Abbé Grégoire
On va me dire de ne pas tout mélanger.
D’accord. Mais quand même.
On parle souvent – et on a raison – des 80 parlementaires qui refusent, le 10 juillet 1940, d’accorder les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Qui se souvient des 64 parlementaires qui, le 20 mai 1802, s’opposent, contre 211 de leurs collègues, au rétablissement de l’esclavage ?
Parmi eux, le Lorrain Henri Grégoire, dit l’Abbé Grégoire. Bonaparte casse ainsi l’acte d’abolition de l’esclavage voté huit ans plus tôt sous la houlette de Grégoire, entre autres, alors député de la Constituante. Il faudra attendre Schoelcher, en 1848, pour abolir à nouveau. La vie d’Henri Grégoire, incroyable curé de campagne, né en 1750 à Vého, en Meurthe-et-Moselle, est parsemée d’actes de résistance. Parsemée, non, le terme est mauvais.
Il combat les ignorances, les habitudes et les traditions y compris dans sa religion catholique.
Bâtie, tissée, oui. La vie de Grégoire est tissée d’actes de résistance, de transgressions à des règles inutiles ou imbéciles, de désobéissances aux conventions. Il combat les ignorances, les habitudes et les traditions – y compris dans sa religion catholique – ce trio tenace qui autorise les uns à penser l’impensable. Les autres, à tolérer l’intolérable.
On le dit révolutionnaire. Il est honnête, d’abord, et courageux. Dans sa bio (1), on relève, en 1782, ce qui fut l’un de ces premiers actes de courage. Il vient d’être nommé curé d’Emberménil, voisin de son Vého natal. Il dote l’église d’une bibliothèque de 76 ouvrages.
On y lit des choses sur la mécanique, le droit, l’arithmétique, les sciences. Il est l’anti-ignorantisme incarné. Par morale chrétienne, sans doute. Par souci de l’efficacité et de l’accomplissement de la République, aussi. « Il faut créer des écoles normales pour y former des instituteurs laïcs ; s’ils sont bons, vous aurez tout. Avec eux, l’instruction et la vertu pénétreront l’enfant par tous les sens ». On dirait du Jules Ferry ! L’Abbé Grégoire dit ces mots en 1793. Celui « d’instituteur » est ici employé, pour la première fois, dans le sens où nous l’entendons aujourd’hui. Grégoire laisse son nom dans l’histoire, et une trace aux allures de route.
Il est le député du Clergé qui milite pour la réunion avec le Tiers-Etat, avant de rejoindre les bancs de celui-ci.
On va me dire ne pas tout mélanger, d’accord, mais quand même.
C’est un peu comme si Monsieur Wauquiez, subitement illuminé par la grâce, divorçait de ses obscurantismes pour tendre la main à Madame Taubira. Je sais, le parallèle est peu grossier, mais on voit mieux les choses ainsi. Grégoire est l’auteur de l’article premier de la Déclaration des Droits de l’Homme, il est président de la Société des Amis des Noirs, défenseur des Juifs, prix de l’Académie de Nancy pour son Éloge de la poésie, fervent adversaire de Napoléon, ami du génial pasteur Oberlin.
Grégoire est « très heureux, très productif, très ingénieux » – c’est le pasteur qui le dit – il est un opposant à la peine de mort, il est cent et cent autres choses encore, dont un homme très contemporain.
L’Abbé Grégoire est l’auteur de l’article premier de la Déclaration des Droits de l’Homme.
Il l’est tant, que 150 ans après sa mort,en 1989, lorsque son entrée au Panthéon est décrétée, l’église catholique boude encore.
Il l’est tant qu’il m’a semblé le retrouver, l’autre jour, en Meurthe-et-Moselle. Je suis d’abord allé à Emberménil.
Je suis entré dans son musée. Un homme heureux, jovial, cordial, causant, m’accueillait. Faites un saut de ce côté de la Lorraine. Ce petit musée est un hommage délicieux, et très fourni, à l’Abbé Grégoire. Et puis je suis allé à Vého, dont la rue centrale est aussi large et lorraine que l’esprit du curé. Devant sa maison natale, sur un panneau d’expression libre, roupillent trois affiches du Front National. Timidement, peut-être même inconsciemment, biffées par l’annonce d’une prochaine course de voitures de légendes…
(1) L’une des biographies les plus complètes, si vous n’avez pas le temps d’entrer dans un livre, est sur le site du musée de l’Abbé Grégoire : http://musee-abbe-gregoire.fr/un-homme/sa-biographie
Vianney Huguenot est journaliste, chroniqueur sur France Bleu Lorraine et France Bleu Alsace. Il anime également une émission sur
Mirabelle TV (ViaMirabelle), « Sur ma route » au cours de laquelle il nous fait partager son « sentiment géographique », également sur ViaVosges.
Il a écrit plusieurs ouvrages, notamment : « Les Vosges comme je les aime » (Vents d'Est 2015), « Jules Ferry, un amoureux de la République » (Vents d'Est 2014), « Jack Lang, dernière campagne. Éloge de la politique joyeuse » (Editions de l'aube 2013), « Les Vosges par le cul de la bouteille » (Est livres 2011, préfaces de Philippe Claudel et Claude Vanony).
TUTTI FRUTTI
Chroniques et rendez-vous culturels, éco-gastrosophiques, pour « cueillir le jour » au sens du fameux carpe diem emprunté au poète latin Horace. Parfois même humeuristiques sic ! Au gré des envies et des propositions des uns et des autres. Publiés généralement le week-end. Animés par Jean-Claude Ribaut et Dominique Painvin. Et depuis l'apparition du covid-19 également par Carole Aurouet, Vianney Huguenot, Timothy Adès.
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