François de Rugy se trouve pris depuis quelques jours dans la tourmente médiatique à propos de repas prétendument « fastueux » organisés sous sa présidence de
l’Assemblée nationale, et d’autres supposées turpitudes sommes toutes, si elles étaient avérées, plutôt minables que grandement scandaleuses. Quoi qu’il en soit, voilà celui qui depuis 2013
s’était fait le « chevalier blanc » de l’honnêteté, de la transparence et de la frugalité de la vie politique, accusé d’avoir lui-même succombé aux « fastes de la République » et aux petites
combines facilitées par une position politique dominante. Il est alors bien tentant de jeter un « c’est bien fait ! » au visage de ce personnage lisse que beaucoup ressentent comme arrogant voire
méprisant, et qui donne l’impression d’un parcours plus opportuniste que pétri de convictions sincères.
François de Rugy était donc le « client idéal » pour Médiapart qui depuis sa naissance joue en première ligne dans ce genre de dénonciation de responsables politiques de tous bords (exceptés au demeurant, ceux d’une petite frange allant de l’extrême gauche à l’ultragauche, en passant par l’islamo-gauchisme, l’« antisionisme » ou le néo-féminisme victimaire). Mais si le rôle d’inquisiteur en chef lui profite si bien, c’est que le milieu ambiant lui est particulièrement propice. L’obsession de la transparence ne date pas d’hier. C’est une thématique qui a pris en importance au fur et à mesure que la montée des populismes dépréciait le monde politique (à la fois pour de bonnes et de mauvaises raisons d’ailleurs). Le « tous pourris ! » antiparlementariste classique faisait alors progressivement place à la notion d’« impunité » érigée en concept vide (pouvant être rempli de différents contenus en fonction de ses différents utilisateurs) chargé d’affect revanchard.
Ce « populithème » (ou élément du discours populiste) puissant, promeut la « justice populaire » et incite à l’émergence de « justiciers ». Le ressentiment à l’égard d’une prétendue impunité généralisée des puissants, largement diffusé notamment en Argentine post-dictature à partir des années 90, s’est ainsi retrouvé au cœur du mouvement transnational des Indignés dans les années 2000. Et depuis, de Nuit debout aux Gilets jaunes (pour ce qui concerne plus particulièrement la France) cette mouvance contestataire et conflictuelle constituée hors des partis politiques et le plus souvent contre eux, conspue tous les puissants, leur immoralité, leur impudicité, leur impunité, et cristallise toutes les rancœurs. Ces justiciers auto-proclamés prétendent rendre une justice populaire, condamnant a priori et sans jugement les ennemis du peuple puisqu’ils seraient par principe corrompus, pervers et licencieux.
Mais la prétention à « moraliser la vie publique », a saisi le monde politique bien plus largement que la seule mouvance dite « populiste ».
La gauche néo-progressiste, a depuis les années 2000 définitivement renoncé à la politique au profit de la morale, ou plutôt d’un certain moralisme, prêchi-prêcha bien pensant amalgamant vulgate antiraciste et égalitarisme démagogique délétère. Une certaine droite dite « des valeurs », revenant quant à elle à un ordre moral familial et sexuel d’un autre âge, étriqué et punitif. L’islam politique, l’islamisme, pas en reste, en rajoute notamment sur la « pudeur » des femmes et la criminalisation de l’homosexualité. Enfin, Emmanuel Macron et son « Mouvement », prétendant étrangement (comme le Rassemblement national), « dépasser le clivage droite/gauche » et aller « au-delà de la droite et de la gauche », ont largement contribué à ce virage moralisateur en promouvant de nouvelles lois du soupçon systématique, et un discours ad nauseam sur l’exigence de transparence.
Les pères la morale sont ainsi légion, traquant le moindre faux pas réel ou imaginaire, la moindre déviance de la norme et en fin de compte le moindre écart de la ligne du politiquement correct dont on accuse les responsables politiques eux-mêmes, à juste titre d’ailleurs le plus souvent.
Car, c’est un paradoxe bien connu, le populisme qui aspire tant à l’unité du peuple, de la nation ou des tenants du « Bien », produit une surenchère qui incite à la prolifération des redresseurs de torts. Dans cette spirale de la pureté, le justicier d’hier sera celui que la foule lynchera demain.
Au nom du « respect » et de la justice, un certain terrorisme intellectuel et de plus en plus de pratiques d’agression physique induisent alors des attitudes d’autocensure et de mise en conformité protectrice. Comme sous tous les totalitarismes, une minorité d’activistes confortés par le silence lâche et/ou complice d’une large majorité, terrorise les opposants potentiels, les dissidents et les réfractaires passifs. Le conformisme choisi des uns, alimente celui subi des autres, et réciproquement. Quant aux contrevenants téméraires, insouciants ou inattentifs, ils seront sévèrement réprimés.
C’est dans cette atmosphère que prospèrent les scandales, bien davantage médiatiques que politiques au sens propre du terme.
Il suffit en effet aujourd’hui d’être dénoncé, voire diffamé et même calomnié, pour devoir renoncer aussitôt à toute charge publique y compris les plus légitimement occupées à travers le suffrage démocratique. La défiance mais plus encore sans doute la rancœur et l’envie sont-elles si grandes à l’égard des puissants ou supposés tels, que le plus infime soupçon d’inconduite devient affaire d’Etat. Ainsi, entent-on la plupart des commentateurs affirmer que François de Rugy se voit contraint de démissionné, quant bien même il prouverait son innocence ( !), car le mal médiatique est fait ! Et quasiment l’ensemble des voix de l’opposition à la majorité présidentielle de faire chorus pour appeler à la démission.
Certes, certaines élites sont à mille lieues des difficultés de la vie quotidienne auxquelles se heurtent la plupart de leurs concitoyens.
Certes, nombres de responsables politiques (et parmi eux des plus insoupçonnables) ont été par le passé saisis par la démesure voire une certaine malhonnêteté, allant parfois jusqu’à des détournements importants de fonds publics. Certes les démocraties ne sont pas des systèmes politiques parfaits ; mais des contre-pouvoirs y existent et peuvent être renforcés dans la logique démocratique elle-même, sans céder aux sirènes justicialistes. Aussi, les « responsables » politiques si prompts à conspuer leurs semblables et à réclamer des démissions à répétition, devraient-ils y réfléchir à deux fois avant de continuer non seulement à scier la branche sur laquelle ils sont assis, mais surtout à saper les principes républicains de la libre pensée, du pluralisme, du débat en raison et des procédures de la représentation politique et du compte rendu de mandat.
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