Edgar MORIN. Les souvenirs viennent à ma mémoire. Fayard. 2019. 762 pages.
Edgar Morin est le plus grand penseur français contemporain. Il est à l’origine de la pensée complexe et du décloisonnement des disciplines scientifiques, il est l’un des fondateurs des sciences de la communication, de l’étude des crises et de bien d’autres avancées. En 2003, alors que personne n’en parlait, il dénonçait déjà « l’obsolescence rapide des produits, la promotion du jetable au détriment du durable » et nous alertait sur les dégâts causés par notre mode de vie sur l’environnement.
C’est également un personnage remarquable et ses mémoires qu’il nous propose sont une illustration d’une existence bien remplie et racontée avec humilité et humour
Edgar Morin nous avait déjà livré ses souvenirs avec la publication de son journal (2 tomes et pas loin de 2 000 pages !), une excellente biographie lui avait été consacré par Emmanuel Lemieux en 2009, certains aspects de sa vie avaient déjà fait l’objet de publications, notamment sur son enfance à Paris, sur son père, sur la période de l’après-guerre. Ses mémoires publiés aujourd’hui sont classés par thème et non chronologiquement, ils sont un vrai régal de lecture. Nous y découvrons un personnage incroyablement ouvert aux autres, un amoureux du Maroc, de l’Italie et de l’Amérique Latine, un homme aux coups de coeur multiples et très souvent en quête de séductions, un homme toujours prêt à aller chanter et danser après l’un de ses colloques, un auteur qui s’interroge sur la destinée de ses livres à l’exemple de Le vif du sujet paru en 1969 qu’il considère comme son meilleur livre, et pourtant le moins lu.
Fortement actif durant la Résistance, engagé dans les mouvements littéraires et philosophiques de l’après deuxième guerre mondiale, il nous propose une traversée incomparable de la deuxième moitié du 20ème siècle. On remarque ainsi que le seul intellectuel qu’il a du mal à estimer est Pierre Bourdieu, présenté comme « impérieux et avide de pouvoir, dogmatique, sectaire ».
Il le suspecte d’avoir voulu minimiser l’apport sociologique d’Edgar Morin au profit de la construction de son propre personnage.
Le livre fourmille de descriptions de voyages, de conseils d’écoute de chansons, de découvertes cinématographiques.
Le livre est également plein d’anecdotes savoureuses comme la fois où, invité à Rio pour une conférence, l’organisateur s’aperçoit peu avant le début que la salle est totalement vide. « Aussitôt, le recteur donna l’ordre à tout le personnel demeurant dans les locaux, secrétaires, femmes de ménage, balayeurs, d’occuper les fauteuils, on confia à chacun un carnet et un crayon et on leur ordonna de feindre de prendre des notes. »
Aujourd’hui Edgar Morin a 99 ans, il est l’auteur d’un nombre incalculable d’articles et d’ouvrages, il est docteur honoris causa de 34 universités dans le monde et il continue à se poser des questions sur l’homme, la vie, l’univers.
Une excellente lecture que nous recommandons.
Thierry Libaert
Dernière publication : « Changeons de voie. Les leçons du coronavirus », avec la collaboration de Sabah Abouessalam. (Denoël Éditeur, juin 2020)
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