Le Brexit a donné le ton. On peut le considérer comme une aberration toute britannique, se sentir soulagés et se dire qu’après tout, ils nous nous enquiquinent depuis tellement d’années - pour ne pas dire des siècles ! - que c’est tant pis pour eux, se préoccuper d’éviter la contagion, leur faire payer le prix de leur sortie, tout en essayant de tirer son épingle du jeu au plan économique et financier, par ex en délocalisant sur le continent certaines places fortes, notamment financières…
Sauf que le Brexit est aussi le symptôme d’un mal plus général que les récentes élections en France et en Allemagne ont remis en évidence : le décrochage des peuples par rapport à la construction européenne.
Le niveau atteint par les anti-européens à peu près partout, auxquels s’ajoutent les sceptiques, les déçus, les découragés, les désenchantés, les allergiques ne peut plus être ignoré ou balayé d’un revers de main. Ne croyons pas que le désamour envers l’Europe date d’aujourd’hui avec les difficultés économiques ou l’advenue de la question des « migrants », celles des demandeurs d’asile ou des migrants économiques.
Le pourcentage d’abstention aux élections européennes n’a cessé de monter, jusqu’à se stabiliser autour de 60%. Maastricht est passé à 1 % en dépit du poids de François Mitterrand et du soutien des élites. Le TCE en 2005 a été rejeté à 55% (les Néerlandais avaient voté contre, plus encore que les Français). Ce désamour a en réalité plus de vingt ans.
L’aveuglement de ces élites qui ne veulent jamais se remettre en cause et acceptent de voir dépérir leur lien avec la démocratie est juste assez consternant. Se contenter de condamner le populisme est vain. C’est comme condamner la fièvre. Les peuples ont leurs convulsions parce qu’ils se sentent abandonnés, délaissés, ignorés.
Comme dit Hubert Védrine : « Condamner le populisme sans traiter ses causes n’est pas plus efficace que d’asperger des vampires avec de l’eau bénite. » ! Il faut entendre ce message, en comprendre les causes, le dire clairement et ne pas se contenter de « relancer l’Europe ». Car avant cela, il faut d’abord la clarifier et la repenser. Nous avons besoin d’un plan radical pour re-convaincre les euro-allergiques. Et ne pas se tromper de calendrier. Il faut être lucide : toute « relance du projet européen » doit commencer par une remise à plat des compétences de l’Europe, et ne pas faire l’erreur de commencer à lui confier de nouvelles missions (même dans l’effort louable que celles-ci correspondent enfin aux attentes des citoyens européens) qui risqueraient de réenclencher la machine à espérer et n’être au final qu’illusoire.
J’ai toujours pensé qu’il ne servait à rien de se répandre contre les gens, y compris en France, et les peuples, qui votent mal ou de gémir sur le « souverainisme », le « repli sur soi » des uns et des autres, etc. Tout au contraire, il faut dire qu’on les a entendus, en Grande Bretagne, en France, en Allemagne, comme dans tous ces autres pays d’Europe. Leur dire qu’il n’est pas anomal de vouloir garder son identité, et pas moins légitime de vouloir garder une certaine souveraineté.
Il est surtout temps d’arrêter de faire de la com en se faisant peur avec le retour des années 30 ou le spectre du munichisme. L’enjeu est de créer un choc psychologique positif. Un peu de stratégie ne peut pas nuire en la circonstance.
Ensuite, mon sentiment (qui n’est pas nouveau) est qu’il faut faire une pause dans l’élargissement mais aussi dans l’intégration. Aujourd’hui, c’est d’un bilan et d’une réflexion sérieuse dont nous avons avant tout besoin avant de redéployer les ailes de l’Europe. Suivi d’un message politique explicite.
Une nouvelle conférence de Messine paraîtrait de bon sens. Elle pourrait se tenir avec les seuls gouvernements (sans les institutions européennes) avec comme sujet central : la subsidiarité. Car Il suffit de se plaindre depuis plus de vingt ans de l’excès d’intrusion de la Commission, de cette volonté - vraie et/ou exagérée - qu’on leur prête de tout réglementer dans les moindres détails, qui n’est pas pour rien dans l’allergie et le rejet des peuples à l’égard de l’Europe. Il faut sans doute en revenir à des choses simples et pragmatiques, comme la subsidiarité vue par Jacques Delors qui n’a jamais été vraiment mise en œuvre et arrêter de se laisser engluer dans un océan de normes assez ubuesques au prétexte d’harmonisation dans le marché unique. Il est quand même symptomatique de voir que celles et ceux qui critiquent cette folle machine à normaliser européenne se font traiter « d’anti-européens » quand on ne les caractérise pas « d’attardés » (sic !)
Ensuite, une fois les esprits a minima apaisés – je ne me fais guère d’illusions sur les anti-Européens biologiques, idéologiques tel le FN, ou les euro-hostiles de l’extrême et de l’ultra gauche, mais tous les autres, les simples «sceptiques» ou les « devenus allergiques » - les leaders en Europe redeviendraient plus audibles par les peuples s’ils expliquent qu’ils vont réduire telle ou telle compétence européenne abusive et imposer un changement de méthode, et donc une reconfiguration de la commission. Moins de fonctionnaires européens, plus de comptes à rendre de la part de la Commission. Des décisions fortes. Qu’est-ce qui empêche par ex de refaire un Schengen qui marche en gardant toujours à l’esprit le principe de subsidiarité ?
On ne peut plus continuer de construire l’Europe sur la négation ou l’effacement des nations, comme on le fait, car à l’évidence, cela ne marche pas ! Un peu d’idéalisme n’a certes jamais nui à la construction de belles idées, mais trop et trop exclusivement conduit à coup sûr à l’impuissance et des incompréhensions s’agissant de l’Europe. On ne peut pas blâmer davantage les peuples, y compris les plus ouverts, de ne rien voir de positif à l’idée de leur demander d’abandonner tout ce à quoi ils tiennent ou tout ce en quoi ils s’identifient : leur histoire, leur langue, leurs racines. Surtout si c’est au profit d’une vision purement économique et consumériste et sous couvert de promesses intenables ou non tenues, incapables de lutter efficacement contre le chômage et la pauvreté.
Souvenons-nous le temps où l’on nous parlait « d’Europe sociale », « d’Europe des citoyens », « d’Europe politique », « d’Europe de la défense », etc. On a trop répandu l’idée que « l’Europe » avait réponse à tout, allait s’occuper de tout…
Le niveau européen a une valeur irremplaçable - nous sommes plus forts ensemble - mais il ne peut pas avoir la prétention de tout traiter. Les électeurs européens veulent plus de démocratie proche et identifiable et moins de ces niveaux institutionnels supra-nationaux qui se veulent omnipotents et omniscients.
Il ne suffit plus d’afficher une ambition lamartinienne et de relancer le projet européen.
Il ne s’agit pas de « ré-enchanter l’Europe » (on oublie trop souvent que ses fondements historiques ne sont pas ceux d’un songe, mais d’un raisonnement de l’après-guerre, géopolitique, stratégique, historique, realpolitique. L’Europe n’a pas fait la paix, elle est la fille de la paix et a contribué ensuite à la garantir, ce qui n’est pas pareil).
Il s’agit d’abord recréer de l’adhésion démocratique, il faut une grande idée mobilisatrice, ne pas frapper d’anathème par principe l’attachement national ou le patriotisme, comme si c’était des horreurs, redonner à l’Europe sa vocation de pôle de stabilité dans un monde instable, y compris au plan économique en maîtrisant la mondialisation au lieu de la subir et arrêter d’être cette chose empaquetée parfaite, ce paquet-cadeau pour les marchés américains ou asiatiques. J’ajoute que quelques symboles ne sauraient nuire : J’ai tjrs été étonné que sur nos euros ne figurent aucune des figures de la culture qui pourraient créer du lien européen : de Dante à Hugo, de Périclès à Havel et de Kant à Churchill ou tout ce qu’on veut, il y aurait de quoi pourtant !
Le fédéralisme peut y aider - même si ça n’est pas la question du moment, en tous les cas, ce n’est pas le moment le plus opportun ! - mais un fédéralisme de répartition fondé sur la subsidiarité qui clarifie le rôle de chaque échelon : local, régional, national, européen.
Dominique Lévèque est secrétaire général du PRé.
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