique sur les mentalités, cette dé-légitimation de la droite qui a donné à la gauche ses conquêtes politiques en 1981 puis en 2012, alors même que son incapacité à renoncer à "l’horizon communiste au sens large du terme" en fait une malheureuse exception européenne que les Français paient au prix fort aujourd’hui.
C’est sur cette analyse, du reste, qu’Alain Juppé fondait sa victoire.
A la crainte des blocages sociaux et à la peur de la guerre civile, credo et sens profond du désir-projet d’une "identité heureuse", chez Alain Juppé qui s’est trompé, François Fillon a opposé dimanche soir, un double écueil : "La gauche c’est l’échec, l’extrême-droite c’est la faillite". Il a critiqué un système scolaire devenu "crime contre la jeunesse, dont devraient répondre les syndicats devant la société française" et "les programmes d’histoire écrits par des idéologues".
François Fillon a par conséquent eu le courage intellectuel de s’opposer à la domination morale d’une gauche socialiste dont les idées dépassées par l’Histoire ont échoué mais qui n’en demeure pas moins arrogante et sûre d’elle, tant au plan social qu’économique et surtout moral.
Or, la grande question de la gauche, sur la nécessité de délier capitalisme et démocratie, me paraît une idée fausse. Libéralisme économique, politique et culturel sont inséparables dans la démocratie moderne.
On se fera néanmoins une idée de ce présupposé marxiste en lisant l’ouvrage de Marcel Gauchet et Alain Badiou : Que faire (2). Quand de son côté François Fillon a donné dimanche à la question une réponse toute personnelle : "Faire de la France en dix ans, la première nation en Europe". Son offre intellectuelle et politique est en rupture, tant avec la thèse du "saut réformiste" de gauche espéré par Marcel Gauchet qu’avec les vieilles lunes d’Alain Badiou, ce grand serviteur du "structuralisme marxisant". Mais les logiciels, intellectuels et politiques, dominant la pensée et les médias ont encore du mal à décrypter des phrases comme : "Je m’attaque au consensus et au confort du conservatisme" dont le sens caché est, au fond, que le progrès n’est plus à gauche.
(1) Sondage Harris interactive pour Public Sénat et LCP-AN, 27 novembre 2016
(2) Folio, Gallimard 2016
Nathalie Krikorian-Duronsoy, philosophe, analyste du discours politique et des idéologies est membre du conseil scientifique du PRé.
Cet article a également été publié sur Atlantico le 1 er décembre 2016
Écrire commentaire