« Il est encore trop tôt pour savoir s’il est trop tard », Pierre DAC
Il est sans doute trop tôt pour tirer des « leçons » de la crise pandémique actuelle, mais cela n’empêche pas de commencer à s’interroger et à envisager des pistes de questionnements.
L'actuelle crise sanitaire fait ressentir à tout un chacun le côté rugueux du mot crise qui impose en ce moment des mesures de protection et de contraintes assez inédites. Elle révèle l'énorme capacité de réponse solidaire et de dévouement des personnels soignants. Elle dévoile dans le même temps au grand jour le fait que le système de santé publique français n’est sans doute pas aussi parfait que les Français le croyaient. Il reste qu’il existe, qu’il est donc possible de le critiquer, y compris dans une visée de perfectionnement, contrairement à d’autres pays, et non des moindres, où il n’y a pas de système de santé à proprement parler, où les citoyens n’ont donc pas cette liberté qui est la nôtre, ou dont le sous-financement est encore beaucoup plus criant.
Soulignons que l'organisation et la coordination des activités de santé en France sont assez complexes car il existe une multiplicité d'autorités administratives méconnues des Français ayant compétence dans ce domaine. Au plan national et des structures centrales: le ministère de la Santé et ses services, la direction générale de la santé (DGS), la direction générale de l'offre de soins (DGOS), la direction générale de l'action sociale (DGAS), l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), la Haute autorité de santé (HAS), l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM).
Au plan des institutions décentralisées et des collectivités territoriales : les Agences régionales de santé (ARS), les départements. Mais aussi le régime d’assurance maladie.
Ainsi qu’une multitude d’agences et d’instituts et de commissions (L'Institut de veille sanitaire (InVS), l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), l’Agence de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset), l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), l'Agence de la biomédecine, l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS), l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'Institut National du Cancer (INCa) le Comité national de la sécurité sanitaire, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), l'Établissement français du sang (EFS) l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes), la Commission nationale de matériovigilance, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE), etc.
Sans compter le dernier né : le comité scientifique spécial Covid-19 mis en place par le Président de la République, un comité de onze chercheurs, crée ex nihilo, qui vient se sur-ajouter aux autres institutions, dont les réflexions et les avis sont adressés au gouvernement depuis le 11 mars sur la conduite à tenir sur la gestion de cette crise sanitaire. Le comité se réunit physiquement ou par téléphone tous les jours, il peut être saisi par le ministère de la Santé, mais aussi s’auto-saisir d’une question. Il s’appuie aussi sur des travaux de chercheurs étrangers, reçoit des invités extérieurs et ses avis sont publics.
Mais, comme l’explique notre ami Henri Bergeron dans l' article ci-dessous, co-écrit avec son collègue sociologue Olivier Borraz (sous le titre "Covid-19 : Impréparation et crise de l'Etat", pour AOC media), ainsi que dans un podcast publié hier par le CNRS ("Peut-on améliorer l'organisation de la santé publique ?", accessible ci-dessous), la coopération et la coordination sont loin d’être évidentes dans la pratique, que ce soit entre ces différentes organisations ou avec l’État et ses représentants.
D’où la question - et quelques autres - : les Organisations de notre système de santé souffriraient-elle d’un déficit d’organisation? Le sentiment plus général d’Henri Bergeron que nous partageons est aussi celui d’un Etat qui « suscite des attentes qu’il n’est pas en mesure d’honorer ; un faux sentiment de protection d’un pouvoir régalien qu’une jurisprudence fournie n’a cessé de confirmer depuis au moins 30 ans et qui crée une fausse impression de sécurité. »
C’est ce décalage et la stratégie de communication adoptée en début d'épidémie et jusqu’il y a peu, qui ont créé le vertige dans lequel chacun de nous a pu être pris devant les non-dits, les maladresses, et les incongruités pour le moins, des discours officiels, mais qui nourrissent aussi le complotisme et tous les accès d’hypocondrie sociale et politique dont nous sommes les témoins sur les réseaux dits « sociaux » et des chaînes d’info continue. Sans compter - mais des études devront être menées à l'issue de la crise pour l'établir sérieusement, comparer les politiques menées dans les différents pays, déterminer quelles auront été les stratégies qui ont sauvé le plus de vies - que l'on peut s’interroger tout de même sur le temps mis par les autorités françaises pour prendre la pleine mesure de l'épidémie puis de la pandémie. Car entre les premières mesures prises en Chine fin janvier et les premières annonces de l'exécutif français, il s’est passé quasiment un mois et demi.
Personne de raisonnable ne peut douter que ce soit facile ou qu'il suffit de s'en remettre aux seules vertus du "yakafonkonisme". On peut cependant avancer sans trop se tromper que cette crise est aussi, comme avait pu déjà le souligner Olivier Barroz dans le dossier Lubrizol, "le signe de l'inefficacité d'une gestion de crise à l'ancienne".
(Le PRé)
Ce que démontre la crise actuelle, comme des crises précédentes, y compris de plus faible ampleur (on pense par exemple à l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen), c’est la nécessité de dépasser une conception stato-centrée de la gestion de crise. L’État dispose de moyens et de ressources indispensables en période de crise. Son organisation lui procure des capacités d’intervention uniques. Mais cela ne suffit pas. Les initiatives qui émergent localement, et qu’il conviendra ensuite de recenser et d’analyser, démontrent l’existence de capacités nombreuses dans la société française sur lesquelles il faudra s’appuyer à l’avenir. Cette crise démontre surtout l’importance de prendre le temps de tirer les leçons de la crise. Déjà l’Agence nationale de la recherche publie un appel flash qui demande des résultats dans 18 mois. Il faudra bien plus de temps pour comprendre ce qui s’est passé durant cette pandémie, et notamment la manière dont elle a été gérée. Si le Président de la République reste convaincu que les situations comme celle que nous traversons requiert une recherche scientifique de haut niveau, alors qu’il confie à celle-ci le soin de tirer les leçons de la pandémie de Covid-19 – en complément des inévitables commissions d’enquête parlementaires et rapports d’inspection générale qui préfèreront quant à eux insister sur la singularité de la crise pour justifier les manquements ou bien chercher des responsabilités individuelles dans ce qui est une faillite systémique. Cette crise nous offre une occasion inespérée de tirer des leçons qui pourront servir dans les crises à venir et, partant, de rétablir la confiance dans nos institutions.
31-03-2020
La gestion de la pandémie vient révéler les carences des États, notamment du nôtre. Nous vivons dans une fausse impression de préparation : manque de coopération, de coordination, de transparence – formidable paradoxe d’une société sur-organisée. On répond que la situation est inédite. Mais insister sur la singularité, c’est se refuser à tirer des leçons. Pourtant, il est déjà temps de s’interroger sur l’aprè
Peut-on améliorer l’organisation de la santé publique ...
Peut-on améliorer l’organisation de la santé publique ? 07.04.2020 , par Clément Baudet Mais, comme l’explique le sociologue Henri Bergeron dans ce podcast, la coopération et la coordination sont loin d’être simples, que ce soit entre elles ou avec les représentants de l’État.
Covid-19 : impréparation et crise de l'État | AOC media ...
Olivier Borraz est directeur de recherche au CNRS et directeur du Centre de sociologie des organisations (CSO) de Sciences Po Paris.
Ses travaux portent sur la gestion des risques et la préparation à la gestion des crises. Ses travaux ont d'abord porté sur le gouvernement des risques en santé environnement, puis plus globalement sur le gouvernement par le risque, et plus récemment sur la manière dont l’Etat s’organise et se prépare à gérer des crises de toute nature, avec une étude de cas plus particulière en ce moment dans le domaine de la production nucléaire (projet AGORAS).
Olivier Boraz est président du Réseau Risques et Société.
Dernier ouvrage paru : Les politiques du Risque (Presses de Sciences Po, 2008)
Henri Bergeron est enseignant chercheur CNRS, membre du Centre de Sociologie des Organisations (CSO).
Co-titulaire chaire "numérique, organisations et affaires publiques" à Sciences Po, directeur du master Organisations et Management des Ressources Humaines, d’Axe Santé (Laboratoire Interdisciplinaire d'Evaluation des Politiques Publiques) et coordinateur scientifique de la Chaire Santé de Sciences Po-FNSP.
Ses travaux portent sur les politiques de santé et les transformations des pratiques et de la profession médicale en étudiant divers objets. Il mobilise les outils de la sociologie de l’action publique, des mouvements sociaux et mais surtout de la sociologie des organisations afin de rendre compte des dynamiques à l’œuvre dans les processus de formation de l’action publique et dans ceux qui président aux reconfigurations des champs organisationnels et institutionnels. Il est particulièrement intéressé par les liens entre savoir, expertise et politique et, de manière plus générale, au changement organisationnel et institutionnel. Co-directeur du «domaine santé » aux Presses de Sciences Po.
Henri Bergeron est membre du CS du PRé. Il fait partie de celles et ceux qui ont participé ou soutenu la création du PRé en 2010.
Dernier ouvrage paru : Le biais comportementaliste (Presses de sciences Po, 2018) avec Patrick Castel, Sophie Dubuisson-Quellier, Jeanne Lazarus, Étienne Nouguez et Olivier Pilmis.
Olivier Borraz Henri Bergeron
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