Série PRé Le monde d’après, c’est maintenant
Une contribution de Rita Fahd
Personne ne conteste aujourd’hui l’urgence climatique et la baisse brutale de la biodiversité, qui mettent en péril l’humanité.
Pourtant, nous n’arrivons pas à prendre les mesures décisives pour inverser les tendances.
Devant notre incapacité à repenser nos modes de vie et notre consommation, les enjeux se portent, de plus en plus, sur l’adaptation à ces changements considérés désormais comme inéluctables.
Pourquoi face aux périls qui nous menacent et qui sont liés à cette consommation, nous réagissons aussi mollement ?
On ne peut comprendre cette paralysie d’action sans revenir à comment on en est arrivé à une situation aussi irrationnelle. Les ressorts qui sont en jeu se sont construits lentement mais surement au fil des siècles. Ils sont, de ce fait, fortement ancrés dans la culture et dans ce qui fait notre identité, ce qui rend encore plus complexe le changement.
Parler de consommation, c’est parler de la publicité… immanquablement. Il ne s’agit pas de s’en prendre à une profession, qui génère à la fois fascination et rejet. Ce qui est en cause, c’est le modèle économique linéaire des entreprises. Son bras armé, la partie immergée de l’iceberg, à savoir la publicité a, elle, été d’une efficacité redoutable.
La publicité dans ses contours actuels existe depuis le XIXème siècle, période à partir de laquelle les journaux ont inséré des réclames pour se financer. Depuis, elle a pris un essor considérable, ne laissant progressivement que peu d’espaces « off ». Nous la trouvons sur les espaces dédiés en ville, dans nos boites aux lettres, à la radio, à la télévision, mais aussi sur les réseaux sociaux, nos vêtements et accessoires, pire encore sur les jouets des enfants.
La publicité prend de multiple forme, mais l’une des plus efficaces est probablement le logo, concentré visuel et identitaire de la marque, qui se veut gage de qualité et de sécurité (ce n’est pas toujours le cas). Il peut s’afficher avec ostentation ou discrètement dans les moindres espaces de nos vies. Nous sommes devenus ces propres médias (vêtements, accessoires, etc.).
La marque via son logo donne assurance dans une société valorisant l’avoir. Elle assoit un statut que l’on veut bien-sûr supérieur aux autres. Ce n’est pas ce que nous sommes en capacité de faire, ceux que nous avons réalisé ou même ceux que nous ressentons qui fait que nous sommes considérés, mais bien ce que nous sommes en capacité d’afficher (via la consommation et la marque). Apparaitre donc, donner à voir, c’est cette norme que la publicité insère à force de répétition dans nos esprits.
Les marques sont ainsi devenues les outils de notre propre publicité ! En les affichant, nous nous attribuons leurs valeurs et nous construisons une image, bien sûr simpliste et fictive de nous-même. Elles nous enferment dans un monde, fait de perfection soulignant en creux nos propres imperfections, qui pourtant nous rendent si humain. Elles nous invitent à compenser notre mal-être ou à toujours chercher à se démarquer par une consommation régulièrement et fréquemment renouvelée. Nous acceptons, de notre plein gré, de nous soumettre et de donner prise à un phénomène qui ne s’impose pas à nous.
Tous ces objets, que nous ne savons même plus ou stocker, remplissent un vide au sein d’une société occidentale où les croyances religieuses se sont affaiblies et où le miroir, dans lequel on veut voir briller son reflet, se trouve parfois dans les yeux de l’autre. Chercher à se parer de signes via une consommation irraisonnée peut être une tentative de combler un vide spirituel ou existentiel. La société est aussi en quête de sens, mais elle cherche parfois des réponses, là où il n’y a que dépendance à un modèle, alimentée par des frustrations permanentes.
Et la pub, dans tout ça ? Détectant les aspirations, les fragilités et les besoins des individus, le monde de la publicité a compris qu’il fallait donner de la profondeur à ces messages. Il n’est donc pas étonnant qu’il se soit emparé de l’art. L’art nous émerveille, nous émeut et nous reconnecte avec une forme d’immatériel pour nous élever le temps d’un instant. La cinquième symphonie de Beethoven a servi de musique de fond dans une publicité pour un lave-linge (du groupe LG). L’une des œuvres musicales classiques les plus inspirantes, un chemin vers la spiritualité et l’infini, dirons certains, est devenue le faire valoir d’un lave-linge ! Et les exemples sont pléthoriques…
La publicité a été une source d’inspiration pour les artistes contemporains qui s’en sont saisie pour y puiser leur imaginaire. Depuis Marcel Duchamp et son ready-made Fontaine à Andy Warhol, avec son Campbell’ Soup Cans, les frontières entre l’art et l’objet d’usage quotidien, même le plus trivial se posent. Des grands artistes de René Magritte à Henri de Toulouse-Lautrec ont réalisé des affiches publicitaires, tout en marquant de manière majeure l’histoire de l’art. Andy Warhol, à ses débuts dessinateur publicitaire, disait ainsi : « L’art, c’est de la publicité, La Joconde aurait pu servir de support à une marque de chocolat, à Coca-Cola ou à tout autre chose ». René Magritte évoquait quant à lui « un art appliqué (qui) tue l’art pur ».
L’art a apporté matière et consistance à la publicité, qui nous séduit d’autant plus et nous invite à céder à nos penchants d’individu en quête de reconnaissance et de distinction. La consommation de masse irraisonnée est un phénomène culturel propre à nos sociétés. Elle a pu émerger parce que depuis la Renaissance, l’individu est au centre du monde et tout se pense à travers et autour de lui. C’est pourquoi les résistances sont fortes au changement et l’idée de devoir repenser sa consommation est source d’inquiétudes, voire d’angoisse. Un vide est à remplir et un changement de paradigme dans la perception que nous avons du monde est à enclencher ! Ni plus ni moins !
Il est parfois des crises qui se transforment en opportunité. Le COVID-19, l’infiniment petit, nous a rappelé avec une extrême force que le pouvoir de l’homme sur la nature n’est qu’une douce illusion. Nous sommes dépendants de notre environnement et nous gagnerons à adopter une attitude plus humble. L’urgence climatique est là, et nous avons aujourd’hui une opportunité à saisir. Nous sortons d’une période de deux mois de confinement où contraints et forcés, nous avons modifié notre approche de la consommation. Capitalisons dessous !
Nous avons la responsabilité de poser les fondements d’un monde nouveau. Le changement est certes complexe. Il faut bien rappeler ce qui se joue individuellement derrière la question de la sobriété de la consommation. Comment désormais se faire plaisir ? Comment être heureux ? Comment se distinguer ? Un questionnement que l’on se garde bien sûr d’énoncer, et qui renvoie à la nature de la compensation, face à un sentiment de perte. Mais ces pertes ne sont rien au regard de l’héritage que nous léguons : un monde invivable, des états endettés et l’insécurité.
Le changement ne peut pas être punitif dans les états démocratiques (tant que la nature nous le permettra…), d’où la nécessité de proposer un horizon désirable. Nous avons les solutions, il nous manque encore la volonté et la détermination pour la mise en œuvre. Pour construire le Nouveau, nous avons besoin de nous libérer l’esprit, en commençant par réduire la pression publicitaire. Les Français eux-mêmes sont en demande, les recommandations de la Convention citoyenne pour le climat vont dans ce sens. Alors qu’attendons-nous encore pour créer les conditions de nous penser et de penser le monde autrement?
Rita Fahd, professionnelle de la communication et du marketing, est une spécialiste des questions relatives à la responsabilité sociétale des organisations (RSO).
Elle est vice-pte du Conseil Paritaire de la Publicité, instance rattachée à l’ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité, ex BVP).
Au sein de l’Adetem (Association Nationale des Professionnels du Marketing), elle s’évertue à promouvoir un marketing responsable dans sa finalité et ses moyens d’actions. Elle s’implique, depuis 2014, sur les problématiques déontologiques de la profession. Rita Fahd est membre de la Plateforme RSE (installée par le Premier ministre au sein de « France Stratégie » en juin 2013) qui émet des avis et des recommandations sur les questions sociales, environnementales et de gouvernance.
Elle est également administratrice de plusieurs associations de protection de l’environnement, administratrice du Mouvement associatif (porte-voix des dynamiques associatives, rassemblant près d’une assoc sur deux), de France Nature Environnement (FNE) et membre de l’association francilienne Nature & Société.
Co-rédactrice, entre autres, du « Guide la communication responsable » 2020 (Ademe)
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