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A LA RECHERCHE D’UNE EUROPE EUROPEENNE ET DE L’ENVIRONNEMENT, par Dominique Lévèque

 

Dans un monde assez chaotique, l’Europe apparaît mal armée, aussi bien au plan politique et économique que moral, pour trouver les ressorts nécessaires à son renouveau, pour lutter efficacement contre les ambitions impériales américaines ou chinoises qui ignorent toute réciprocité, pour rebâtir et assumer une nécessaire autonomie stratégique et susciter l’adhésion des peuples qui, à force de tarder, risque de manquer.

Il ne suffira pas, lors des prochaines élections européennes de pointer du doigt le «populisme» comme on le ferait d’un virus extérieur, ou de stigmatiser une idée « nauséabonde », pour trouver les clefs d’un sauvetage et d’un nouveau développement.

 

Soyons lucides, la question qui se pose à l’Europe est surtout celle d'un décrochage des classes populaires, puis aujourd’hui des classes moyennes, par rapport à la mondialisation et au processus d'intégration européenne aux normes de cette mondialisation poursuivie à marche forcée par les dirigeants politiques, alors même que les peuples ne cachaient plus leurs réticences.

 

Pour espérer trouver ces ressorts, l’urgence pour l’Europe et les dirigeants européens est de commencer par se dégager de la mystification de la « mondialisation heureuse », se défaire de leurs chimères, de leurs illusions, comme de se départir de leurs gémissements permanents. Et dans le même temps d’agir. Ils pourraient tirer quelques enseignements d’un pays comme le Portugal qui démontre, depuis près de deux ans, qu'une politique qui tourne le dos aux injonctions austéritaires, basée sur une relance par la demande, l'amélioration des protections sociales et la relocalisation d'industries orientées à l'export telles que l'automobile, les chaussures ou encore le textile, peut fonctionner.

 

Ce que nous pressentions avec le cas de la Grèce lorsque le FMI lui-même avait fini par concéder en 2016 en annonçant que "l'austérité ne fonctionnait pas". Il pourrait être une piste intéressante de redressement à étudier, "par le haut", des Etats de la zone euro encore affectés par la crise. D’aucuns avancent aussi le « modèle » social-démocrate suédois qui a ses qualités en termes de progrès économique et social, souvent mis en exergue, mais qui semble plus aléatoire à transposer. D’abord parce la Suède n'est pas dans la zone euro, possède depuis longtemps l'un des niveaux de vie les plus élevés du monde, et a un taux de syndicalisation à 80% qui impacte directement sur la qualité de relations sociales dans le pays. Il reste qu’on aurait été bien inspiré de les suivre au moins sur un point, en ne mettant pas en place une taxe carbone dont l’annonce a été vécue comme brutale, isolée, hors de toute réforme fiscale globale cohérente, et surtout perçue comme possiblement détournée en « vache à lait » pour le budget général.

 

L’EUROPE EN PROIE A L’ENCLOSURE

 

C’est vrai que l’adhésion des peuples reste à trouver. Le passif avec l’UE n’est pas moyen. Le «non» à la Constitution européenne en mai 2005 et le traité simplifié finalement proposé auront eu des conséquences lourdes dont on mesure encore aujourd’hui les effets dévastateurs. C’est depuis lors l’Europe a minima, l’Europe réduite aux acquêts. Plus aucun responsable politique, à l’exception peut-être d’Emmanuel Macron à l’occasion de son discours à la Sorbonne, n’œuvre à faire désirer l’Europe, plus personne ne s’interroge sur l’Europe que veulent les Européens, plus personne ne s’inquiète de ce qui pourrait les unir réellement et les rassembler autour d’un projet commun à réinventer et d’une identité commune à faire partager. Cette crise de vision se double aussi depuis 10 ans de ce qu’il faut bien appeler une crise identitaire. L’Europe s’est construite pour bâtir une paix sur un continent où le sang avait beaucoup coulé. Mais on voit bien que l’Histoire n’est jamais finie et que le virus de l’autodestruction peut réapparaître à tout moment. Trop de dirigeants politiques jouent avec légèreté et irresponsabilité des identités nationales comme pour les opposer à une « identité européenne » qui n’existe en vérité pas (encore). C’est absurde, toutes étant nées dans le creuset de la civilisation grécolatine, toutes ont été nourries ensuite par la tradition judéo-chrétienne. Faut-il rappeler que marquée par la culture gréco-latine, l’Europe est devenue, également, au fil des siècles, la « patrie » des arts, de la musique, de la peinture, de la littérature ? Les contributions nationales se sont agrégées et fécondées les unes les autres. Tant et si bien que des Descartes, Pascal, Mozart, Shakespeare, Casanova, Léonard de Vinci, Victor Hugo, Van Gogh, Picasso, Bach ou Ravel sont européens avant d’appartenir à telle ou telle nation. Des mouvements aussi puissants que la Renaissance italienne ou les Lumières ont conduit à intégrer tous ces savoirs pour produire une culture universelle. Cette universalité est la trame de l’histoire européenne et de ce qu’on appelle (sans doute abusivement) la culture occidentale. L’Europe, c’est aussi la science. C’est sur ce «vieux» continent que sont nées la mécanique quantique, la théorie de la relativité, la biologie moléculaire, la chimie moderne, la géologie. Comment peut-on penser que l’Europe ne puisse être un compromis dynamique qui respecte les diversités autour d’un patrimoine de valeurs communes ? Lui serait-il si compliqué d’obéir à la même alchimie qui a fabriqué les nations ? Des exemples sont là qui montrent la route à suivre : L’harmonisation des diplômes européens a été un succès parce qu’elle a respecté la diversité tout en contribuant à une identité. Les programmes d’échanges d’étudiants (Erasmus) font sans doute beaucoup plus pour l’Europe que bien des directives de la Commission de Bruxelles. Qui aura le courage de remettre le rêve européen sur la forge pour le refaçonner ?

 

Mais pour passer de l’Europe de l’économie à une Europe des peuples et des cœurs, il faut pouvoir agir et en passer par une Europe politique. Quitte dans un premier temps, tant que les règles de fonctionnement ne seront changées, à rassembler par cercles concentriques, par communauté de projets autour des pays fondateurs et de tel ou tel autre pays. Le chemin sera long. Les prochaines élections européennes pourraient être l’occasion de stopper le mouvement des enclosures qui est à l’œuvre dans nombre de pays. Ce serait, sinon une régression, un retour en arrière. Comme si la mutation du système agraire qui s’est produit en Angleterre au XVI et XVIIe siècle pouvait être aujourd’hui un modèle politique ?! Les replis, les divisions, les enclos ne sont pas à la hauteur des enjeux. Ils illustrent juste que l’Europe est en proie au ressentiment. Les peuples ne sont pas des ovins manipulables, déplaçables par les autocrates, eussent-ils accédé au pouvoir démocratiquement, les nouveaux grands propriétaires. L’Europe doit s’attacher à convaincre les peuples que l’idée d’un Etat enclos tendant à faire reculer les droits d'usage au profit du droit de propriété, incitant à enclore de nouvelles parcelles territoriales (quand ce n’est pas à en récupérer d’anciennes, agis par la nostalgie des temps glorieux) y compris de leur patrimoine culturel, est sans issue. Sauf à générer de nouveaux conflits, de nouvelles guerres.

 

CLARIFIER ET REPENSER L’EUROPE AVANT DE LA « RELANCER »

 

Le Brexit a donné le ton, qui est aussi le symptôme d’un mal plus général, que les élections en France, en 2017 et en Allemagne, ont remis en évidence : le décrochage des peuples par rapport à la construction européenne. Le niveau atteint par les anti-européens à peu près partout, auxquels s’ajoutent les sceptiques, les déçus, les découragés, les désenchantés, les allergiques, ne peut plus être ignoré ou balayé d’un revers de main. Une erreur serait de croire que le désamour envers l’Europe date d’aujourd’hui avec les difficultés économiques ou l’advenue de la question des « migrants », celle des demandeurs d’asile ou des migrants économiques. Le pourcentage d’abstention aux élections européennes n’a cessé de monter, jusqu’à se stabiliser autour de 60%. Maastricht est passé à 1 % en dépit du poids de François Mitterrand et du soutien des élites. Le Traité constitutionnel européen (TCE) en 2005 a été rejeté à 55% (les Néerlandais avaient voté contre, plus encore que les Français). Ce désamour a en réalité plus de vingt ans. L’aveuglement de ces élites qui ont souvent des difficultés à se remettre en cause et acceptent de voir dépérir leur lien avec la démocratie est juste assez consternant. Se contenter de condamner le populisme est vain. C’est comme condamner la fièvre. Disons les choses : les peuples ont leurs convulsions parce qu’ils se sentent abandonnés, délaissés, ignorés. Comme dit Hubert Védrine: « Condamner le populisme sans traiter ses causes n’est pas plus efficace que d’asperger des vampires avec de l’eau bénite. » ! Il faut donc entendre ce message, en comprendre les causes, le dire clairement et ne pas se contenter de « relancer l’Europe ». Car avant cela, il faut d’abord la clarifier et la repenser. Nous avons besoin d’un plan radical pour re-convaincre les euro-allergiques. Et ne pas se tromper de calendrier. Il faut être lucide : toute « relance du projet européen » doit commencer par une remise à plat des compétences de l’Europe, et ne pas faire l’erreur de commencer à lui confier de nouvelles missions (même dans l’effort louable que celles-ci correspondent enfin aux attentes des citoyens européens) qui risqueraient de réenclencher la machine à illusions. Il ne sert à rien de se répandre contre les peuples, qui votent mal ou de gémir sur le « souverainisme », le « repli sur soi » des uns et des autres, etc. Tout au contraire, il faut dire qu’on les a entendus, au Royaume Uni, en France, en Allemagne, comme dans tous ces autres pays d’Europe. Leur dire qu’il n’est pas anomal de vouloir garder son identité, et pas moins légitime de vouloir garder une certaine souveraineté. L’enjeu est de créer un choc psychologique positif. Une pause dans l’élargissement mais aussi dans l’intégration serait assez judicieuse. Ajoutons qu’on ne peut pas gouverner à 28 comme on le faisait à 6, sans changer les règles de fonctionnement, de vote et de majorité. Aujourd’hui, c’est d’un bilan et d’une réflexion sérieuse dont nous avons avant tout besoin avant de redéployer les ailes de l’Europe, ainsi que d’un message politique explicite.

 

Une nouvelle conférence de Messine serait opportune. Elle pourrait se tenir avec les seuls gouvernements avec comme sujet central : la subsidiarité. Car c’est assez de se plaindre depuis plus de vingt ans de l’excès d’intrusion de la Commission, de cette volonté - vraie et/ou exagérée - qu’on lui prête de tout réglementer dans les moindres détails, qui n’est pas pour rien dans l’allergie et le rejet des peuples à l’égard de l’Europe. Il faut sans doute en revenir à des choses simples et pragmatiques, comme la subsidiarité vue par Jacques Delors qui n’a jamais été vraiment mise en œuvre et arrêter de se laisser engluer dans un océan de normes parfois assez ubuesques au prétexte d’harmonisation dans le marché unique. Ensuite, une fois les esprits a minima apaisés, notamment chez les simples « sceptiques » ou les « devenus allergiques » – il n’y a guère d’illusions à se faire s’agissant des anti-Européens biologiques tels qu’il y en a à l’extrême droite, ou les euro-hostiles de l’extrême et de l’ultra gauche - les leaders en Europe redeviendraient plus audibles par les peuples s’ils expliquaient qu’ils vont réduire telle ou telle compétence européenne abusive et imposer un changement de méthode, et donc une reconfiguration de la commission. Moins de fonctionnaires européens, plus de comptes à rendre de la part de la Commission. Des décisions fortes. Qu’est-ce qui empêche par exemple de refaire un Schengen qui marche en gardant toujours à l’esprit le principe de subsidiarité ? On ne peut sans doute plus continuer de construire l’Europe sur la négation ou l’effacement des nations, car à l’évidence, cela ne marche pas. Un peu d’idéalisme n’a certes jamais nui à la construction de belles idées, mais trop et trop exclusivement, conduit à coup sûr à l’impuissance et des incompréhensions. On ne peut pas blâmer davantage les peuples, y compris les plus ouverts, de ne rien voir de positif à l’idée de leur demander d’abandonner tout ce à quoi ils tiennent ou tout ce en quoi ils s’identifient : leur histoire, leur langue, leurs racines. Surtout si c’est au profit d’une vision purement économique et consumériste et sous couvert de promesses intenables ou non tenues, incapables de lutter efficacement contre le chômage et la pauvreté. Souvenons-nous le temps où l’on nous parlait « d’Europe sociale », « d’Europe des citoyens », « d’Europe politique », « d’Europe de la défense », etc.

 

A contrario, on ne peut pas laisser dire par les démagogues que l’Europe multinationale serait un rêve désincarné, alors que l’Europe intervient pour beaucoup dans leurs moyens de subsistance, alors que leurs rêves d’identités nationales reprisées sont encore plus fantomatiques, encore plus hors sol. Comment le repli sur l’identité nationale pourrait constituer le moyen de se défendre ou de défendre ses intérêts ? On a trop répandu par ailleurs l’idée que « l’Europe » avait réponse à tout, allait s’occuper de tout…Le niveau européen a une valeur irremplaçable - nous sommes plus forts ensemble - mais il ne peut pas avoir la prétention de tout traiter. Les électeurs européens veulent plus de démocratie proche et identifiable et moins de ces niveaux institutionnels supra-nationaux qui se veulent omnipotents et omniscients. Il ne suffit plus d’afficher une ambition lamartinienne et de relancer le projet européen. Il ne s’agit pas de « réenchanter l’Europe » ; on oublie trop souvent que ses fondements historiques ne sont pas ceux d’un songe, mais d’un raisonnement de l’après-guerre, géopolitique, stratégique, historique, realpolitique. L’Europe n’a pas fait la paix, elle est la fille de la paix et a contribué ensuite à la garantir, ce qui n’est pas pareil.

 

RECREER DE L'ADHESION DEMOCRATIQUE 

 

La priorité est de recréer de l’adhésion démocratique. Il faut une grande idée mobilisatrice, faire avancer l’idée de progrès et le progrès lui-même, ne pas se perdre en frappant d’anathème l’attachement national ou le patriotisme, comme si c’était en soi des horreurs, il faut surtout redonner à l’Europe sa vocation de pôle de stabilité dans un monde instable, y compris au plan économique, en maîtrisant la mondialisation au lieu de la subir et arrêter d’être cette chose empaquetée parfaite, ce « paquet-cadeau » pour les marchés américains ou asiatiques. Ajoutons que quelques symboles ne sauraient nuire : pourquoi, sur nos euros, ne figurent aucune des figures de la culture qui pourraient créer du lien européen ? Le fédéralisme pourrait y aider - même si ça n’est pas la question du moment, en tous les cas, ce n’est pas le moment le plus opportun - mais un fédéralisme de répartition fondé sur la subsidiarité qui clarifie le rôle de chaque échelon : local, régional, national, européen. A sept mois du scrutin européen, à défaut de savoir qui décrochera le pompon ou si cela aidera les uns ou les autres à sortir de la nasse au plan intérieur, national, on peut espérer que le thème de la Transition écologique et des moyens à y allouer soit la plus partagée possible. La France n'a pas le pouvoir à elle seule de lutter contre le réchauffement climatique mondial – et pas davantage son président. Mais la voix de la France peut peser sur les engagements et les décisions de la communauté internationale, comme elle l'a montré en orchestrant l'accord de Paris lors de la COP21, en 2015. Le gouvernement français peut aussi influencer les décisions environnementales prises à l'échelle européenne. Certes, Emmanuel Macron a échoué à faire changer d'avis le président américain Donald Trump sur le retrait des Etats-Unis de l'Accord de Paris. En revanche, le président français a pris l'initiative d'organiser le One Planet Summit, un sommet qui a réuni fin 2017 des chefs d'Etat, des organisations internationales et des entreprises, pour renforcer les engagements internationaux en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Cet événement a donné lieu à plusieurs annonces du secteur privé. En revanche, la France a brillé par son absence lors de la COP24, qui n’était représentée que par les deux ministres, François de Rugy et Brune Poirson, pour cause de « crise » de Gilets jaunes. La conférence climat de décembre 2018 s'est soldée par un demi-échec : la communauté internationale s'est accordée sur les règles d'application de l'Accord de Paris, mais n'a pas accru ses engagements pour le climat. La France s'est toutefois inscrite dans la « coalition de la haute ambition », un groupe 70 pays qui se sont engagés à réviser à la hausse leurs engagements de réduction d'émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2020 et à augmenter leur soutien aux pays en développement. Emmanuel Macron plaide au niveau européen pour l'instauration d'un prix plancher du carbone en Europe et d'une taxe carbone aux frontières de l'Union européenne afin de pénaliser les pays qui ne respectent pas l'Accord de Paris. L'Union européenne a revu à la hausse ses objectifs contraignants en matière d'énergies renouvelables en juin 2018. Le passage à 32 % de renouvelables dans le mix énergétique a notamment été soutenu par la France, alors que la Commission européenne défendait une position moins ambitieuse.

 

Une chose est sûre : l’Europe de demain ne pourra pas se faire sans les européens. Le moment est sans doute venu de parler moins d’Europe et plus aux Européens. Le citoyen européen a trop longtemps été le grand oublié de la construction de l’Union Européenne et il n’a été invité à s’exprimer ou à agir que lors des grandes consultations électorales. D’où la question suivante : et si on parlait un peu moins d’Europe et (enfin) un peu plus aux européens ? Et si on parlait enfin des européens, de leurs craintes, mais aussi de leurs espérances ? C’est qu’il faut faire aussi avec la réalité, c’est-à-dire avec le sentiment des peuples européens vis à vis de l’Europe. Et arrêter les exercices démagogiques qui consistent à nier les apports et les décisions positifs au plan européen et à s’en approprier la paternité au niveau des gouvernements lorsqu’ils sont patents et à s’en défausser sur l’Europe lorsqu’ils sont jugés moins bons ou négatifs. On ne peut plus parler d’Europe aux Européens que pour désigner Bruxelles et son (affreuse) Commission coupable (forcément) de tous les maux et de l’Union Européenne. Jamais on ne leur parle de l’Europe pour désigner un pays, un territoire, un paysage, une histoire, une culture, une tragédie sanglante, une espérance, tout ce qui pourrait aider à ne pas réduire l’Europe à une organisation, à un « machin ». La réduire ainsi, c’est comme si on confondait la France avec l’État. Comme si les Français n’étaient pas capables de différencier la critique du gouvernement avec l’attachement qu’ils ont pour la France. Comme autrefois, lorsque l’on savait parfaitement distinguer l’Etat de la nation. Alors, pourquoi sommes-nous si peu capables de différencier nos accès d’hostilités à la machine européenne de nos attachements multiples à l’Europe comme avenir ? Sans doute parce que le sentiment d’appartenance n’existe toujours pas. L’Europe est dépourvue de chair aux yeux des peuples et rien ou pas suffisamment n’est fait pour impliquer les citoyens européens.

 

Thierry Libaert qui siège au Comité Economique et Social Européen (où il est le point de contact de la délégation française), membre du conseil scientifique et du Conseil des membres du PRé, peut témoigner pourtant de l’ampleur des efforts et des travaux effectués du côté des acteurs sociaux pour donner corps à cette Europe. Notamment sur la question d’une consommation plus durable, la protection des données, les échanges universitaires et la transition écologique : « A chaque fois, nous sommes capables de dépasser nos désaccords pour trouver le compromis acceptable pour le plus grand nombre. Il en est de même dans les Comités Economiques, Sociaux et Environnement, que ce soit en région ou au niveau national. Lorsqu’elle s’organise, la société civile est capable de faire bouger les lignes. Rappelons-nous le Grenelle de l’Environnement où se réunirent plusieurs jours des collectivités locales, des experts, des Organisations syndicales, des ONG, des entreprises. Peu y crurent vraiment et, au final, p lus de 200 propositions émergèrent. Certes, toutes n’aboutirent pas et chacun se souvient du déclin régulier du soutien politique. Mais l’évènement fut fondateur d’une nouvelle dynamique ». Sans les citoyens européens, peu de chance en effet que l’espoir européen puisse se réveiller. Il pourrait même être enterré. Certes, nous rappelle Thierry Libaert, les politiques sont dans leur rôle de « raffinage » des passions publiques et les acteurs de la société civile n’entendent pas s’y substituer. Notre conviction est que ce qui est réussi dans les instances de travail, ce qui a été réussi en France lors du Grenelle de l’Environnement, pourquoi ne serait-il pas possible de le faire pour l’Europe ? Il est temps d’organiser un grand rendez-vous pour proposer une autre vision de l’Europe, à partir de ce que les citoyens, associations, mouvements de la société civile, pourraient porter. L’objectif est ambitieux : permettre à la France de retrouver sa place au cœur d’un grand projet européen co-construit avec les citoyens. Ajoutons que ce ne serait pas du luxe que la société civile puisse prendre la parole sur un sujet où le politique s’est trop souvent montré défaillant et déconnecté des préoccupations et des espérances des peuples d’Europe. Dan Esty, ancien conseiller de Barak Obama, membre du conseil scientifique du PRé a invité le PRé dès le mois de juillet 2017 à le faire, étant persuadé que seule la France et son Président pouvaient relever le défi et entrainer derrière eux autour d’un Green New Deal européen.

 

Dominique Lévèque est secrétaire général du PRé

 

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