Décidément, plus on avance dans la campagne présidentielle, plus on décrypte les programmes, notamment sur la question des réformes institutionnelles, de l’Europe et du nécessaire renouveau démocratique, plus on est confronté aux comportements de tel ou tel candidat, ou que l’on envisage ce que pourrait être un second tour mortifère, plus on se dit qu’on est arrivé au bout en effet d’un “système”, en tous les cas que l’on assiste, non pas à une crise de régime, mais à un épuisement pour le moins de notre modèle politico-institutionnel, plus on se dit qu’il est urgent de réinventer notre démocratie.
Plus on analyse les désordres du monde et les dérives dictatoriales de certains dirigeants « démocratiquement élus » (Cf. les “démocratures”), plus on est renforcé dans la certitude que la démocratie n’a décidément vraiment rien d’une donnée « naturelle » des sociétés humaines, ni de quelque chose de complètement inscrit dans les faits, ou d’un mouvement inéluctable, mais reste une construction historique fragile, partielle, lacunaire, toujours inachevée, sans cesse à recommencer et à améliorer, dans un écart entre cet idéal et des réalisations limitées, voire déformées.
On l'avait presque oublié !
Dans cette perspective, la démocratie apparaît finalement pour ce qu’elle est : comme un pari.
Comme une promesse, décrite par Jacques Derrida (in « Spectres de Marx », redécouvert ce week-end à la faveur d’un rangement de livres restés dans mes cartons de déménagement depuis des années !) comme « l’ouverture (d’un) écart entre une promesse infinie et les formes déterminées, nécessaires mais nécessairement inadéquates de ce qui doit se mesurer à cette promesse ». Le pari démocratique se présenterait comme un horizon par rapport auquel on pourrait réduire l’écart sans pouvoir le supprimer. Car on n’atteint jamais un horizon, il nous offre seulement des repères pour avancer. Partant, les institutions démocratiques apparaîtraient tout à la fois « nécessaires », comme inscriptions lacunaires et provisoires d’un idéal démocratique, toujours pour partie déformé par des logiques socio-historiques de domination, et « nécessairement inadéquates », car toujours en deçà de cet idéal démocratique supposant comme un mouvement perpétuel d’amélioration et de conquête.
L’idéal démocratique lui-même n’a rien d’intemporel mais a aussi une histoire, et continue à se redéfinir au cours du temps, à travers des expériences, des luttes, des réflexions et des débats. Cette approche de l’idéal démocratique comme pari et horizon apparaît particulièrement importante au vu de la faiblesse des dispositifs démocratiques actuels dans nos régimes représentatifs professionnalisés. Je me demande si l’enjeu finalement n’est pas de s’efforcer de déplacer (et non pas de dépasser) l’opposition entre la transcendance et la relativité, en maintenant toutefois dans une inspiration, que je pourrais qualifier de proudhonienne, un espace de tensions. Une chose m’apparait personnellement de plus en plus claire, que j’avais presque oubliée ces dernières années : il n’y a pas de garantie définitive à l’aventure humaine, sans pour autant qu’elle ne se dissémine dans une forme de nihilisme postmoderne.
Du coup, je me suis demandé, au vu de ma trajectoire politique, et en regard du confusionnisme idéologique qui infuse depuis des années et détracte toutes les boussoles, à gauche comme à droite, qui j’étais aujourd’hui ?
Et j’en ai conclu, à l’issue d’une introspective serrée, que ça pourrait ressembler à une sorte de social-écologiste républicain, associationniste et ... libertaire (sic !)
Est-ce grave, Docteur ?
Dominique Lévèque est secrétaire général du PRé.
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