Les récents mouvements sociaux dans les maisons de retraite ont permis d’inscrire dans l’agenda politico-médiatique la question de la condition des aînés. Souvent à partir d’analyses misérabilistes et centrées sur la seule problématique des moyens.Or le sujet est bien plus large : il concerne d’abord notre capacité – ou plutôt notre incapacité – à penser la société de la longévité. Face à la nouvelle donne démographique, il faudra bien choisir entre le déni du vieillir et le désir du bien vieillir. Le premier, idéologiquement dominant, repose sur une culture d’injonctions hygiénistes, sur des représentations sociales très négatives de l’avancée en âge , et sur la conviction partagée par les élites, les médias et une part importante du corps social qu’une société qui prend l’âge forme une malédiction économique, une défaite culturelle, un échec moral. Michel de Certeau, signalait que la technologie devait nous faire oublier la maladie, la faiblesse et la mort [1]. C’est-à-dire les trois adjectifs associés pour beaucoup au vieillissement…
Pour une société accompagnante
Si pour beaucoup, un monde qui prend des rides ouvre à la guerre des générations, à l’inverse, il est possible de penser une société de la longévité solidaire. Elle engage à inventer un nouveau contrat social, oblige à penser les apports de la prévention et favorise l’innovation technologique et sociale en faveur du bien vieillir.
Comment définir le bien vieillir ? S’agit-il de « vieillir longtemps » ou de « vieillir jeune » ? Est-ce d’abord être en forme, plaire, faire jeune ? A l’inverse, bien vieillir ce n’est pas battre des records sportifs, s’affronter avec des plus jeunes, récuser son âge, jongler entre déni et défi, courir après une jeunesse perdue... En tout cas cela ne résume pas pour l’immense majorité des personnes l’intérêt de bénéficier d’une vie plus longue. L’enjeu n’est-il pas de vieillir dans la convivialité, de développer des liens sociaux, de participer à la vie commune, d’être un contemporain ? Bien vieillir serait en premier lieu la capacité à avancer en âge en bonne forme et en acceptant, avec un minimum de recul, les années qui s’ajoutent. La problématique d’une avancée en âge sereine repose sur la capacité à maintenir et développer le plaisir et le sens de vivre, à entretenir un capital social, au sens de Robert Putnam, où il s’agit de la capacité de l’individu à rester en lien avec les autres, avec ses semblables [2]. Bref à se sentir bien dans sa peau, bien avec son âge, bien dans sa relation au monde. Un monde qui se compose de diverses générations. L’enjeu du bien vieillir n’est pas de répondre à une norme imposée par la société jeuniste où le « bon vieux » serait celui qui ne gêne personne, reste jeune, se met en retrait du jeu social. Et ne coûte rien à la société. L’enjeu n’est pas, non plus, de chercher à imposer une autre norme qui soit simplement l’opposé du jeunisme. La démarche vise à répondre aux attentes et besoins évolutifs des personnes en évitant la stigmatisation et en accompagnant un parcours favorable à la poursuite de l’autonomie.
Le bien vieillir doit s’inscrire dans une dynamique, une attitude, une manière de vivre dans l’histoire, tout en préservant, dans la mesure du possible, des capacités physiques et neurologiques favorisant l’autonomie. Dans cette optique, l’habitat est un axe central – et même identitaire – pour les personnes qui avancent en âge. Dans une perspective d’autonomie, le triptyque logement-habitat-environnement participe d’une approche globale. L’habitat adapté évolutif permet à la personne d’avancer en âge sans heurts et en restant, si cela correspond à son souhait et à sa situation, à son domicile, dans un cadre de vie familier et sécurisant. Ici, la démarche contribue à la prévention de la perte d’autonomie et au soutien des liens sociaux.
La notion du bien vieillir repose à la fois sur une appropriation individuelle et sur l’invention d’un récit collectif en faveur de la société de la longévité et de l’intergénération.
Le triptyque logement-habitat-environnement, levier de la prévention
L’habitat participe directement, ici et maintenant, d’une dynamique de prévention et d’allongement de la vie à domicile. Une démarche qui s’appuie sur une approche architecturale favorable à la santé et à la prévention (cloisons modulables, domotique peu intrusive, escaliers pouvant être complétés d’assistance, douche à l’italienne installée...), des services à la carte facilitant la qualité de vie (sécurité, systèmes de confort, offre de téléassistance, moniteurs d’activités physique adaptés…), et des innovations sociales, favorables au développement de liens sociaux, et technologiques, autour en particulier de la domotique de protection et de suivi de santé et de la robotique de service. Les robots peuvent aussi apparaître comme un support, parmi d’autres, de compagnie. Dans cette optique, des systèmes de conciergerie offrant la possibilité de services et d’aides aux petits travaux, contribueraient à la fois à la qualité de vie, à l’autonomie des personnes et au sentiment de sécurité. Et serait créatrice d’emplois, y compris pour les seniors.
Sortir de l’opposition stérile domicile vs. maison de retraite
Plus largement, la prévention par le mode de vie devrait être l’axe structurant de la société de la longévité. Cela concerne en particulier la nutrition et l’activité physique : disposer à proximité, par exemple, d’une salle de sport et d’un accès à des vélos et à des vélos électriques, avec organisation d’un service de réparation intégré.
Dans cette approche, vivre à domicile plus longtemps pose la problématique du « chez soi ». Selon les résultats du Baromètre Fondation Korian pour le bien vieillir/ Ipsos [3], le chez soi se définit d’abord par la possibilité de vivre à son rythme (63%), par la préservation de l’intimité (53%), par la possibilité de communiquer avec d’autres en toute liberté (45%). Vient ensuite le fait de pouvoir pratiquer divers activités (37%) et de disposer d’un espace à soi (36%).
Le « maintien à domicile » participe d’une approche normative portée par la contrainte. Une pensée plus fine est préférable : accompagner, dans un espace adapté et désirable, la personne en fonction de ses choix et de ses possibilités.
L’attente des personnes c’est de vivre là où elles se sentent le mieux, où elles sont bien accompagnées et en ayant un chez soi. L’enjeu est donc d’accompagner la vie sociale des plus âgés tout en préservant leur autonomie et leur liberté. C’est de proposer un environnement et un accompagnement adaptés, visant à soutenir et renforcer les potentialités de la personne âgée. Cela peut se dérouler au domicile habituel, dans un établissement collectif, médicalisé ou non. Rappelons aussi que pour certaines personnes en forte perte d’autonomie et isolées, la vie à domicile peut se révéler plus onéreuse que d’habiter dans un lieu collectif et être moins protectrice en termes d’intimité.
Ne parlons plus, donc, de maintien, mais de soutien. Une politique de l’âge est à repenser. Son principe devrait être de développer une approche, des pratiques et des attitudes en faveur de la préservation de l’autonomie des personnes, de leurs potentialités, de leur droit de prendre des risques et du plaisir à vivre.
Serge Guérin est sociologue. Il est membre du conseil scientifique du PRé.
[1] Michel de Certeau, L’Invention du quotidien, Gallimard, folio, 1990.
[2] Robert D. Putnam, “Bowling alone. America’s Declining social Capital”, Journal of Democraty, 1995.
[3] Baromètre Ipsos/Fondation Korian pour le Bien vieillir, février 2017.
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