Série PRé LE MONDE D'APRES, C'EST MAINTENANT
Une contribution de Philippe Folliot, député du Tarn, membre du conseil scientifique du PRé
PEREGRINATIONS AUTOUR DU MOT PRECAUTION
Le mot précaution vient du latin « praecautio » qui veut dire « se tenir sur ses gardes ». Quoi de plus naturel et sage que de se tenir sur ses gardes, d’être vigilant pour soi, pour autrui, pour son environnement et pour l’environnement…
Une précaution excessive peut-elle faire du tort ?
Dans notre montagne, une forme de principe de précaution était « lo biaïs », ce bon sens paysan qui faisait que l’on regardait à deux fois avant
de prendre une décision, de faire quelque chose, d’avancer un argument… afin de s’assurer de la justesse du choix, de l’utilité de la mesure ou de la pertinence de la
parole.
Tout être sage et raisonné se doit d’être précautionneux.
Dans l’Antiquité, cela était une vertu générale qu’aujourd’hui on pourrait qualifier de prudence. Au titre de cette dernière, on peut essayer de prévenir des risques avérés, des risques prévisibles qu’ils soient liés à des aléas naturels (cyclones, tremblements de terre, catastrophes diverses…) à des aléas industriels (usines Seveso, nucléaire…) en passant par des aléas technologiques (I.A., nanotechnologies…).
Le principe de précaution, dans sa dimension moderne, lui, vaut pour des risques non pas avérés, mais hypothétiques, c’est-à-dire des risques non-confirmés scientifiquement mais qui pourraient éventuellement l’être… ou pas !
Le philosophe allemand Hans JONAS a été le premier à vulgariser cela dans son livre publié en 1979 Le principe de responsabilité, où il pose de vraies questions sur l’avenir de l’Humanité, sur les risques technologiques – et pour que celui-ci soit positif, il proposait d’abandonner le présent et l’interpersonnel au profit de l’avenir et du collectif, idées qui paradoxalement 40 ans après prennent, en un sens, un certain relief !
L’adoption de la Charte de l’environnement, et son introduction dans le préambule de la Constitution lors de la réunion du Congrès de Versailles du 28 février 2005, a donné en France une nouvelle force et légitimité à ce principe de précaution au travers de l’article 5 de ladite charte : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attribution, à la mise en œuvre de procédures d’évaluations des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ». Voilà qui est bien dit, trop bien dit du reste, à tel point que le flou de ces quelques mots a engendré un autre principe, plus grave encore : le principe du parapluie.
Conscients de ces éléments, et de ces risques, je n’avais pas voté ce texte à l’époque, car j’avais conscience qu’au nom du principe de précaution, tout le monde voudrait éviter tout risque, juridique voire judiciaire notamment, et c’est ainsi que le poison de la suspicion et de la peur du risque s’est installé.
Toute société qui refuse de prendre le moindre risque, même mesuré, ciblé, pesé, est condamnée car d’autres le feront à sa place, et elles avanceront.
Nous voyons que des pans entiers de la recherche ont déserté notre pays (génie génétique, biotechnologies…), que globalement nous reculons dans le nombre de dépôt de brevets aujourd’hui – qui seront les entreprises de demain et les emplois d’après-demain…
A l’heure où notre pays est complètement arrêté, à l’heure où une historique récession voit le jour, à l’heure où une crise économique et sociale sans précédent se profile, à l’heure où notre système éducatif est complètement perturbé, si nous devons bien entendu garder sens de la mesure et nous tenir sur nos gardes, préservons la capacité d’initiative, promouvons la prise de risque responsable et pesé, facilitons l’innovation (notamment dans la transition écologique) et, de grâce, mettons, si ce n’est en quarantaine, sous étroite surveillance… les excès du principe de précaution !
Philippe Folliot est député du Tarn, spécialiste des questions marines et ultramarines.
Pt de la délégation française à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN et membre de la commission de la Défense et des Forces armées ;Pt du Groupe d’amitié France/Égypte. Capitaine et talonneur du XV parlementaire. Auteur notamment de « La Passion-Clipperton, l’île sacrifiée » avec Christian JOST (professeur à l’Université de Polynésie Française, chercheur au Centre de Recherches Insulaires et Observatoire de l’Environnement)(Ed. Bibliotèca, Nov. 2018, préface de Jean-Louis Etienne, médecin, explorateur et écrivain) et de (avec Xavier Louy) de « France-sur-Mer: un empire oublié » (Ed du Rocher, 2009).
Philippe Folliot est membre du conseil scientifique du PRé.
LE MONDE D'APRES, C'EST MAINTENANT
Une série de contributions sur " le monde d'après, c'est maintenant ", sous forme d’articles, analyses, idées, tribunes d’opinion, entretiens, voire de chroniques de confinement/post-confinement, mais aussi possiblement sous forme de textes littéraires, poétiques, de gestes artistiques, de vidéos smartphone, capsule vidéos PowerPoint…
Il est trop tôt pour faire le bilan de la crise du Covid 19, mais pas pour commencer à « tirer des leçons », à analyser les premiers effets de cette crise pandémique et à songer utilement à « l’après ». Le Covid-19 n’est évidemment en rien « salutaire », mais il nous permet cependant de mesurer nos fragilités et celle de nos sociétés dont le caractère non safe et non durable éclate au grand jour. C’est un chaos humain dont la réponse génère un désastre humain.
Il interroge notre rapport à la mort. Il nous amène à repenser le progrès, le monde, à nous repenser nous-mêmes et dans notre rapport aux autres. Il plaide pour une réhabilitation de l’État dans sa fonction de stratège, délaissée au fil du temps, pour sa restauration en tant que garant de la protection et de la prospérité pour tous, pour sa transmutation en un État à la fois social et écologique.
La question, aujourd’hui, pas demain, n’est pas d’attendre que ça passe, de revenir à « la normale », elle est ni plus ni moins de se ménager un monde où les humains puissent se retrouver, où leurs désirs et leurs besoins les plus basiques, la nourriture, un toit, aux plus sociaux, aux plus «humains», le besoin de reconnaissance et d’affiliation, leur désir de participer à la vie et aux décisions de la Cité, soient entendus. Elle nous invite en ce XXI ième siècle à « faire commune ».
La question est de définir un espace où nous pourrions continuer de vivre, sans nous laisser accaparer par la peur, ni nous laisser distraire par la pensée magique ou les déconstructions hasardeuses, ni nous faire enfler par l’extension du domaine de la biopolitique, ni nous abandonner davantage à la tentation du repli tribal. Elle ne concerne pas que la stratégie de sortie progressive de l’actuelle crise sanitaire, elle commande de se préparer à la diversité des menaces : virales, dans toutes leurs formes, y compris cyber-attaques, etc. mais aussi d’anticiper le pire à venir pour amortir les conséquences des chaos dont nous savons la prévisibilité (crise climatique). La question convoque les enseignements de l’expérience vécue, mais aussi notre sens du défi et la puissance de l’imaginaire. Et notre ambition : s’agit-il de penser le « Jour d’après » ou le « monde d’après » ?
On ne va pas sortir de la crise. Autrement dit, il n’y a aura pas d’après. Mais un rappel permanent de nos vulnérabilités, de notre précarité, de la non-durabilité de nos sociétés, comme de la finitude du monde. On ne va passer d’un coup d’un monde écrasé par le désir d’accumulation à un mondé ré-enchanté qui ferait toute sa place à la confiance mutuelle, à l’émancipation et au sublime de la vie. Mais il n’est pas interdit d’y travailler. En faisant avec les paradoxes de la situation et en se défaisant de l’illusion de perspective.
"Il n'y a pas de lendemain qui chantent, il n'y a que des aujourd'hui qui bruissent" (Alain Damasio).
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