Un nouveau clivage serait en train de se dessiner : « progressistes » contre « populistes » et inversement.
Cependant qu’en France le clivage droit-gauche serait mort, n’aurait aucun avenir, après s’être épuisé jusqu’à l’extrême lors de la dernière élection
présidentielle.
Issus de la droite xénophobe et conservatrice, de l’extrême droite raciste et nationaliste, d’un post socialisme nationaliste ou d’un anarcho-gauchisme anticapitaliste, les populismes gagnent de plus en plus dans le monde mais aussi en Europe. Ils sont le produit direct de la crise et de la façon dont elle a été traitée à partir de 2011, en privilégiant des solutions qui ont abouti à accroître les inégalités. Encore qu’en France, les inégalités soient moins accentuées que dans d’autres pays, l’agglomération de différentes inégalités expliquant plutôt le fort sentiment d’injustice.
Il n’en reste pas moins que la politique qui a consisté à ne faire que renflouer le système financier en rachetant les dettes par les banques centrales pour sauver les plus riches sans se soucier des populations, a conduit à une augmentation des inégalités. En Europe, les populismes se nourrissent d’une même détestation de l’Europe « libérale », de ses élites « globalisées », de son impuissance face au chômage et au sentiment de paupérisation de ses citoyens et face à ce qui est vécu comme une pression migratoire. L’Union européenne et singulièrement sa Commission de Bruxelles, symbole de la « technocratie coupée des peuples » est la cible à abattre.
Les mouvements populistes s’adressent directement au peuple qu’ils n’hésitent pas à mettre en scène comme étant nécessairement un peuple vertueux et homogène, ils défendent sa « souveraineté » contre celle des « élites » et se présentent comme les pourfendeurs d’une classe dirigeante (« système ») supposée agir fatalement contre les intérêts du peuple. Ils répondent à leur façon à une demande de protection largement sous-évaluée par les partis de gouvernement. Les facteurs propices à un vote en faveur d’un parti populiste sont connus : un faible niveau d’éducation, des difficultés économiques et sociales, une confiance réduite, pour ne pas dire anéantie, dans certains pays, dans les partis politiques traditionnels, une peur qui se transforme en une hostilité vis-à-vis de l’immigration extra-européenne. Ce qu’il y a de notable ces dernières années, c’est que les discours des partis populistes déteignent sur les partis traditionnels à mesure qu’ils progressent dans l’électorat, notamment sur les questions de politique européenne, de sécurité et des libertés publiques, d’immigration et de multiculturalisme.
La France, elle-même, n’est pas à l’abri de cette vague. Le climat politique, avec ses outrances et une haine qui semble se propager depuis 2015, les thèmes retenus lors de la campagne présidentielle par le candidat « de la droite et du centre » François Fillon, en étaient des signes avant-coureurs. Le choix affiché par le nouveau chef de l’Etat de se passer des corps intermédiaires au profit d’un dialogue direct, mais incertain, avec le peuple, est empreint d’une certaine façon d’un populisme dont on ne sait jusqu’où il pourrait aller ni les effets qu’il pourrait produire. Les progressistes accusent les populistes de vouloir revenir à un sol conçu comme une identité qui protègerait et rassurerait. Or, le grand paradoxe de la situation, comme le note Bruno Latour dans le même excellent article, c’est que les progressistes n’ont pas plus de sol sous leurs pieds que les populistes : « Les progressistes sentent bien que l’horizon indéfini de la mondialisation-globalisation se heurte désormais à ce qu’on appelle aimablement les « limites de la planète ». Le progrès n’a donc nulle part où se poser. Quant aux populistes, comment pourraient-ils croire plus d’une minute à la viabilité de ces Etats-Nations nouvellement recréés, croupions d’une ancienne histoire à jamais disparue : l’Empire britannique ? La France des années 1950 ? L’Amérique « great again » ? L’Empire austrohongrois ? Et toutes ces réalités alternatives fantasmées qui se nourrissent d’ethnorégionalisme et d’ethno-nationalisme, comme la Padanie, etc. ? Ils savent pertinemment que ces « abris » ne leur permettraient pas de survivre. » « Tout autant que les progressistes, les populistes se retrouvent donc angoissés par l’idée de ne pas trouver d’assise stable à leurs projets. Ni les uns ni les autres n’ont la possibilité d’articuler une vision tant soit peu réaliste de leur politique. Il reste que pour les seconds ; ils arrivent néanmoins à se constituer un début de base sociale, d’où un gros risque d’impasse politique, de nouvelles déceptions à venir et d’autant possibles chaos. Ce qui explique la brutalisation de la vie publique et le glissement vers ce qu’on appelle naïvement la « post-vérité ». Sans monde matériel sous ses pieds, comment pourrait-on formuler un quelconque programme et lui donner une assise empirique ? Alors, chacun se prend à rêver, les uns d’une Italie « indépendante », d’une France habitée de citoyens « de souche », d’autres d’une colonisation de Mars ou de robots qui leur permettraient d’être enfin post-humains » ou encore de l’extension de l’affichage publicitaire dans l’espace intersidéral avec des panneaux Coca Cola. Cependant que partout des humains en migration piétinent d’impatience pour se trouver un sol hospitalier et habitable.
« L’étrangeté de la présente situation politique, c’est que chacun sent bien que partout se repose la question de retrouver un sol à habiter avec d’autres migrants venus d’un peu partout. Comme si, à côté de ces peuples sans terre, il existait une terre en attente de peuples capables de l’habiter et d’en prendre soin. On sent bien que les populistes ont raison de demander une assise protectrice, mais qu’ils ont tort de la chercher dans l’identité nationale. On voit bien que les progressistes ont raison de vouloir l’accès au vaste monde, mais qu’ils ont tort de confondre le mondial avec le globe de la globalisation. Tout se passe comme si une nouvelle universalité avait remplacé l’ancienne: partout des humains en migration piétinent d’impatience pour se trouver un sol habitable. Le retour des questions de terre, de terroir, de territoire, de zones à défendre, de peuples, et même les questions toute matérielles, de nourriture, de transport, de construction, d’énergie, aussi bien que la recherche d’autres droits de propriété, sans oublier le regard nouveau jeté sur les luttes des peuples «autochotones» ou cette extraordinaire prolifération de livres sur l’inventivité des arbres, des plantes, des champignons, des microbes ou des loups, tout cet immense mouvement multiforme signale bien l’existence d’un terrestre bel et bien présent à la conscience commune. »
« Oui, mais voilà, comme le souligne Bruno Latour, ce terrestre-là n’a pas de représentation partagée. Il n’est pas le sol de peuples qui se reconnaîtraient politiquement comme tels. Il n’est pas aussi attirant que la figure de l’Etat-nation vers lequel fuient désespérés ceux qui doutent de la globalisation. On comprend donc que le véritable enjeu n’est pas de rejouer Mai 68 dans le contenu de ses idéaux – discutables, datés, ambigus pour certains d’entre eux – mais plutôt de déployer la même énergie, cinquante ans plus tard, pour détourner la révolution conservatrice de la tragédie qu’elle nous prépare. »
L’enjeu serait-il davantage de retenter, après d’autres, d’importer d’outre Atlantique le clivage Républicains/Démocrates ? On peut en douter tant cette architecture politique ne correspond pas plus à la culture française qu’à une demande réelle, explicite de nos concitoyens aujourd’hui.
Ajoutons que sur le plan de la communication politique, il peut paraître assez maladroit pour les chantres du « progressisme » de se poser aussi ostensiblement en rempart contre les « populistes » tant le mot « populisme » sonne d’abord comme « populaire » aux oreilles des électeurs précisément issus des catégories populaires qui peuvent se sentir visés négativement par les discours « progressistes ». En vouant aux gémonies le populisme de certains gouvernements en Europe, le risque est grand que ces électeurs ne s’identifient et prennent pour eux cette critique. Comment une parole ayant pour ambition d'organiser l'action collective, l'action de tous, pourrait prendre le risque de donner, ne serait-ce que l’impression, de reposer sur le mépris, la diabolisation d'une partie de la population dont la contribution reste utile à la santé de notre système politique ? Au reste, cela n’a pas échappé à la FI, qui accentue depuis 2017 son positionnement populiste qui ne peut que complaire les électeurs des catégories sociales modestes. Et tous les groupuscules militants ouvriéristes. Gardons-nous de cette vision binaire et simpliste qui ferait des progressistes les « gentils » de l’histoire et les populistes, les « méchants ». Pour une bonne raison, comme nous l’avance la philosophe et politologue Renée Fregosi, c’est qu’elle est en réalité la face obscure de la démocratie. « Depuis toujours, le populisme a partie liée avec la démocratie, dans une relation ambivalente ou ambiguë. D’une part, le populisme se manifeste avec vigueur dans les moments de crise de la démocratie, et dans les changements d’époques, de transition globale (comme le soulignait déjà Gino Germani pour l’Argentine du premier péronisme). D’autre part le populisme est plus généralement, comme l’envers indissociable de la démocratie en tant qu’instrument de l’inévitable polarisation du débat démocratique dans un cadre électoral se réduisant in fine à un choix binaire » précise-t-elle dans son introduction à un article intitulé Le populisme : face obscure de la démocratie (2011).
Dominique Lévèque est secrétaire général du PRé
N.B : cet article est extrait d'une Note du PRé intitulée "Eléments de réflexion par temps mauvais" publiée en décembre 2018
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