FigaroVox
Covid-19: Qui osera demander des comptes au régime chinois?
Par Marie Holzman, Vincent Brossel * et Alain Bouc
Publié le 01/04/2020 à 19:00, Mis à jour le 02/04/2020 à 09:46
FIGAROVOX/TRIBUNE - Le parti-État qui gouverne la Chine a une responsabilité gigantesque dans cette pandémie. Il cache son véritable bilan humain en Chine et réécrit l’histoire de cette crise sanitaire à son avantage, argumentent Marie Holzman, sinologue, Vincent Brossel, membre du Comité Liu Xiaobo et Alain Bouc du Groupe Chine de la Ligue des droits de l’Homme.
Marie Holzman est une universitaire et sinologue de renom, spécialiste de la Chine contemporaine et de la dissidence chinoise. Elle a notamment préfacé Les massacres de la révolution culturelle (Folio, 2009) et traduit l’ouvrage de Liao Yiwu Dans l’empire des ténèbres (Globe, 2019).
Vincent Brossel est membre du Comité Liu Xiaobo. Il a contribué à la publication de l’ouvrage Chine, le livre noir (La découverte, 2004).
Alain Bouc a travaillé comme correspondant du journal Le Monde à Pékin et appartient au Groupe Chine de la Ligue des droits de l’Homme.
Au compte-gouttes des informations indépendantes commencent à sortir de Chine sur le réel bilan humain du Covid-19. Il est effrayant. Un site chinois réputé Regard froid sur l’économie et la finance va jusqu’à faire état de 59 000 morts pour la seule ville de Wuhan, et de plus de 97 000 pour toute la Chine. Pour contourner la censure, des citoyens de Wuhan ont notamment observé la livraison des urnes funéraires avant la Fête des morts qui a lieu le 5 avril. Depuis le 23 mars, les funérariums de Wuhan distribuent en moyenne 3 500 urnes par jour aux familles des victimes. Plus que le bilan officiel de 3 400 morts… Ces chiffres commencent à circuler dans les médias asiatiques. Qui pouvait croire que la Chine avait été mise à l’arrêt pour un virus qui n’allait causer la mort «que» de 3 200 personnes dans le pays le plus peuplé de la planète? Le nombre de personnes contaminées en Chine dépasserait le million.
Pourtant l’OMS et la communauté internationale acceptent poliment les chiffres officiels chinois qui sont relayés dans tous les médias. Le régime chinois aurait-il encore une fois gagné en imposant un mensonge d’État ? Un mensonge qui a des répercussions dramatiques puisqu’il explique en partie le manque de réaction des pays européens au début de la crise.
Le président Xi Jinping a préféré préserver ses intérêts plutôt que la santé de centaines de millions de personnes.
Le président Xi Jinping a donc une responsabilité colossale dans la pandémie qui frappe le monde. Il a préféré préserver ses intérêts plutôt que la santé de centaines de millions de personnes. En plus de mentir, le régime chinois s’emploie à jeter le doute sur l’origine du virus. Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Zhao Lijian, a déclaré que l’armée américaine aurait introduit le virus à Wuhan. Peu de temps auparavant, des officiels chinois ont parlé de « virus japonais ».
Cette pandémie arrive en effet dans un moment important pour le Parti communiste chinois (PCC). Xi Jinping a relancé des campagnes de propagande et de répression sans équivalent depuis 25 ans, avec l’enfermement massif des Ouïghours et des voix dissidentes. Mais il fait aussi face à des crises plurielles, que ce soient les manifestations à Hong Kong, la réélection à Taiwan d’une Présidente qui résiste aux pressions du PCC ou encore un ralentissement économique.
La pandémie est pour Xi Jinping et l’appareil du PCC une opportunité de relancer sa mécanique de contrôle et d’étouffement de la contestation. Dépeint par la propagande comme le commandant suprême victorieux de «la guerre du peuple» contre le coronavirus, Xi Jinping reprend la main après une crise qui a plongé la Chine dans le doute. Et la presse a été invitée à célébrer l’héroïsme des sauveteurs plutôt que les souffrances des populations ou les négligences de l’administration. La construction d’un hôpital en dix jours a ainsi été un contre-feu médiatique efficace pour masquer les insuffisances du système de santé.
Des dizaines de militants des droits humains, journalistes et avocats ont été harcelés, arrêtés ou mis au secret depuis le début de la pandémie.
C’est exactement ce qu’analysait Ren Zhiqiang, un entrepreneur actif sur la plateforme Weibo. Ren Zhiqiang avait écrit « Sans des médias représentant les intérêts de la population et publiant les faits établis, la vie des gens sera ravagée par le virus et la maladie de ce régime », et avait osé qualifier Xi Jinping de « clown » à propos de sa gestion de la crise du coronavirus. Il a disparu depuis le 12 mars, sûrement aux mains de la sécurité d’État. Comme lui, des dizaines de militants des droits humains, journalistes et avocats ont été harcelés, arrêtés ou mis au secret depuis le début de la pandémie. Le juriste Chen Qiushi et un entrepreneur, Fang Bin, ont été arrêtés pour avoir collecté des informations à Wuhan. À Canton, le juriste démocrate Xu Zhiyong et sa compagne ont été placés en détention pour avoir critiqué la gestion de la crise. Selon le réseau Chinese Human Rights Defenders, il y a eu fin janvier près de 300 interpellations pour « propagation de rumeurs ».
De même, les articles, vidéos et commentaires sur les premiers cas de malades du Covid-19 ont été censurés. Un rapport interne du gouvernement chinois, publié dans la presse de Hong Kong, confirme cette volonté des autorités chinoises de cacher la vérité au prix de la santé de la population. Les premiers médecins de Wuhan à avoir tiré la sonnette d’alarme en décembre ont été convoqués, réprimandés par leurs supérieurs ou les officiels de la ville. Des hôpitaux ont modifié les rapports médicaux sur les premiers patients, en éliminant toute trace de pneumonie virale. En effet, le PCC du Hubei était en plein préparatifs d’une séance parlementaire et le Nouvel an chinois arrivait à grands pas. Les intérêts du Parti avant tout…
Les autorités ont pris conscience de la gravité de la situation mais elles n’ont pas joué la carte de la transparence.
Malgré les évidences, les officiels chinois ont nié jusqu’au 20 janvier, la propagation du coronavirus entre les humains.
Ce même rapport démontre que les autorités ont pris conscience de la gravité de la situation mais qu’elles n’ont pas joué la carte de la transparence, agissant sans informer la population. Ce n’est que le 23 janvier que Wuhan a été mise en quarantaine.
Les négligences et le déni des autorités auront donc fait perdre plus d’un mois pour endiguer la dissémination du virus depuis un marché de Wuhan. Des milliers de personnes avaient déjà été contaminées. Le responsable de la cellule qui pilote la lutte contre le coronavirus, Zhong Nanshan, a reconnu que le nombre de malades aurait pu être massivement réduit si les autorités avaient agi plus vite.
Cette crise confirme que l’information sur la santé est étroitement contrôlée, et que la Chine n’accepte pas les regards extérieurs quand elle est en situation de faiblesse. Une dizaine de journalistes étrangers notamment du New York Times et du Washington Post ont été privés de leur droit de travailler depuis février, et les sites Internet de médias étrangers ou de plateformes comme Twitter sont bloqués en Chine.
En 2003, le lanceur d’alerte sur le SRAS, le médecin militaire Jiang Yanyong avait courageusement alerté les médias étrangers alors même que les autorités niaient l’évidence de l’épidémie. Il a par la suite été arrêté pour avoir critiqué le Parti. Cette fois, c’est l’ophtalmologiste Li Wenliang, lanceur d’alerte sur le Covid-19, qui a été interpellé par la police avant de mourir du virus. Entre 2003 et 2020, si peu semble avoir changé dans les logiques à l’œuvre en Chine. La vérité et la vie des citoyens passent toujours après les intérêts du parti unique.
La vérité et la vie des citoyens passent toujours après les intérêts du parti unique.
L’obsession du PCC est aujourd’hui d’écrire et de raconter la crise du Covid-19 à sa manière, comme il le fait depuis 70 ans. Rappelons que le massacre de la place Tiananmen de 1989 n’existe pas dans l’histoire officielle.
En plus de réécrire l’histoire, le régime de Pékin veut aujourd’hui apparaître comme un soutien des pays touchés par le Covid-19. De responsable, il veut devenir sauveur. Après la politique des pandas, on assiste à la politique des masques. Avec quelques envois médiatisés et naturellement utiles pour les Européens, le gouvernement chinois tente de faire oublier sa responsabilité. La Chine a envoyé à titre d’aide un million de masques - ce que la France avait fait dans l’autre sens au début de la crise—et vend près d’un milliard de masques à la France, qui en manque cruellement. Des politiques de droite comme de gauche en France s’empressent de remercier la Chine pour son aide. On croit rêver…
Des pays démocratiques comme la Corée du Sud et Taïwan ont bien mieux réussi que la Chine en utilisant la transparence et la mobilisation des services publics et des citoyens.
Xi Jinping veut également faire croire à sa population et aux Occidentaux que seul un régime non démocratique peut gérer ce type de crise. Le confinement absolu de la population et la réponse sanitaire massive semblent avoir endigué le Covid-19. Mais des pays démocratiques comme la Corée du Sud et Taïwan ont bien mieux réussi que la Chine en utilisant la transparence et la mobilisation des services publics et des citoyens. La vraie différence entre les pays a été la rapidité de décision face à cette pandémie. L’Italie et d’autres pays européens ont tardé, et ils en payent le prix cher.
Autre élément très instructif sur les origines chinoises de cette crise: le rôle supposé du pangolin dans la transmission à l’homme. Depuis la fin des années 1980, la Chine fait adopter des lois et régulations sur la protection des espèces sauvages en danger, notamment le pangolin. Après la crise du SRAS, la Chine a renforcé ses outils contre la contrebande d’animaux. Dans les faits, les officiels n’ont pas mobilisé les moyens nécessaires pour stopper la demande et donc le trafic. Selon plusieurs ONG, environ un million de pangolins ont été capturés ces 10 dernières années dans les forêts d’Asie et d’Afrique pour répondre à la demande chinoise. Les écailles du pangolin font en effet partie de la pharmacopée traditionnelle. C’est bien une logique du «deux poids, deux mesures» qui perdurent dans la Chine communiste. La police et les tribunaux sont sans pitié pour les dissidents, tandis que les consommateurs d’animaux en voie d’extinction sont rarement poursuivis. Avec les conséquences que l’on connaît maintenant…
Il faudra alors que la société civile soutienne plus fortement ceux qui se battent en Chine pour plus de transparence et de démocratie.
Cette pandémie a d’ores et déjà un coût astronomique pour nos sociétés et nos économies. Le gouvernement français, et plus largement les pays touchés, auront-ils le courage de demander au gouvernement de Pékin de prendre en charge une partie de ce coût? Et oseront-ils demander au régime communiste de rétablir la vérité sur le bilan humain et de cesser la répression actuelle? Nous l’espérons mais notre expérience en matière de relations entre l’Europe et la Chine nous laisse à penser que rien de cela ne sera fait. Il faudra alors que la société civile demande des comptes au gouvernement français et soutienne plus fortement celles et ceux qui se battent en Chine pour plus de transparence et de démocratie.
Vincent Brossel est Coordinateur de formation à l'EMI, coopérative de formation aux nouveaux métiers de l'information (scop EMI-CFD SA). Enseignant à l'université de Paris 8.
Ancien responsable du Pôle Communication & développement des ressources privées & sensibilisation de la CIMADE. Co-Pt du CRID (Centre de recherche et d'information pour le développement).
Précédemment directeur de Peuples Solidaires - ActionAid France; directeur de l'information de CCFD Terre Solidaire; responsable de la section Asie- Pacifique de RSF (Reporters sans Frontières).
Vincent Brossel est membre du conseil scientifique du PRé.
Dernier ouvrage paru : Birmanie 2020 – De l’état des lieux aux perspectives (Sous la direction d’Olivier Guillard) (Ed IRIS/Dalloz, 2009).
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