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POURQUOI INTERDIRE LE LOBBYISME EN POLITIQUE SERAIT UNE ERREUR, par Pierre Bouchacourt

Le petit monde des affaires publiques se trouve sous les feux de nouvelles dispositions prévues à l'article 25 de la loi Sapin II relative «à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique». Par la loi, les pouvoirs publics ont voulu renforcer la réglementation régissant les relations entre les représentants des pouvoirs publics et ceux défendant les intérêts particuliers de tel ou tel secteur d'activité. Le tout au nom de la «moralisation» de la vie publique. Objectif incontestable s'il en est. Incontestable au point que dégainer, dans cette période, le simple mot de «moralisation» stoppe souvent tout débat et toute discussion. Toute tentative d'en interroger le sens et la méthode vous plaçant d'emblée dans la catégorie des suspects.

 

Une vision simplificatrice de la «moralisation» se contente de frapper d'illégitimité absolue tout contact entre pouvoirs publics et représentants d'intérêts. Elle évite la difficulté propre au politique qui est d'arbitrer entre les intérêts particuliers au nom de l'intérêt général, en faisant semblant de frapper d'opprobre la nécessité pour toute entreprise de faire entendre le contexte dans lequel elle évolue, les défis qu'elle a à relever et les contraintes qui pèsent sur elle. Mais surtout elle est d'une parfaite hypocrisie: on ne peut faire la loi et mettre en place des processus de gestion adaptés qu'en acceptant de discuter avec ceux concernés en premier chef des réalités qui sont les leurs. Sans cela on produit des réglementations hors-sols. On agit rarement avec discernement en cultivant l'ignorance de l'autre et le mépris de son environnement.

 

Quand la morale se fait moralisation, elle quitte l'exigence éthique au profit de la mise en scène d'une vertu.

 

Car quand la morale se fait moralisation, elle quitte l'exigence éthique au profit de la mise en scène d'une vertu, souvent d'autant plus affichée, qu'elle n'est, en fait, pas vraiment exigée par lesdits moralisateurs. Elle sert ainsi davantage de cache-sexe à la difficulté d'apporter des réponses aux défis qui se présentent à elle, qu'elle ne témoigne d'une véritable prise de conscience des équilibres indispensables à trouver entre rôle de l'Etat et développement de l'initiative privée. Le risque est alors qu'il n'y ait plus de limite à la réglementation visant à la garantir. «Qui veut faire l'ange, fait la bête» est une leçon qui vaut pour tous les champs de l'activité humaine.

 

Il est bien évidemment nécessaire de réglementer les relations entre pouvoirs publics et représentants d'intérêts. N'importe quel cabinet de conseil en affaires publiques est persuadé que la reconnaissance de sa profession, de son utilité, passe évidemment par le respect d'une charte éthique, par la contractualisation de méthodes appropriées afin de définir au mieux ce qui relève du dialogue normal, des échanges nécessaires, entre pouvoirs publics et intérêts privés. Il n'est donc non seulement pas hostile à la réglementation de son métier mais même convaincu de sa nécessité. Car, s'agissant des mauvaises pratiques, il en va du lobbying comme de tous les métiers.

 

Si deux mondes aux intérêts pas forcément opposés mais aux objectifs bien différents doivent organiser au mieux leurs relations, cela ne doit néanmoins pas les rendre impossibles. Car à partir du moment où les uns et les autres sont bien au fait que les lobbyistes défendent des intérêts particuliers et la puissance publique est garante de l'intérêt général, les deux ont bien souvent de réels avantages à se croiser. Mieux, il est parfaitement légitime que les entreprises communiquent leur point de vue aux pouvoirs publics quand ces derniers préparent des décisions qui impacteront leurs activités.

 

Si deux mondes aux intérêts pas forcément opposés mais aux objectifs bien différents doivent organiser au mieux leurs relations, cela ne doit néanmoins pas les rendre impossibles.

 

Le bien commun se doit d'être fortement défendu, il est impératif de s'assurer contre les risques de conflits d'intérêts, de préserver le citoyen d'initiatives dangereuses ou destructrices. Mais selon l'expression mise à la mode par notre nouveau Président, «en même temps» on doit éviter le plus possible d'entraver les initiatives de secteurs privés créateurs d'imagination, d'intelligence et de richesse. Il faut également veiller à ce que tous les représentants des secteurs d'activité, marchands ou non, soient en mesure de partager aussi bien leurs inquiétudes que leurs besoins et leurs projets avec la puissance publique.

 

Que ces deux mondes, l'activité privée et la puissance publique, puissent compter, au travers des lobbyistes, de femmes et d'hommes qui, par leurs parcours professionnels, maîtrisent suffisamment les codes des deux parties pour faciliter les échanges est un gage d'efficacité, une condition même pour qu'en tout temps et dans tous les secteurs, les bonnes mesures soient prises en ayant la garantie que le règlement ou la loi ne viennent pas percuter à mauvais escient la libre entreprise.

 

À titre d'exemple il a été extrêmement vertueux lorsque sont arrivés sur le marché les nouveaux services de véhicule de tourisme avec chauffeur, les VTC, que des lobbyistes aient pu accompagner les entrepreneurs promouvant ces nouveaux services auprès du législateur. Ce faisant ils ont permis à celui qui est responsable de la loi d'élaborer un texte en connaissant les enjeux d'une profession appelée à évoluer. Ils ont également accompagné ces nouveaux entrepreneurs pour rendre la présentation de leur projet de nouveaux services conforme à ce qui pouvait être accepté dans le cadre des évolutions des modes de vie de notre société.

 

Partout où le lobbyiste use de son art, pour peu qu'il le fasse dans le respect de règles éthiques, il contribue à une meilleure connaissance par les parties de tous les enjeux d'une évolution.

 

Des exemples comme celui-ci, il y en a à peu près autant que de secteurs d'activité. Partout où le lobbyiste use de son art, pour peu qu'il le fasse dans le respect de règles éthiques claires et partagées, il contribue à une meilleure connaissance par les parties de tous les enjeux d'une évolution réglementaire ou légale. Il joue pleinement son rôle d'intercesseur, étant entendu qu'à la fin la décision revient à celui qui à la charge de l'élaboration de la loi et de la règle.

 

La nouvelle loi entrée en vigueur le 1er juillet accroît les obligations à la fois déclaratives et de reporting des actions des sociétés de conseil et des entreprises sous le contrôle de la Haute autorité de transparence de la vie publique.

 

Est-elle un problème pour les professionnels des affaires publics, les représentants d'intérêts et les entreprises?

 

La réponse est non si la volonté est bel est bien d'offrir un cadre à cette profession mal connue et souvent fantasmée. Les gens imaginent le lobbyiste en grand méchant cynique, expliquant aux parlementaires que le tabac n'est pas dangereux ou qu'il n'y a aucune raison de s'inquiéter des particules fines rejetées par les moteurs diesel, tout cela à la table d'un restaurant luxueux. La réalité est tout autre et si la loi Sapin II (comme les précédentes organisant le métier) doit améliorer la qualité de ces échanges précieux parce qu'on est persuadé de leur utilité pour des prises de décisions éclairées, elle est vertueuse.

 

La transparence accrue de ces relations est une très bonne chose et à ce titre que les élus déclarent vouloir inscrire à leur agenda public leurs rencontres avec les représentants d'intérêt (à l'image de ce qui se fait déjà à Bruxelles) va dans le bon sens. Allez au-delà en exigeant la publicité des positions défendues lors de ces rendez-vous intenterait au droit légitime de chaque entreprise à préserver le secret de ses stratégies et irait donc à l'encontre du secret des affaires.

 

Par contre si le renforcement de la réglementation du lobbying ne devait être qu'un stigmate d'une moralisation généralisée vue comme gage donné face au déficit de confiance de nos concitoyens envers leurs représentants politiques, nous rentrerions dans une spirale dangereuse de suspicion généralisée. Soyons donc exigeants, travaillons à ce que ceux dont le métier est de contribuer à éclairer la décision, facilitent les échanges entre ceux qui font et ceux qui contrôlent. Mais évitons d'accroître encore un climat où chacun regarde son voisin non pas en imaginant qu'il pourrait le tromper mais bien plutôt en se demandant ce qu'il peut lui apporter. C'est ainsi qu'on luttera efficacement pour une confiance retrouvée.

 

Pierre Bouchacourt a travaillé à l'Assemblée nationale et en collectivité avant de choisir le secteur privé, d'abord dans l'immobilier puis dans les affaires publiques. Il est aujourd'hui Directeur associé chez Lysios Public Affairs. Il est membre du conseil scientifique du PRé.

 

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