TUTTI FRUTTI
Chroniques et rendez-vous culturels, éco-gastrosophiques, pour « cueillir le jour » au sens du fameux carpe diem emprunté
au poète latin Horace. Au gré des envies et des propositions des uns et des autres. Publiés le week-end.
Animés par Jean-Claude Ribaut et Dominique Painvin. Et
depuis le confinement général également par Carole Aurouet, Vianney Huguenot et Timothy Adès.
Ce dimanche soir, le "post poétique" de notre ami Timothy ADES qui nous offre Printemps de Victor Hugo traduit en anglais par ses soins.
Victor Hugo passa la plupart de son long exil à Guernesey. Là, il habite une belle maison, qu'il vêtit de tapisseries, de rideaux, de céramiques, de boiseries... (Or c'est un Musée de la Ville de Paris). Il y compose des chefs-d’œuvre, il nourrit les enfants pauvres, il regarde la France lointaine, il écrit sans cesse...
Dans ce poème, il parle de « mon gazon étroit, et, tout près de la mer, mon bassin », comme le montre la photo. Banni lui-même, il se moque des monarques, eux qui ne peuvent pas bannir le printemps et le soleil, qui ne sont pas plus puissants que la Nature.
Au contraire, comme a dit l'économiste E F Schumacher (auteur du fameux livre Small is Beautiful - une société à la mesure de l'Homme) : « Quand l'homme se fera vainqueur de la Nature, il se trouvera du parti vaincu. », Timothy Adès
Printemps
Tout rayonne, tout luit, tout aime, tout est doux;
Les oiseaux semblent d'air et de lumière fous;
L'âme dans l'infini croit voir un grand sourire.
À quoi bon exiler, rois ? à quoi bon proscrire ?
Proscrivez-vous l'été ? m'exilez-vous des fleurs ?
Pouvez-vous empêcher les souffles, les chaleurs,
Les clartés, d'être là, sans joug, sans fin, sans nombre,
Et de me faire fête, à moi banni, dans l'ombre ?
Pouvez-vous m'amoindrir les grands flots haletants,
L'océan, la joyeuse écume, le printemps
Jetant les parfums comme un prodigue en démence,
Et m'ôter un rayon de ce soleil immense ?
Non. Et je vous pardonne. Allez, trônez, vivez,
Et tâchez d'être rois longtemps, si vous pouvez.
Moi, pendant ce temps-là, je maraude, et je cueille,
Comme vous un empire, un brin de chèvrefeuille,
Et je l'emporte, ayant pour conquête une fleur.
Quand, au-dessus de moi, dans l'arbre, un querelleur,
Un mâle, cherche noise à sa douce femelle,
Ce n'est pas mon affaire et pourtant je m'en mêle,
Je dis: Paix là, messieurs les oiseaux, dans les bois !
Je les réconcilie avec ma grosse voix;
Un peu de peur qu'on fait aux amants les rapproche.
Je n'ai point de ruisseau, de torrent, ni de roche;
Mon gazon est étroit, et, tout près de la mer,
Mon bassin n'est pas grand, mais il n'est pas amer.
Ce coin de terre est humble et me plaît; car l'espace
Est sur ma tête, et l'astre y brille, et l'aigle y passe,
Et le vaste Borée y plane éperdument.
Ce parterre modeste et ce haut firmament
Sont à moi; ces bouquets, ces feuillages, cette herbe
M'aiment, et je sens croître en moi l'oubli superbe.
Je voudrais bien savoir comment je m'y prendrais
Pour me souvenir, moi l'hôte de ces forêts
Qu'il est quelqu'un, là-bas, au loin, sur cette terre,
Qui s'amuse à proscrire, et règne, et fait la guerre,
Puisque je suis là seul devant l'immensité,
Et puisqu'ayant sur moi le profond ciel d'été
Où le vent souffle avec la douceur d'une lyre,
J'entends dans le jardin les petits enfants rire.
Spring
All’s radiant, loving, sweet and bright.
The birds carouse in air and light;
The soul sees in the infinite
Or seems to see, a great big smile.
You kings! Why banish? Why exile?
Do you ban summer? Exile flowers?
Can you prevent the warm bright air
From being boundless, endless, free,
Balm of my banned obscurity?
Can you curtail the surging main,
The bounding foam? Can you contain
The Spring, who spreads his perfumes wide,
A spendthrift, on the crazy side,
Or the vast Sun? You have no way
To keep from me a single ray.
No. I forgive you. Carry on!
Survive, reign longer, if you can!
You may seize empires; I shall pluck, all
The while, a sprig of honeysuckle,
And carry off my conquered flower;
And if above me in the bower
A loud male bird molests his mate,
Is it my business? No – and yet
I intervene, and tell them: Peace,
Birds in the forest, if you please!
With my big voice I reconcile:
A shock can make sour lovers smile...
No river, stream, or rock for me;
A narrow lawn, beside the sea,
A little pond: no bitterness.
I like this humble nook. There’s space,
High overhead, where eagles pass
Stars shine, and mighty Boreas
Wanders about, distractedly.
This modest ground and arching sky
Are mine: the blooms and greenery
Love me; I find, increasingly,
I’m proud to lose my memory.
Here in my woods, what chance at all,
How should I manage to recall
That someone walks the earth afar,
Banishing, reigning, waging war?
Alone with the immensity,
Deep sky of summer over me,
Winds murmuring like a lyre, or softer,
I hear, in the garden, children’s laughter.
Translation: Copyright © Timothy Adès
Timothy Adès est traducteur poète britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec.
Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Louise Labé, Robert Desnos, Jean Cassou, Georges Pérec, Alberto Arvelo Torrealba, du poète vénézuélien des Plaines, du mexicain Alfonso Reyes, de Bertold Brecht et de Sikelian. Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.
"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française. Il est le premier à avoir traduit les Chantefables de Robert Desnos en anglais.
Lauréat des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.
Timothy Ades est membre du CS du PRé.
Dernier ouvrage parus : "Alfonso Reyes, Miracle of Mexico" (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant "(Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, his poems with my versions.
Le jardin de Hauteville
House
Timothy donne une conférence dans le salon
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