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"AMABAM AMARE", par Jean Naem

 

Série Le Monde d'après, c'est maintenant

CRISE DU CORONA, LA DER DES DER…

 

C’est une confession presque augustinienne à laquelle se livre ici Jean Naem.

Il nous fait partager sa vision du Covid-19, qui nous dit la fragilité de la vie et de notre société, son tragique mais aussi ses opportunités, en nous emmenant au passage sur sa Via Francigena intime, nous confiant comment pour lui le temps a passé et passe, les plaisirs et les tourments éprouvés, également comment il ne veut pas se contenter d’avoir aimé, osant le pessimisme positif. Malgré tout.

 

Aujourd’hui, je vis avec une forme de certitude, qu’à 55 ans passés, cette crise prend des couleurs crépusculaires.

En termes moins romanesques, je la vis un peu comme la der des ders.

Adolescent, fils d’un agent d’assurance dont le portefeuille d’affaires était très dépendant de l’activité industrielle d’une petite ville de la vallée de Seine, j’ai vécu la catastrophe des premiers chocs pétroliers.

Une petite vingtaine d’années de tranquillité ont cheminé jusqu’aux deux guerres du Golfe. Je me souviens que, pour la première, bien confortablement attablés au soleil de la ville de Pau, pour le déjeuner d’honneur des jeunes rocardiens, nous avions entendu Jean-Paul Huchon alors directeur de cabinet de Rocard premier ministre, nous expliquer quelques jours après l’arrivée des troupes irakiennes à Koweït City, que nous avions définitivement mangé notre pain blanc !

Effectivement, j’ai vécu à Paris dans ma banque de crédit immobilier l’effondrement intégral de l’activité de promotion, de marchand de biens et vu les restaurants vides, le personnel de cuisine fumant sur le trottoir en attente d’un hypothétique chaland.

 

Comme un grand malade bourré de séquelles, renvoyé à son domicile et au boulot, mon pays, ma nation, comme en 1973, est repartie sur les mêmes bases : Bérégovoy et la politique budgétaire, le choc fiscal, et la redistribution en saupoudrage aveugle sur « nos pauvres ». Suivra, le désastre électoral de 1993, les terribles années Balladur, puis le début de l’effroyable septennat de Chirac, avec la congélation de notre activité par le super techno Juppé.

Les cinq ans d’éclaircie du mandat de Jospin, (mais nous avions un pistolet sur la tempe avec zéro création d’emplois nets) nous donneront grâce à une habile politique de relance bâtie sur l’équilibre habile Aubry/Strauss-Kahn, quelques molécules d’oxygène. Encore une fois, le Père-Lachaise était tout proche.

 

À la fin des années 90, entrepreneur en pleine ascension, je vais avoir le bonheur d’encaisser directement la crise des subprimes qui détruira les deux tiers de l’activité immobilière en France, et le choc sanitaire du virus H1N1.

 

Depuis 45 ans donc, je survis à slalomer d’une crise à l’autre, dans un grand pays qui en échange d’une sécurisation réelle de mon existence sociale économique et familiale, aura cramé des kilotonnes d’énergie vitale et d’envie d’avenir. Car c’est comme cela, que la France vit depuis des siècles. Un Etat, à l’exception de quelques rares monarques, de Napoléon et De Gaulle, particulièrement peu performant vit en cigale sur 30 millions de fourmis.

 

Un royaume qui vide ses caisses dans de vaines batailles, la distribution de prébendes à ses clientèles sociales du moment, des projets pharaoniques et des aventures exotiques. Versailles, les colonies, les guerres européennes, les Ateliers nationaux, l’invention d’une nouvelle administration chaque année depuis François Ier, nos gouvernants collectent et dépensent, comme diraient nos amis allemands « sans compter ».

Le paradoxe français est que grâce à cette administration, ce clientélisme social que l’on nomme assez souvent parachute social, nos gouvernants amortissent les effets des crises mondiales, effets largement amplifiés chez nous par notre absence totale de culture économique.

C’est la course à l’échalote, je plante des politiques industrielles, je distribue pour soigner la casse sociale, je collecte pour boucher les trous. On comprend dès lors, très bien pourquoi nous sommes dans les mains des comptables de Bercy, et des syndicalistes et tribuns plébéiens de tous poils. C’est la balance politique du distributif et du confiscatoire.

 

Au parti socialiste, cela s’est traduit par le partage de la gouvernance entre énarques et apparatchiks issus de l’extrême-gauche et reconvertis « à la culture de gouvernement, sic ».

Il est tout à fait symptomatique, que tout concorde pour prédire un arrêt, un blocage annoncé de l’activité dans notre pays.

Et je n’ai pas l’impression de trahir mes idéaux en m’inquiétant de la progression dans l’opinion d’une appétence pour un projet comportant la redistribution massive sur les bas revenus et un nouveau paquet fiscal destiné à faire payer les riches.

Cela se traduit médiatiquement, par la construction d’un monument à la gloire des caissières de grande surface, du personnel d’entretien des hôpitaux, pendant qu’en parallèle se dressent les bûchers du patronat.

 

Le propos n’est pas provocateur, il est « catastrophé ».

Notre pays confond le besoin d’une remise en question nécessaire, et même nécessairement violente, de nos élus politiques, avec un nouveau règlement de compte version OK corral social. Mais c’est sans doute, parce qu’il est plus facile de hurler sur une figure rhétorique du riche, que de relever ses manches et prendre des responsabilités politiques. Un peu de paresse et pas seulement intellectuelle, beaucoup de lâcheté et un goût modéré pour la nouveauté, voilà ce qui nous caractérise.

L’ennui, c’est que c’est l’inverse qui conviendrait mieux : soutenir, le mot est mal choisi à mon avis, mais il a le mérite de la clarté, les premiers de cordée. Voir le parti socialiste et Olivier Faure en tête, construire le front des seconds de tranchées, c’est faire fi de la célèbre formule de Clemenceau qui voulait que la guerre fût une chose trop sérieuse pour être confiée aux seuls militaires. Nos seconds couteaux effrayeront-t-ils les sabres chinois ? Le doute nous habite.

 

Pour ma part, pour avoir passé trois mois en réanimation en diagnostic vital très engagé, je suis tout à fait à l’aise pour écrire haut et fort que ce qui a fait la différence, c’est bien le niveau.

Le haut niveau de compétence et de technicité des médecins et encadrant du service de réanimation de pointe, est la précieuse pierre d’un bijou hospitalier mondial : l’hôpital Cochin.

Un emploi de caissière, d’agent d’entretien, n’est pas déshonorant s’il est dignement exercé et pas dénué de savoir-faire professionnel. Mais nous ne sommes plus sous la Révolution Culturelle, le héros ouvrier agricole est une farce. La bataille qui s’engage est celle des bio Tech, de la virologie, l’actualité le prouve, de l’intelligence artificielle. Hélas, notre bon vieux pays de sans-culottes n’est pas populiste, cet adjectif ne me gêne d’ailleurs pas, il est démago. Et la démagogie, en temps de crise est un poison mortel. La démagogie, c’est l’addition de la lâcheté et de la bêtise !

Lorsqu’un avocat, sur la base d’une construction intellectuelle assez subtile et opportune se propose de pétitionner contre les dividendes, on comprend que l'idée est à l'ordre du jour.

Il est parfaitement logique qu’une entreprise aidée par l’État, grâce à des emprunts à taux zéro, des aides directes, le CICE, et aujourd’hui le financement du chômage technique et des exonérations ou report de charges, que cette entreprise ne reverse pas de dividendes.

Mais, et le « mais » est capital, cela doit être un deal. L’entreprise peut renoncer à ces avantages et être dès lors libre de faire ce qu’elle veut de ses profits. La propriété, le marché ne vont pas être rayé de la carte par une révolution mondiale virussomarxiste. Ceux qui racontent cette fable vont faire de nombreux déçus.

 

Tant que mes concitoyens ne comprendront pas qu’une entreprise pour investir a besoin d’un capital, (on utilise le terme de fonds propres), que ces fonds sont forcément rémunérés (n’est-ce pas les amis de l’économie sociale ?), le fond musical du méchant actionnaire continuera à faire de nous, comme le dit si bien Arnaud Montebourg, l’idiot économique village mondial.

Avant le COVID, les caisses étaient déjà vides, les dettes et les déficits abyssaux, le tout dans une gouvernance financière totalement à la ramasse : Union Européenne aux abonnés absents, place de Londres à la dérive, États-Unis et Chine en guerre commerciale.

Le seul acte de consensus politique planétaire sous la menace du Covid 19 a été la décision unanime de creuser encore plus profondément les trous. Le risque de trous d’air de cash est majeur.

Le pire dans cette affaire, et que du point de vue de l’opinion, ces milliards existaient bien cachés dans les caisses publiques. C’est l’argent magique ! Si la situation n’était pas la cata, on pourrait sourire des bonnes idées qui consistent à tolérer que l’État aide les entreprises qui ont perdu chiffre d’affaires réel, à condition de reprendre immédiatement l’argent par une fiscalisation directe ou indirecte de leurs revenus. Concrètement, pendant trois mois au moins, l’activité s’est arrêtée, pour l’État, ce sont les rentrées de TVA, principales ressources budgétaires qui se sont asséchées. Et l’on découvre, oh surprise, que l’impôt a besoin de l’activité (sauf naturellement à envoyer les fermiers généraux saisir les magots planqués des accapareurs).

 

Le cash, disponible pour la relance, il y en a cependant, en milliers de milliards d’euros.

Il est dans les mains des fonds, fonds souverains, de private equity, les fonds d’infrastructures, ce sont eux qui vont faire leur marché. Faire peser des menaces de rémunération de l’actionnariat, quand on sait que les banquiers ne font plus crédit, c’est rendre impossible le redémarrage de notre activité économique. Car on peut faire confiance aux Britanniques, Irlandais, et même américains pour dérouler le tapis rouge fiscal au financeur de la relance.

En France, se greffe une autre difficulté, liée à la faiblesse du tissu d’entreprises de taille moyenne. Ces entreprises qui font plus de 50 millions d’euros et peuvent utiliser les fonds ne sont pas les plus nombreuses et les plus stratégiques sur le front du chômage de masse.

Pour tout aggraver, le gel, le confinement économique a surtout marqué l’activité de services. Cette activité repose sur un tissu de petites unités, peu consommatrices de capital à la différence des projets d’infrastructures, d’activités industrielles ou technologiques comme le spatial ou le médical. Mais ce tissu, très maillé sur nos territoires, pivot de l’emploi local, est notoirement sous capitalisé, en état de trésorerie tendue, et quasiment incapable d’accéder au crédit bancaire. Les entreprises de services ont besoin d’un accès au capital facile.

 

Il va falloir, que les acteurs économiques, les structures d’accompagnement au développement, l’Etat, les Régions investissent plus l’ingénierie financière et la captation des ressources des fonds d’investissement. Une des idées serait d’autoriser les collectivités locales, comme en Allemagne, à entrer au capital d’entreprises privées considérées comme stratégiques sur le territoire. Dès lors que l’actionnaire, est un particulier (crowdfunding, projets participatifs…), une collectivité locale, un acteur de l’économie sociale et solidaire, il devient français beaucoup plus politiquement correct. Mais il reste un actionnaire, l’effort vital pour la nation qu’il produit, implique la contrepartie et la rémunération.

La surfiscalisation des dividendes, qui soit dit en passant, rémunèrent aussi les chefs des petites entreprises qui ont souvent sacrifié leur rémunération salariale pour préserver la trésorerie, est une politique démagogique, mortifère. Cette antienne est la corbeille de mariée de la plus diabolique union entre la technocratie d’État et les Tribuns de la plèbe.

 

Depuis quelques jours, réapparaît Arnaud Montebourg, l’homme qui a perdu face aux promoteurs du revenu canapé universel. L’homme du made in France, du soutien aux petits patrons, aux innovations régionales (SEB, Bénéteau, Malongo…) et de la sauvegarde de nos savoir-faire industriels traditionnels (sidérurgie, métallurgie, électronique, ferroviaire, textile…) reparle !

Souveraineté, inventivité, localité, c’est une gauche différente, qui plait à Chevènement, mais qui me parle aussi comme rocardien du « Vivre et travailler au pays ».

C’est la gauche qui investit avant de distribuer, c’est une gauche patrimoniale attachée à l’idée qu’un bien public ou privé, indirectement appartient au trésor national. L’entrepreneur, le professeur de médecine de renom, le grand artiste, l’inventeur, l’intellectuel, l’architecte sont nos nouveaux généraux d’empire. Entre ceux qui vivent sur la bête et ceux qui la nourrissent, la politique de sortie de crise aura pour mission de préserver coûte que coûtent les derniers.

 

Pour Emmanuel Macron, faire du Montebourg ce serait se mettre en conformité avec ses déclarations de l’après COVID. La politique industrielle au lieu de la politique budgétaire, le repositionnement des grands sujets d’avenir au centre des politiques publiques avec au premier rang l’éducation et la santé, la mobilisation et la valorisation des énergies créatrices dans une meilleure répartition des revenus, ce sont les axes d’une vaccination durable contre les crises. Le faire avec ou sans Arnaud est une autre affaire.

 

Jean Naem, spécialiste en organisation & management, praticien de l’habitat social et de l’immobilier d’intérêt général, local et environnemental, est directeur «Habitat Collectif » chez Océa Smart Building (expertise en pilotage de la performance immobilière et environnementale),  ex filiale SUEZ Environnement, aujourd'hui chez Infravia.

Collaborateur cabinet du Premier  Ministre Michel Rocard (Sept1988-juillet 1989).


LE MONDE D'APRES, C'EST MAINTENANT

 

 

Une série de contributions sur " le monde d'après, c'est maintenant ", sous forme d’articles, analyses, idées, sous forme de tribunes d’opinion, sous forme d’entretiens, voire de chroniques de post-confinement, mais aussi possiblement sous forme de textes littéraires, poétiques, de gestes artistiques, de vidéos smartphone, capsule vidéos PowerPoint…

 

Il est trop tôt pour faire le bilan de la crise du Covid 19, mais pas pour commencer à « tirer des leçons », à analyser les premiers effets de cette crise pandémique et à songer utilement à « l’après ». Le Covid-19 n’est évidemment en rien « salutaire », mais il nous permet cependant de mesurer nos fragilités et celle de nos sociétés dont le caractère non safe et non durable éclate au grand jour. C’est un chaos humain dont la réponse génère un désastre humain.

 

Il interroge notre rapport à la mort. Il nous amène à repenser le progrès, le monde, à nous repenser nous-mêmes et dans notre rapport aux autres. Il plaide pour une réhabilitation de l’État dans sa fonction de stratège, délaissée au fil du temps, pour sa restauration en tant que garant de la protection et de la prospérité pour tous, pour sa transmutation en un État à la fois social et écologique.

 

La question, aujourd’hui, pas demain, n’est pas d’attendre que ça passe, de revenir à « la normale », elle est ni plus ni moins de se ménager un monde où les humains puissent se retrouver, où leurs désirs et leurs besoins les plus basiques, la nourriture, un toit, aux plus sociaux, aux plus «humains», le besoin de reconnaissance et d’affiliation, leur désir de participer à la vie et aux décisions de la Cité, soient entendus. Elle nous invite en ce XXI ième siècle à « faire commune ».

 

La question est de définir un espace où nous pourrions continuer de vivre, sans nous laisser accaparer par la peur, ni nous laisser distraire par la pensée magique ou les déconstructions hasardeuses, ni nous faire enfler par l’extension du domaine de la biopolitique, ni nous abandonner davantage à la tentation du repli tribal. Elle ne concerne pas que la stratégie de sortie progressive de l’actuelle crise sanitaire, elle commande de se préparer à la diversité des menaces : virales, dans toutes leurs formes, y compris cyber-attaques, etc. mais aussi d’anticiper le pire à venir pour amortir les conséquences des chaos dont nous savons la prévisibilité (crise climatique). La question convoque les enseignements de l’expérience vécue, mais aussi notre sens du défi et la puissance de l’imaginaire. Et notre ambition : s’agit-il de penser le « Jour d’après » ou le « monde d’après » ?

 

On ne va pas sortir de la crise. Autrement dit, il n’y a aura pas d’après. Mais un rappel permanent de nos vulnérabilités, de notre précarité, de la non-durabilité de nos sociétés, comme de la finitude du monde. On ne va passer d’un coup d’un monde écrasé par le désir d’accumulation à un mondé ré-enchanté qui ferait toute sa place à la confiance mutuelle, à l’émancipation et au sublime de la vie. Mais il n’est pas interdit d’y travailler. En faisant avec les paradoxes de la situation et en se défaisant de l’illusion de perspective.

 

"Il n'y a pas de lendemain qui chantent, il n'y a que des aujourd'hui qui bruissent" (Alain Damasio).

 

 

 

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