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DANTE de Barbier / © Timothy Adès

LE POST POETIQUE DU DIMANCHE

 

Voici la nouvelle offrande de notre ami poète-traducteur Timothy Adès : Dante d'Auguste Barbier (1805-1882). Timothy nous fait montre, une fois de plus, de ses talents de traducteur, et plus encore de son extrême maîtrise de l'Art poétique.

Poète aujourd'hui assez méconnu, affectionnant la satire, mais aussi nouvelliste, librettiste, critique d'art et traducteur, Auguste Barbier fut reconnu dans sa jeunesse (à 25 ans) grâce à des poèmes d'inspiration républicaine, consacrés à la révolution de Juillet 1830, publiés dans "La Revue de Paris" et d'autres journaux, puis réunis dans un volume intitulé "Iambes" (1831).

Il fut élu à l'Académie Française en 1869. En 1878, il fut seul, avec Victor Hugo, à voter pour Leconte de Lisle.

"La Curée", dans lequel il se fait le contempteur de ceux qui n'ont pas combattu et pour qui une révolution n'est qu'ue tournée de brigandages, le rendit célèbre en un jour. Un roman satirique, "Les Mauvais Garçons" (en collaboration avec Alphonse Royer), et un opéra, "Benvenuto Cellini" (en collaboration avec Léon de Wailly), musique de Berlioz participèrent aussi à sa renommée. « Ce grand poète d'un jour et d'une heure, que la renommée a immortalisé pour un chant sublime né d'un glorieux hasard ». (Sainte-Beuve. Nouveau Lundi, X).

 

Les guerres, les trahisons et la haine ont fait de Dante un exilé, expulsé de sa ville natale. La race humaine également s’expulse de son paradis terrestre par la convoitise, la rapacité, les consommations furieuses. Nous devons faire tout pour sauvegarder la santé écologique de notre planète. Guterrès à l’ONU revendique le cessez-le-feu mondial immédiat et permanent, et la priorité aux droits de l’homme: l’eau, la nourriture, l’abri, la paix… La France propose la résolution. Que les États-Unis, la Chine, la Russie s’y mettent d’accord ! Timothy Adès

 

DANTE par Auguste Barbier

 

Dante, vieux Gibelin! quand je vois en passant
Le plâtre blanc et mat de ce masque puissant
Que l’art nous a laissé de ta divine tête,
Je ne puis m’empêcher de frémir, ô poète!
Tant la main du génie et celle de malheur
Ont imprimé sur toi le sceau de la douleur.
Sous l’étroit chaperon qui presse tes oreilles,
Est-ce le pli des ans ou le sillon des veilles
Qui traverse ton front si laborieusement?
Est-ce au champ de l’exil, dans l’avilissement,
Que ta bouche s’est close à force de maudire?
Ta dernière pensée est-elle en ce sourire
Que la mort sur ta lèvre a cloué de ses mains?
Est-ce un ris de pitié sur les pauvres humains?
Ah! le mépris va bien à la bouche de Dante,
Car il reçut le jour dans une ville ardente,
Et le pavé natal fut un champ de graviers
Qui déchira longtemps la plante de ses pieds.
Dante vit, comme nous, les passions humaines
Rouler autour de lui leurs fortunes soudaines;
Il vit les citoyens s’égorger en plein jour,
Les partis écrasés renaître tour à tour;
Il vit sur les bûchers s’allumer les victimes;
Il vit pendant trente ans passer des flots de crimes,
Et le mot de patrie à tous les vents jeté
Sans profit pour le peuple et pour la liberté.
Ô Dante Alighieri, poète de Florence,
Je comprends aujourd’hui ta mortelle souffrance;
Amant de Béatrice, à l’exil condamné,
Je comprends ton œil cave et ton front décharné,
Le dégoût qui te prit des choses de ce monde,
Ce mal de cœur sans fin, cette haine profonde
Qui, te faisant atroce en te fouettant l’humeur,
Inondèrent de bile et ta plume et ton cœur.
Aussi, d’après les mœurs de ta ville natale,
Artiste, tu peignis une toile fatale,
Et tu fis le tableau de sa perversité
Avec tant d’énergie et tant de vérité,
Que les petits enfants qui le jour, dans Ravenne,
Te voyaient traverser quelque place lointaine

Disaient en contemplant ton front livide et vert:
‘Voilà, voilà celui qui revient de l’enfer!’

 

DANTE de Barbier         © Timothy Adès

 

Dante, old Ghibelline! Your godlike head,
Poet! – the mighty mask, which art bequeathed:
When I pass by, and see the matt white plaster,
I shudder. Thus did genius and disaster
Stamp sorrow’s seal upon you. Round your ears,
A close-drawn hood… Is it the groove of years,
That furrow carved with toil across your brow?
Or was it wakeful nights that drove the plough?
Was it in Exile’s base degrading field
Your mouth by many a bitter curse was sealed?
And is that smile, lodged in the place of breath,
Your final thought, nailed on by hands of death?
For poor humanity, a sneer of pity!
How well contempt befits the mouth of Dante,
Who first saw daylight in a burning city,
On no paved path but grit and gravel born,
By which for untold years his feet were torn.
Like us, he saw men’s passions round him roll
Their hectic fortunes; parties rose and fell,
Crushed and reborn; victims burnt merrily;
Citizens’ throats were slit, for all to see;
For thirty years the crimes went streaming by,
The name of patriot to the winds hurled high,
No good to common weal, nor liberty.
O Dante Alighieri, Florentine,
I understand today your mortal pain;
Lover of Beatrice, exiled, I know why
The haggard countenance, the hollow eye,
Disgust for worldly things, the ailing heart
Beyond all hope of cure, deep-seated hate
That whipped your temper up and made you cruel,
Flooding your spirit, and your pen, with bile.
Thus by the customs of your native town
You painted a grim canvas, setting down,
Depicting Florence’s perversity
With so much truth and so much energy
That children in Ravenna, watching where
You made your way across a distant square,
Looked on your livid pallor, and could tell:
“There is the man who just came back from Hell.”

 


Translation: Copyright © Timothy Adès

Poème extrait du receuil Iambes et poèmes (1831)


‘Dante à Vérone’ de Cotti ; ‘Le Confinement/Lockdown’ de Botticelli ; ‘Les Simonistes’ [ceux qui exploitent leur haut office pour s’enrichir] de Dalí.

 


TUTTI FRUTTI

 

Chroniques et rendez-vous culturels, éco-gastrosophiques, pour « cueillir le jour » au sens du fameux carpe diem emprunté au poète latin Horace. Au gré des envies et des propositions des uns et des autres. Publiés le week-end.
Animés par Jean-Claude Ribaut et Dominique Painvin. Et depuis le confinement général également par Carole Aurouet, Vianney Huguenot et Timothy Adès.

Timothy Adès est poète traducteur-britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec.

Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Louise Labé, Robert Desnos, Jean Cassou, Georges Pérec, Alberto Arvelo Torrealba, du poète vénézuélien des Plaines, du mexicain Alfonso Reyes, de Bertold Brecht et de Sikelian. Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.

"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française. Il est le premier à avoir traduit les Chantefables de Robert Desnos en anglais.

Lauréat des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.

Timothy Ades est membre du CS du PRé.

 

Dernier ouvrage parus : "Alfonso Reyes, Miracle of Mexico" (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant "(Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, his poems with my versions. 

 

www.timothyades.co.uk

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