La laïcité fait toujours débat.
Et l’Afrique de demain a encore bien des ambiguïtés à gérer sur cette question.
Entre la volonté d’émancipation des pressions religieuses et les revendications culturelles, la laïcité doit désormais trouver sa voie sur le continent.
Elle a déjà sauvé plusieurs pays de la tendance du tout religieux ; il lui reste maintenant à transcender le clientélisme politique.
Le développement socio-économique du continent, ne pourra en tout cas pas faire l’économie d’une clarification constitutionnelle de la place du temporel et du spirituel. Même circonscrit au seul cercle intellectuel, la laïcité déchaîne des passions et embarrasse autant qu’elle sert.
Cet héritage colonial « verrouillé » dans plusieurs constitutions des pays d’Afrique francophone est pourtant assez méconnu des citoyens.
Rares sont ceux qui connaissent la réalité qu’elle recouvre. Contrairement à la France, ce principe n’a pas de réalité historique sur le continent. Son application stricte est donc sujette à caution.
Plusieurs constitutions africaines de pays francophones sont basées sur le modèle français de 1958. La laïcité y figure en bonne place.
Elle se trouve dès le préambule de la Constitution du Mali ou dans celle de la troisième République ivoirienne, plus d’un demi-siècle après les indépendances, qui consacrent l’engagement « à défendre (…) la laïcité de l’État ».
Cependant, ses contours restent flous. Le Bénin est un État Laïc (article 2) le président élu prête pourtant serment en évoquant : « Dieu, les Mânes des Ancêtres » (article 53). Contraint par la cour Constitutionnelle en 1996, le président Mathieu Kérékou a été obligé de prêter à nouveau son serment d’investiture, pour avoir délibérément omis, prétendant sa foi, le membre de phrase « les Mânes des Ancêtres ».
Ainsi, l’application de la laïcité dans les faits dépend de la réalité de chaque pays, de son histoire et sa politique. À l’instar du Bénin, se pose pour les autres pays africains la question de savoir ce qui a motivé l’inscription de la laïcité dans la Constitution. Un copier-coller de la Constitution française de 1958 sans tenir compte des réalités historiques et culturelles ou une volonté de se départir des cultes vaudoun, islamique, chrétien ?
Léopold Sédar Senghor, alors président de la République du Sénégal, disait à ce propos : « Notre État est laïc, il n’y a pas de religion d’État, mais nous coopérons avec les communautés religieuses ». Cette coopération dont les frontières ne sont pas si étanches pousse la société civile, constituée au gré des réalités du moment, à interférer dans le fonctionnement de l’État.
LA PENSÉE LAÏQUE N’A JAMAIS EU D’ÉCHO DANS LE QUOTIDIEN DES AFRICAINS
Les conférences nationales des années 1990 ont été présidées par des éminences catholiques : Mgr Isidore de Souza (Bénin), Mgr Philippe Kpodzro (Gabon). Le cas le plus marquant a été celui de la RDC (ex-Zaïre) où il a fallu la pression du Vatican pour que la conférence reprenne après sa suspension par le président Mobutu. Plus récemment en Tunisie, l’article 6 de la Constitution « garantit la liberté de conscience et de croyance », mais pour la journaliste Monia Ben Hamadi, par exemple, « cette Constitution ne garantit rien ».
Les valeurs, la tradition, les religions structurent une nouvelle pensée qui veut faire table rase des « inséminations colonialistes ». La pensée laïque n’a jamais eu d’écho dans le quotidien des Africains. Le panthéon vaudoun regroupe plusieurs divinités. Dans la même famille cohabitent les fidèles de religions différentes et personne n’est indigné de voir un homme politique dans une mosquée et le jour suivant dans une église.
Des hommes politiques font allégeance à Dieu. Les gouvernements des pays maraboutiques et musulmans comme le Mali ou le Sénégal composent avec les puissances religieuses endogènes. Régulièrement, la Constitution est mise à mal ; les lois coutumières et religieuses sont invoquées pour remettre en cause le principe de laïcité tant invoquée. Il faudra bien trancher un jour.
Augustin Codja, spécialiste des
politiques et du management du développement africain est enseignant en management des organisations, journaliste sur Cdirect Télévision (première chaine
congolaise de France. "La télévision de deux Congo"), responsable de l'emission
"DÉCRYPTAGE"
Écrire commentaire