Dès l’origine du projet européen, l’idée qu’il ne suffisait pas de mobiliser les gouvernements, mais qu’il fallait également impliquer les forces vives de la société était présente. Elle aboutit à la constitution d’une instance consultative, composée à égalité de représentants des entreprises, des travailleurs et des membres représentatifs des intérêts publics, notamment le secteur associatif. Comme le déclarait Walter Hallstein, premier président de la Commission européenne, "vous faites connaître à la Commission, l’expérience, le point de vue technique et les soucis de la population des six pays du marché commun". Créé le 25 mars 1957 par le traité de Rome, le Comité économique et social européen tint sa première réunion le 19 mai 1958.
"Des arrangements qui marchent"
Composé actuellement de 350 membres, répartis à égalité entre les trois groupes d’intérêt, le Comité économique et social européen (CESE) a pour fonction de fournir des avis sur la plupart des grandes politiques publiques européennes. Son premier président, le Belge Roger de Staercke, déclarait que son rôle était de "trouver des arrangements qui marchent".
Dès le début, le CESE instaure ses modalités de travail autour d’une philosophie toujours à l’œuvre soixante ans après ; celle de la recherche du consensus. Au-delà des appartenances sectorielles ou nationales, l’objectif est d’aboutir à un avis final dans lequel chacun puisse se reconnaître. Cet avis, rédigé par un rapporteur, est issu d’un groupe de travail représentatif des intérêts en présence, il est ensuite discuté, souvent amendé en réunion au sein d’une des sections du CESE, avant d’être présenté et voté en séance plénière. L’avis final ambitionne d’être une synthèse d’opinions, souvent initialement contradictoires. La culture interne est marquée par un dialogue permanent afin de trouver les espaces de compromis permettant le plus large accord. Contrairement aux assemblées parlementaires, il ne s’agit pas d'"arracher" un vote d’au moins 50% des voix, mais d’aboutir au plus large consensus parmi l’extraordinaire diversité des intérêts en présence.
Dans les années 1970, le CESE obtînt le droit d’initiative, c’est-à-dire la capacité à émettre de sa seule initiative des avis sur toute question relative aux activités de la Commission européenne.
Les années 1980 sont marquées par la présidence de la Commission par Jacques Delors et l’accent sur les problématiques sociales. A sa demande, le Comité rédigea la "Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux". Celle-ci marque un tournant d’une Europe désormais composée de douze Etats où prédominent les visées économiques pour s’ouvrir à l’édification d’une Europe sociale.
En 1999, le CESE qui a vu élargir son champ de consultation par le traité de Maastricht, signé en 1992, organise la première convention de la société civile créée au niveau européen. L’objectif était de lancer un vaste débat avec l’ensemble des organisations représentatives de la société civile. C’est à cette occasion qu’est apparue la notion de société civile organisée, désormais largement répandue.
"Votre Europe, votre avis"
Les années 2000 marquent la pleine reconnaissance du CESE, notamment en 2007, par le traité de Lisbonne. Le mandat des membres passe de quatre à cinq ans, sa composition devient davantage représentative de la diversité des intérêts européens, et son champ de consultations obligatoires s’étend désormais à 28 domaines d’activités.
En 2010, le CESE organise la première opération "Votre Europe, votre avis" permettant à des jeunes provenant de différents établissements scolaires des Etats membres de venir débattre de l’Europe et d’apprendre à travailler ensemble. Deux années plus tard, le Comité lance la journée de l’initiative citoyenne européenne pour servir de lieu d’échanges autour de ce nouveau droit reconnu par le traité de Lisbonne et permettant aux citoyens d’influer directement sur le processus décisionnel européen, dès lors qu’ils recueillent un million de signatures.
Pour ne citer qu’un seul exemple d’un avis récent, le Comité a voté le 17 octobre 2013 un avis sur la lutte contre l’obsolescence programmée. Cet avis est hautement significatif. D’abord, parce qu’il est le premier texte européen à se saisir du sujet. Ensuite parce qu’il est le symbole d’une Europe proche des citoyens, puisque chaque consommateur a eu l’occasion d’acheter un produit et de s’apercevoir ensuite que celui-ci était difficilement réparable ou à des conditions très onéreuses. Enfin, parce qu’il illustre parfaitement la recherche du consensus, cet avis qui déboucha ensuite sur une résolution du Parlement européen, fut en effet voté à la quasi-unanimité (une seule voix contre).
Quel avenir ?
60 années après sa création, quel avenir pour le CESE ? En premier lieu, à l’heure de l’hyper fragmentation de nos sociétés, le Comité économique et social européen constitue le seul lieu d’échanges réunissant la plupart des grands centres d’intérêt. L’existence d’un lieu de dialogue entre la quasi-totalité des composantes de la société civile s’avère aujourd’hui et plus que jamais nécessaire. A l’heure du constat du rôle moteur de la société civile et des perspectives de redynamisation européenne par des consultations citoyennes, le CESE a clairement un rôle incontournable.
Ensuite, le principe même du travail au sein du Comité fait de celui-ci un lieu spécifique au cœur des politiques publiques européennes. Il ne s’agit pas de convaincre ses pairs de la justesse de nos vues, ni a fortiori d’imposer un texte, il s’agit, par une démarche progressive, d’aboutir au plus large consensus possible. Le fait que sur des textes aussi essentiels que le problème des migrants, des travailleurs détachés, de la relance économique de l’Union, des modalités de la transition écologique, l’ensemble des entreprises, grandes ou petites, des salariés, des représentants des consommateurs ou des ONG de défense de l’environnement puissent se mettre d’accord sur un texte, permet ensuite d’influer durablement sur les décisions de la Commission ou du Conseil de l’Union européenne. Certes, reconnaissons-le, tous les avis ne sont pas d’égale qualité, et la centaine d’avis promulgués en moyenne chaque année, n’aura pas toujours la même capacité d’influence.
Le CESE devra affronter certains défis, comme celui de la multiplicité d’organes consultatifs spécifiques à chaque institution. Le mirage d’une démocratie participative purement digitale est également fortement répandu chez de nombreux décideurs. La croyance en une consultation qui s’exercerait à l’égard du plus grand nombre d’internautes et sur un support totalement virtuel fournit l’attrait du nombre et l’illusion d’une post modernité démocratique. Au CESE, les membres savent que c’est essentiellement par le dialogue civil permanent et dans une relation réelle que l’échange se réalise de la manière la plus constructive.
Thierry Libaert est professeur des universités et conseiller au Comité économique et social européen, point de contact de la délégation française. Il est
également au conseil des membres du PRé.
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