Face au mouvement des « gilets jaunes », les bons esprits crient au ramassis d’électeurs d’extrême-droite, ceux qui espèrent convaincre de la réalité de cette situation pour mieux en déconsidérer les acteurs, démontrent, chiffres à l’appui, à l’image d’un Axel Kahn, que les plus gros viviers de gilets jaunes correspondent aux zones ou le taux d’électeurs du front national est le plus fort.
Eh bien ! oui, il y a certainement là une corrélation car la misère, le sentiment d’abandon, les difficultés quotidiennes sont rarement un terreau fertile à la confiance dans l’avenir et le progrès.
Mais à qui la faute en définitive ? Va-t-on une fois encore, une fois de trop, dénoncer « ces salauds de pauvres » qui votent mal ? Va-t-on une fois encore, une fois de trop, dénoncer ces racistes, ces fachos ? Et ceux qui défendent ou du moins comprennent aujourd’hui le mouvement des « Gilet jaunes » seront-ils eux aussi condamnés par les mêmes qui expliquent depuis si longtemps que tout cela « fait le jeu du front national » ?
Depuis que je milite, nous avons droit à ce discours lénifiant. Ces dénonciations, ces appels « aux barrages républicains », cette espérance dite en une Europe qui protège de la guerre…
Tout cela a-t-il empêché la désespérance, puis la défiance d’un peuple qui majoritairement ne vote plus ? Un peuple qui, de l’apathie dans laquelle il était peu à peu tombé, est en train de se lever pour dire stop ?
Eh bien ! non, car durant ces trente dernières années, nos dirigeants, droite et gauche confondues, ont trop souvent cédé aux sirènes de la rationalisation, de la « modernisation », d’une mondialisation forcément juste ou qui le deviendrait à terme, quasiment par miracle.
Ce faisant, ils n’ont pas vu tous ceux qui sur le terrain, devenaient des laissés pour compte et ont longtemps nié le retour des inégalités et leur accroissement au cœur même des pays que l’on croyait développés, au cœur même de l’Europe.
Aveuglés par un monde global ou la richesse semblait de mieux en mieux partagée, ou le progrès profitaient à plus de monde, ils n’ont pas voulu voir les failles qui apparaissaient ici.
Pendant qu’en Chine et ailleurs des hommes et des femmes accédaient à un confort inconnu jusqu’alors (accentuant parfois la coupure entre des agglomérations ultra moderne et des campagnes reléguées), les vieilles démocraties, elles, qui avaient su offrir depuis longtemps, éducation, protection, prospérité économique au plus grand nombre, n’ont pas voulu voir que cette globalisation se faisait sur le dos de leurs concitoyens, de leur fameuse classe moyenne qui aujourd’hui est en train de dépérir.
Dans le même temps, faute d’une stratégie industrielle, ils ont laissé des territoires entiers s’appauvrir. Pire, aveuglés par les nouvelles théories d’aménagement du territoire de « métropolisation » largement favorisées par une décentralisation mal contrôlée, nos dirigeants, non contents de ne pas protéger notre souveraineté économique, ont largement accéléré la précarisation puis la paupérisation de tout un maillage de petites villes et bourgs qui ont vu leurs administrations disparaître en même temps que leurs usines. Curieux que la centralisation qui savait accorder de l’attention au développement des territoires via le plan se soit révélé plus performante en la matière qu’une décentralisation qui a tellement favorisé les baronnies que l’on parle de rétablir l’octroi, cet impôt que l’on payait au Moyen-Âge pour entrer dans les villes.
Alors certes, nous sommes collectivement face un réel problème de gestion durable de nos ressources naturelles, mais au lieu de s’attaquer aux vrais pollueurs qui eux ne payent pas le vrai coût du carburant ou de l’énergie (camions, transport aériens, industrie), ce gouvernement tombe une fois encore sur des citoyens en souffrance pour en faire des gueux pollueurs qu’il faut à nouveau pénaliser, en taxant leur essence ou leur gaz domestique pendant que le kérosène des avions utilisés quotidiennement par les plus riches reste détaxé.
Les mêmes « pollueurs » que l’on a encouragé pourtant à coup de primes gouvernementales, à céder leurs vieilles autos essence pour des diesels, contribuant au passage au soutien de l’industrie automobile…
Alors oui, les « Gilets jaunes » ne se recrutent pas parmi celles et ceux qui s’en sortent, ceux qui ont une place au soleil. Ceux qui donnent des leçons sur la nécessité d’accueillir des réfugiés ou de préserver la planète… Les « Gilets jaunes » eux, ont pris l’habitude de ne pas être vus, ils sont comme eux aussi, touchés par les misères du monde et par la fonte de la calotte glacière mais ils ont des soucis plus immédiats. Ils veulent pouvoir vivre décemment, offrir à leurs enfants une vie meilleure, un cadeau pour Noël. Ils voudraient pouvoir compter les jours du mois autrement que simplement en les divisant par les maigres revenus mensuels qui sont les leurs. Ils voudraient juste avoir l’espoir que demain ne sera pas pire qu’aujourd’hui.
Alors, plutôt que de continuer à dénoncer ces « salauds de pauvres » qui n’y comprennent rien, à se moquer de façon condescendante de ces pauvres gens qui se battent pour le prix de l’essence alors que la planète brûle, il est plus que temps d’arrêter de tourner la tête en pensant que comme d’habitude, ça va passer. Qu’une fois encore, le peuple va s’y faire…
Ce qui se passe partout dans le monde nous montre qu’à force de mépris, d’indifférence, le peuple se rebiffe et que c’est rarement beau. Que ça donne des Orban, des Salvini et autres Erdogan…
Alors, si les vieilles démocraties reprenaient le flambeau du progrès social qui est leur identité ? Renouaient les liens distendus avec sa population, montraient que ce qui intéressaient leurs dirigeants sont les préoccupations de leur peuple, ses difficultés mais aussi la force collective qu’il représente ?
Les « Gilets jaunes » veulent être vus, ils veulent sentir qu’ils existent aux yeux des dirigeants de leurs pays ! Alors ils enfilent un gilet fluo !
C’est donc le moment d’entendre cette colère, d’en finir avec la dénonciation des fachos et autres ultra droite…
Il y a depuis des années, des opportunistes anarchistes, d’extrême droite, d’extrême gauche qui cassent et s’adonnent à la violence… Punissons les mais ce ne sont pas eux les « gilets jaunes ». Les « gilets jaunes », ceux qui sur le tableau de bord de leur voiture arborent le fameux gilet, eux, n’attendent qu’une chose : ne plus être transparents.
En responsabilité, nos gouvernants doivent entendre et répondre à ces souffrances quotidiennes. Sans quoi, le prochain Salvini sera français.
Pierre Bouchacourt est un expert en aménagement du territoire, commerce et distribution, économie sociale, industries de santé, logement, parlement et collectivités territoriales, sécurité. Directeur associé du cabinet Lysios Public Affairs.
Militant dans diverses associations antiracistes, laïques et républicaines, Pierre Bouchacourt est membre du conseil scientifique du PRé.
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@RenucciF (mardi, 27 novembre 2018 09:21)
Qu’est ce que c’est Le PRé ?