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À GEORGES, par Victor Hugo / Timothy Adès

LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES


 

Il y a peu d’hommes qui ont incarné leur siècle comme Victor Hugo (1802-1885)

au XIXe siècle. Il y en a encore moins dont l’œuvre a gardé au-delà du temps, et la faveur des Français et celle des lecteurs étrangers. Poète puissant, dramaturge fécond, romancier devenu une référence, mais aussi une source d’inspiration, pour ne pas dire une boussole, notamment pour qui garde intact l’amour de la République, dans l’hexagone comme à l’international, lutteur infatigable pour la liberté, figure quasi iconique pour toutes celles et tous ceux qui continuent de désirer l’Europe, le monde et l’humanité, Victor Hugo laisse une œuvre immense, rare, sur le fond et la forme. Une œuvre qui emporte souvent l’enthousiasme, inspire encore aujourd’hui notre pratique de la vie, une œuvre populaire et exigeante, accessible et nuancée à la fois.

 

Illustrations des Chantefables de Desnos, édition bilingue

Par Cat Zaza, traduction Timothy Adès

Notre ami britannique Timothy Adès qui nourrit une véritable passion pour Victor Hugo nous offre ce dimanche A Georges, un poème dédié à son petit-fils  Georges (fils de Charles Hugo et de Alice Lehaene) avec bien sûr, comme à l'accoutumée, sa traduction (poétique) en anglais. Ecrit à une époque, nous rappelle Timothy Adès, où  il avait perdu presque toute sa famille, sauf deux jeunes petits-enfants. 

" Georges Victor-Hugo est devenu artiste, père de l'artiste Jean Hugo, dont la fille est l'artiste #MarieHugo. Elle a créé les imprimés et les tasses qui étaient des prix dans le concours de The Victor Hugo in Guernsey Society que j'ai récemment co-jugé ".

" Les  réflexions de Victor Hugo sur l’enfance, la vieillesse, la politique, l’histoire, les royaumes naturels et les animaux, sont déversées dans ces poèmes avec une énergie torrentielle ".


" À Georges "

Encore des animaux grands, beaux et rares ! À nous écolos de les conserver. Voici Victor Hugo qui amène son petit-fils Georges au Zoo, dans le Jardin des Plantes. Le poème se trouve dans son dernier recueil, L'art d'être grand-père, publié en 1877. J’ai traduit le livre entier à l’anglais : il est plein de charme et de sentiment, mais aussi de sagesse et de noblesse. Ainsi fut l’homme-océan.

 

Mon doux Georges, viens voir une ménagerie
Quelconque, chez Buffon, au cirque, n'importe où;
Sans sortir de Lutèce allons en Assyrie,
Et sans quitter Paris partons pour Tombouctou.

 

Viens voir les léopards de Tyr, les gypaètes,
L'ours grondant, le boa formidable sans bruit,
Le zèbre, le chacal, l'once, et ces deux poètes,
L'aigle ivre de soleil, le vautour plein de nuit.

 

Viens contempler le lynx sagace, l'amphisbène
À qui Job comparait son faux ami Sepher,
Et l'obscur tigre noir, dont le masque d'ébène
A deux trous flamboyants par où l'on voit l'enfer.

 

Voir de près l'oiseau fauve et le frisson des ailes,
C'est charmant; nous aurons, sous de très sûrs abris,
Le spectacle des loups, des jaguars, des gazelles,
Et l'éblouissement divin des colibris.

 

Sortons du bruit humain. Viens au Jardin des Plantes.
Penchons-nous, à travers l'ombre où nous étouffons
Sur les douleurs d'en bas, vaguement appelantes,
Et sur les pas confus des inconnus profonds.

 

L'animal, c'est de l'ombre errant dans les ténèbres;
On ne sait s'il écoute, on ne sait s'il entend;
Il a des cris hagards, il a des yeux funèbres;
Une affirmation sublime en sort pourtant.

 

Nous qui régnons, combien de choses inutiles
Nous disons, sans savoir le mal que nous faisons !
Quand la vérité vient, nous lui sommes hostiles,
Et contre la raison nous avons des raisons.

 

Corbière à la tribune et Frayssinous en chaire
Sont fort inférieurs à la bête des bois;
L'âme dans la forêt songe et se laisse faire;
Je doute dans un temple, et sur un mont je crois.

 

Dieu par les voix de l'ombre obscurément se nomme;
Nul Quirinal ne vaut le fauve Pélion;
Il est bon, quand on vient d'entendre parler l'homme,
D'aller entendre un peu rugir le grand lion.

              To George

 

 

 

Let’s go, dear George, and see the Zoo:

Jardin des Plantes’, Big Top, wherever:

Off to Assyria! and we’ll never

Leave Paris. Off to Timbuctoo!

 

 Zebras and jackals and ounces; regal

Lions; the sly lynx, and the bear,

(Growl, growl) and that poetic pair,

Vulture of night and sun-drunk eagle;

 

Leopards from Nineveh and Tyre;

Boa constrictor, silent, feared,

And the great bird that grows a beard

And steals our sheep, the lammergeier;

 

The amphisbæna’s there as well,

Job’s two-faced friend, who smiles and lies;

And the black panther’s fearsome eyes,

Two flaming holes that show us hell.

 

We’ll watch in safety, at our ease,

Wing-beats of wild birds, near, not far;

Wolves and gazelles, a jaguar,

And lovely dazzling colibris.

 

Leave human hubbub. In the Park,

Look down, across the stifling murk,

Where sorrows pace, and check, and lurk,

And vaguely call from deepest dark.

 

They may not hear, they may not heed,

For beasts are shadows mazed in gloom.

Their cries are wild, their eyes flash doom;

Yet they affirm some lofty creed.

 

We monarchs, idly chattering,

Know nothing of the harm we do:

Truth comes, and we reject the true,

Against all reason reasoning.

 

The judge’s robe, the bishop’s sleeve,

Can’t match the woods’ wild animal.

Forests set free the dreaming soul:

In pews, I doubt; on peaks, believe.

 

God speaks in shadow-tones, obscure.     

No Court can match the mountainside.

When Man has stood and speechified,

Go out and hear the lion’s roar.

 


Translation: Copyright © Timothy Adès

Lettre autographe (Maison de Victor Hugo - Hauteville House);

Photos animaux, website du Jardin des Plantes;

How to be a Grandfather, Victor Hugo, (Hearing Eye 2012), by Timothy Adès, the new complete edition, revised and enlarged, 184 pages;

Georges Hugo, photographié par Nadar (Gaspard-Félix Tournachon, dit) (Paris, 06–04–1820 - Paris, 21–03–1910).


Timothy Adès est poète traducteur-britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Louise Labé, Robert Desnos, Jean Cassou, Georges Pérec, Alberto Arvelo Torrealba, du poète vénézuélien des Plaines, du mexicain Alfonso Reyes, de Bertold Brecht et de Sikelian. Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.

"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les Chantefables de Robert Desnos en anglais. Lauréat des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.

Timothy Ades est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique Tutti Frutti.

 

 

Il sera au Festival de la poésie de Torbay (Sud-ouest de l'Angleterre) en octobre prochain et dialoguera avec Wolfgang Görtschacher (professeur assistant principal à l’université de Salzbourg, où il enseigne la critique littéraire et les études de traduction.) et Kathleen Kummer (a travaillé comme traductrice à Londres et à Amsterdam, et a enseigné en France, en Angleterre et aux Pays-Bas), à la faveur d'un échange orchestré par Danielle Hope (fondatrice et éditrice de "Zenos", un magazine de poésie britannique et internationale; elle a édité le travail du poète turc, Feyyaz Fergar, et est conseillère éditoriale au Magazine littéraire, Acumen ).

 

Derniers ouvrages parus : "Alfonso Reyes, Miracle of Mexico" (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant "(Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, his poems with my versions.

Timothy Adès | rhyming translator-poet

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Commentaires: 1
  • #1

    Timothy Adès (dimanche, 19 juillet 2020 22:44)

    Hélas non, je ne serai pas au Torbay Poetry Festival, c'était une mémoire du passé, offrande de Facebook selon sa coutume.