LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES
Notre ami le poète-traducteur britannique Timothy Adès nous revient exceptionnellement aujourd'hui lundi, en ce jour du 8 juin, en compagnie d'Aragon et de Jean Ferrat.
Le 22 février 1944, Robert DESNOS est arrêté par la Gestapo à Paris, rue des Saussaies, à 10 heures du matin. D’abord incarcéré à la prison de Fresnes, Robert Desnos est ensuite interné au camp de Royallieu (Compiègne) du 20 mars au 27 avril 1944.
Le 30 avril 1944, il est acheminé à Auschwitz dans un convoi de 1 700 hommes. Il est déporté successivement vers le camp de Buchenwald, puis vers celui de Flossenburg. Et enfin vers le Kommando de Flöha en Saxe où il travaille pour les usines
Messerschmitt.
Robert Desnos à une terrasse de café à Montparnarsse
Au moment de la Libération, Robert Desnos est transféré dans le camp de Theresienstadt (Térézin), en Tchécoslovaquie. Le 8 juin 1945, épuisé, Robert Desnos meurt du typhus à Terezin à l'âge de 45 ans.
Résistant actif, il a écrit trois grands poèmes contre l'Occupation : celui publié hier, Ce Coeur qui Haissait la Guerre, mais aussi Le cimetière et l'épitaphe, deux poèmes extraits du receuil ' Contrée '.
Il est le seul écrivain à être honoré avec deux citations dans le Mémorial des Martyrs de la Déportation derrière Notre-Dame de Paris.
Voici donc aujourd'hui Robert le Diable de Jean Ferrat, une adaptation de Complainte de Robert le Diable, poème écrit par Louis Aragon en septembre 1945 (paru dans le recueil Les Poètes en 1960 chez Gallimard dans le chapitre : Spectacle à la Lanterne Magique), en hommage à Robert Desnos. La chanson parait en 1971 dans l'album Ferrat chante Aragon (Barclay, novembre 1971).
Notons que Desnos qui aimait autant Haendel ou Stravinsky que les chanteurs populaires, Fréhel, Georgius ou Maurice Chevalier a inspiré également Eric Satie, Francis Poulenc ou Henri Dutilleux...
Timothy Adès, London, le 8 Juin 2020
Timothy Adès a présenté quelques poèmes de Desnos, traduits par ses soins, à l'Institut Français de Londres Le 18 Octobre 2017, avec les complicités talentueuses de Marina Warner et de Sonia Masson : https://www.youtube.com/watch?v=_bmlw4va1as&t=1289s
Robert Le Diable
Tu portais dans ta voix comme un chant de Nerval
Quand tu parlais du sang jeune homme singulier
Scandant la cruauté de tes vers réguliers
Le rire des bouchers t’escortait dans les Halles
Tu avais en ces jours ces accents de gageure
Que j’entends retentir à travers les années
Poète de vingt ans d’avance assassiné
Et que vengeaient déjà le blasphème et l’injure
Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne
Comme un soir en dormant tu nous en fis récit
Accomplir jusqu’au bout ta propre prophétie
Là-bas où le destin de notre siècle saigne
Debout sous un porche avec un cornet de frites
Te voilà par mauvais temps près de Saint-Merry
Dévisageant le monde avec effronterie
De ton regard pareil à celui d’Amphitrite
Enorme et palpitant d’une pâle buée
Et le sol à ton pied comme au sein nu l’écume
Se couvre de mégots de crachats de légumes
Dans les pas de la pluie et des prostituées
Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne
Comme un soir en dormant tu nous en fis récit
Accomplir jusqu’au bout ta propre prophétie
Là-bas où le destin de notre siècle saigne
Et c’est encore toi sans fin qui te promènes
Berger des longs désirs et des songes brisés
Sous les arbres obscurs dans les Champs-Elysées
Jusqu’à l’épuisement de la nuit ton domaine
O la Gare de l’Est et le premier croissant
Le café noir qu’on prend près du percolateur
Les journaux frais les boulevards pleins de senteur
Les bouches du métro qui captent les passants
Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne
Comme un soir en dormant tu nous en fis récit
Accomplir jusqu’au bout ta propre prophétie
Là-bas où le destin de notre siècle saigne
La ville un peu partout garde de ton passage
Une ombre de couleur à ses frontons salis
Et quand le jour se lève au Sacré-Cœur pâli
Quand sur le Panthéon comme un équarissage
Le crépuscule met ses lambeaux écorchés
Quand le vent hurle aux loups dessous le Pont-au-Change
Quand le soleil au Bois roule avec les oranges
Quand la lune s’assied de clocher en clocher
Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne
Comme un soir en dormant tu nous en fis récit
Accomplir jusqu’au bout ta propre prophétie
Là-bas où le destin de notre siècle saigne
Jean Ferrat : https://www.youtube.com/watch?v=8qYYe43OZWI
I Think of You Robert
Your voice was charged with something of Nerval
You spoke of blood most singular young man
Your cruel formal verse you made it scan
Laughter of butchers flanked you in Les Halles
You seemed already to be laying odds
Across the years I hear the resonance
Poetic tyro slaughtered in advance
Avenged back then by sneers at men and gods
You left Compiègne I think of you Robert
Just as asleep one evening you had said
So you fulfilled that prophecy you made
Fate of our century lies bleeding there
Stood in a doorway with a twist of fries
St Merry overhung by thunderclouds
Impertinently staring down the crowds
You gazed like royal-blood Nereides
Enormous throbbing with a pallid haze
Ground at your foot like foam at breast of nude
Thick with fag-ends and cabbage chewed and spewed
Footfall of rain and all-too-ready lays
You left Compiègne I think of you Robert
Just as asleep one evening you had said
So you fulfilled that prophecy you made
Fate of our century lies bleeding there
It’s you it still is you still strolling on
Shepherd of long desires dead reveries
The Champs-Elysées dim below the trees
Until your own domain the night is gone
O Gare de l’Est first croissant of the day
Black coffee percolated freshly poured
Crisp morning papers pungent boulevard
The metro-mouths where figures drained away
You left Compiègne I think of you Robert
Just as asleep one evening you had said
So you fulfilled that prophecy you made
Fate of our century lies bleeding there
Your passing haunts the city’s grimy brows
With coloured shade The Sacré-Cœur is wan
As knacker daybreak flays the Pantheon
With shreds and tatters Later in the Bois
The sun rolls oranges itself an orange
The moon transfers her seat from tower to tower
Striking the belfries as they strike the hour
And the wind howls beneath the Pont-au -Change
You left Compiègne I think of you Robert
Just as asleep one evening you had said
So you fulfilled that prophecy you made
Fate of our century lies bleeding there
Translation: Copyright © Timothy Adès
Complainte de Robert le Diable, Louis ARAGON
Tu portais dans ta voix comme un chant de Nerval
Quand tu parlais du sang jeune homme singulier
Scandant la cruauté de tes vers réguliers
Le rire des bouchers t’escortait dans les Halles
Parmi les diables chargés de chair tu noyais
Je ne sais quels chagrins ou bien quels blue devils
Tu traînais au bal derrière l’Hôtel-de-Ville
Dans les ombres koscher d’un Quatorze-Juillet
Tu avais en ces jours ces accents de gageure
Que j’entends retentir à travers les années
Poète de vingt ans d’avance assassiné
Et que vengeaient déjà le blasphème et l’injure
Tu parcourais la vie avec des yeux royaux
Quand je t’ai rencontré revenant du Maroc
C’était un temps maudit peuplé de gens baroques
Qui jouaient dans la brumes à des jeux déloyaux
Debout sous un porche avec un cornet de frites
Te voilà par mauvais temps près de Saint-Merry
Dévisageant le monde avec effronterie
De ton regard pareil à celui d’Amphitrite
Enorme et palpitant d’une pâle buée
Et le sol à ton pied comme au sein nu l’écume
Se couvre de mégots de crachats de légumes
Dans les pas de la pluie et des prostituées
Et c’est encore toi sans fin qui te promènes
Berger des longs désirs et des songes brisés
Sous les arbres obscurs dans les Champs-Elysées
Jusqu’à l’épuisement de la nuit ton domaine
Oh la Gare de l’Est et le premier croissant
Le café noir qu’on prend près du percolateur
Les journaux frais les boulevards pleins de senteur
Les bouches du métro qui captent les passants
La ville un peu partout garde de ton passage
Une ombre de couleur à ses frontons salis
Et quand le jour se lève au Sacré-Coeur pâli
Quand sur le Panthéon comme un équarissage
Le crépuscule met ses lambeaux écorchés
Quand le vent hurle aux loups dessous le Pont-au-Change
Quand le soleil au Bois roule avec les oranges
Quand la lune s’assied de clocher en clocher
Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne
Comme un soir en dormant tu nous en fis récit
Accomplir jusqu’au bout ta propre prophétie
Là-bas où le destin de notre siècle saigne
Je pense à toi Desnos et je revois tes yeux
Qu’explique seulement l’avenir qu’ils reflètent
Sans cela d’où pourrait leur venir ô poète
Ce bleu qu’ils ont en eux et qui dément les cieux
Timothy Adès est poète traducteur-britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Louise Labé, Robert Desnos, Jean Cassou, Georges Pérec, Alberto Arvelo Torrealba, du poète vénézuélien des Plaines, du mexicain Alfonso Reyes, de Bertold Brecht et de Sikelian. Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.
"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les Chantefables de Robert Desnos en anglais. Lauréat des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.
Timothy Ades est membre du CS du PRé, co-animateur de la rubrique Tutti Frutti et publie régulièrement un post poétique, en général le dimanche en fin d'après-midi.
Dernier ouvrage parus : "Alfonso Reyes, Miracle of Mexico" (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant "(Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, his poems with my versions.
" ... Jusqu'à la mort, Desnos a lutté. Tout au long de ses poèmes l'idée de liberté court comme un feu terrible, le mot de liberté claque comme un drapeau parmi les images les plus neuves, les plus violentes aussi. La poésie de Desnos, c'est la poésie du courage.
Il a toutes les audaces possibles de pensée et d'expression. Il va vers l'amour, vers la vie, vers la mort sans jamais douter.
Il parle, il chante très haut, sans embarras. Il est le fils prodigue d'un peuple soumis à la prudence, à l'économie, à la patience, mais qui a quand même toujours étonné le monde par ses colères brusques, sa volonté d'affranchissement et ses envolées imprévues... "
Paul ELUARD
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jeannaem@hotmail.fr (lundi, 08 juin 2020 13:16)
Mort à Thérézin en Tchéquie, dans une prison de la Gestapo. Dans la cour, un mémorial des camps et toujours une plaque en mémoire de Desnos. Peu savent qu'il fut libéré des camps par l'armée rouge. Thérézin avait été transformée en hôpital et Robert y est mort, soigné par des infirmiers tchèques qui connaissaient ses poèmes...
Claude Gallier (mercredi, 27 mars 2024 19:34)
Bonjour, le texte que vous publiez sur cette page n'est pas le poème d'Aragon mais la chanson de jean ferrat . Merci de bien vouloir le vérifier.
Timothy Adès (jeudi, 28 mars 2024 00:11)
Merci, vous avez raison ! Voici le poème d'Aragon : http://www.24601.fr/sl/complainte-de-robert-le-diable-louis-aragon/ . Jusqu'à ce jour il m'était inconnu.
Dominique LEVEQUE (jeudi, 28 mars 2024 11:06)
Mille excuses ! C'est sans doute moi qui ai fait la confusion et me suis trompé dans le titrage. Il s'agit ici bien évidemment d'une chanson du parolier, musicien, compositeur et chanteur Jean Ferrat (Jean Tenenbaum), qui a adapté ici et mis en musique le magnifique poème d'Aragon...
Erreur rectifiée !
Merci Claude pour votre vigilance