L’Etat l’a annoncé fièrement, les entreprises qui distribuent des dividendes n’auront pas droit aux aides de l’Etat décidées en cette période de crise, en particulier aux Prêts Garantis par l’Etat, et, avec un certain flou toujours pas levé, aux aménagements du chômage partiel.
Autrement dit, verser des dividendes en cette période de crise, c’est mal !
A croire que certains de nos dirigeants ont appris l’économie et la gestion dans le manuel des Castors-Juniors, avec comme archétype de l’actionnaire, l’Oncle Picsou, et comme travailleur Donald Duck. En ce début de XXIème siècle…
Payer des dividendes, cela peut, il est vrai, fragiliser des entreprises en mal de trésorerie. Mais posons-nous une question simple, à quoi et à qui sert le dividende ?
Rappelons tout d’abord, que le dividende, décidé et voté non par l’Etat dans sa grande mansuétude mais librement par les actionnaires en assemblée générale, n’est pas automatique. Le dividende est une partie des bénéfices de l’exercice passé, ou des exercices passés, que l’entreprise décide de transférer à ses actionnaires. Il ne s’agit pas d’une liquidation de l’entreprise mais d’un transfert. L’entreprise, avant versement du dividende, vaut, en schématisant, V+d ; elle vaut, après versement, V et l’actionnaire a perçu d. Le patrimoine de l’actionnaire est le même et il peut utiliser d pour investir dans un autre projet entrepreneurial ou pour payer ses factures. Le paiement du dividende ne peut se faire quand l’entreprise perd de l’argent, après prise en compte de ses réserves bien sûr. Tout est cela est fortement encadré, y contrevenir est un délit.
Commençons à présent à répondre à la question, à qui sert le dividende ? A l’actionnaire bien sûr, mais qui sont les actionnaires ? En fait vous et moi ! il y a bien sûr l’Etat, actionnaire des sociétés publiques. L’Etat va-t-il demander à ses entreprises de ne pas verser de dividendes si elles recourent à des prêts. Je me permets d’en douter. Les prêts de ces entreprises sont garantis par nature par l’Etat, en tant qu’actionnaire.
Ensuite il y a les fonds d’investissement. Pour ces fonds, percevoir des dividendes n’est pas le but en soi. Ils cherchent à maximiser la valeur de leur investissement, le V+d que j’évoquais plus haut, et si d est nul, peu importe, car ce qu’ils perdent dans le d, ils le retrouvent dans le V. Ils préfèrent même cela car en cas de versement de dividendes, il y a perception de l’impôt par l’Etat. Pour les fonds, autant éviter cet « effet de frottement ». Pour l’Etat, je n’en suis pas sûr.
Nous trouvons ensuite comme actionnaires les caisses de retraite, qui, chaque mois, paient les retraites grâce aux flux perçus et aux ventes opérées. Pour elles, si elles ne perçoivent pas de dividendes, à allocation d’actifs constante, elles doivent retrouver l’équivalent du dividende en vendant des actions. Pour ces caisses de retraite, l’effacement du dividende va donc dépendre de l’équilibre offre/demande du moment, et par gros temps, comme actuellement, équilibre plus qu’instable.
Autres actionnaires, les sociétés mères et holdings, grandes et petites, voire très petites. Il arrive très souvent que la remontée des dividendes soit le seul moyen pour un holding ou une société mère d’obtenir ses liquidités. Il n’y a pas que les sociétés du CAC40, il y a surtout toutes les petites entreprises qui constituent le tissu de notre économie. Ces sociétés dépendent de ces dividendes, elles planifient leur trésorerie en fonction de ces sommes perçues, et, avec, paient leurs salariés, leurs fournisseurs, leurs impôts. Souvent elles ne peuvent vendre même une partie des actions pour retrouver du cash, car les sociétés « filles » ne sont pas forcément cotées, ou cela déstabiliserait les équilibres souvent difficilement établis entre actionnaires.
Il y a enfin l’actionnaire particulier, la très fameuse veuve de Carpentras, le petit retraité, l’avocat, le pharmacien, le médecin, nos héros du moment, l’artisan, ceux qui ne font pas grève, ceux qui ne peuvent se mettre au chômage partiel, ceux qui comptent sur les dividendes pour arrondir leurs retraites ou leurs salaires. Et si aujourd’hui, par gros temps, ils doivent vendre quelques actions, ils le feront sur des valorisations à la casse, des valorisations guidées par les flux et non par le juste prix. Ce sont ces mêmes petits actionnaires particuliers qui ont suivi le mot d’ordre de nos dirigeants en diminuant leur épargne dans l’immobilier pour investir dans les fonds propres des entreprises.
Ces Français modestes subissent en somme la double peine d’avoir écouté la parole de l’Etat !
Nos dirigeants devraient cesser de regarder la vie des entreprises avec des lunettes manichéennes surtout quand ils arrêtent derechef la vie économique du pays. Verser des dividendes n’est ni bien ni mal. Le dividende n’est qu’un outil parmi d’autres de gestion de l’entreprise, comme le recours au chômage partiel, au licenciement, à la dette, aux prêts garantis par l’Etat.
Arrêtons d’accuser l’outil ! Un marteau peut enfoncer un clou ou défoncer un crâne, mais ce n’est jamais le marteau qui ira en cours d’assise…
Décider de ne pas verser de dividendes, cela revient à fragiliser les petites entreprises et les petits actionnaires, pas les gros, Donald, pas Picsou !
Patrick Pilcer, ingénieur civil des Ponts et Chaussées, diplômé et membre de la SFAF, est Conseil et Expert sur les Marchés Financiers. Fondateur de PILCER & ASSOCIES début 2009. Il débute en 1990 à la CPR au département recherche et développement avant de rejoindre New-York comme arbitragiste sur la courbe de taux US. Responsable des activités Obligations Convertibles, successivement à la CPR (1992-1995), au Crédit Lyonnais (1995-2001), puis chez Natixis (2001-2006), où il crée et gère un portefeuille Market neutral jusqu'à fin 2008. Expert près la Cour d'Appel de Paris.
Patrick Pilcer est par ailleurs secrétaire général de "Vaincre le Cancer", association pour le financement de la recherche contre le cancer.
patrick@pilcer.fr
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