Guillaume Vuilletet : « Nous ne voulons pas voir le texte du Gouvernement voté tel quel, mais assorti de deux dispositions pour renforcer leur caractère exceptionnel et ciblé ainsi que pour renforcer le contrôle des parlementaires dans la mise en œuvre des exceptions »
Interdit depuis 2018, l'usage des pesticides néonicotinoïdes utilisés pour lutter contre les pucerons et les chenilles pourrait être autorisé jusqu'en 2023 à titre dérogatoire, de manière, est-il annoncé, à soutenir la filière sucrière (celle de la betterave) dans sa recherche d’alternatives pour préserver les abeilles (dont le système nerveux est gravement atteint par ces pecticides) et trouver une méthode qui n’implique pas que le toxique circule dans tout le système vasculaire de la plante (contrairement à la plupart des insecticides pulvérisés sur les plantes, les néonicotinoïdes, dits « systémiques », sont utilisés en enrobages de semences, de manière préventive, affectant non seulement les feuilles, mais aussi le pollen ou le nectar, dans le cas des plantes mellifères).
Ce projet de loi, on ne peut plus controversé, met certes en exergue le revirement du gouvernement sur la question, embarrasse au passage la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili (qui avait elle-même porté en 2016 la loi interdisant ces insecticides, et qui n’en demandait sans doute pas tant en cette rentrée), mais interroge sur le fait de savoir s’il n’y avait pas d’autres solutions, comme la voie de l’indemnisation par exemple avancée par quelques-uns (dont Nicolas Hulot). Serait-elle seulement praticable et suffirait-elle à préparer l’après ?
N’existe-t-il vraiment pas d’alternatives techniques à l’emploi des néonicotinoïdes déjà disponibles ? Quid également des champs traités dont on sait qu’ils sont d’ores et déjà durablement contaminés, certaines des molécules utilisées, solubles dans l’eau, pouvant être transportées et imprégner l’environnement autour des parcelles traitées. On avait pourtant cru que ce constat faisait l’objet d’un consensus scientifique. Les abeilles et les pollinisateurs pourront-ils attendre 2023 ?
Notre ami Guillaume Vuilletet nous livre son sentiment sur la question et quelques éléments d'appréciation.
Ce projet de loi pour ré-autoriser les insecticides néonicotinoïdes n’est pas pour me satisfaire, mais voyons-le comme une dérogation plutôt qu’une régression.
En politique, il faut parfois savoir être pragmatique, c’est-à-dire savoir choisir la moins pire des solutions.
Ce sont 46000 emplois qui sont directement menacés de disparition et cela, nous ne pouvons ni l’accepter ni nous le permettre.
Il ne s’agit pas là, comme je l’ai entendu, d’une régression environnementale majeure : neuf néonicotinoïdes sur dix sont interdits et d’ici 2023, ce sera l’ensemble des utilisations de néonicotinoïdes qui seront définitivement arrêtées. Cette réautorisation est la conséquence d’un contexte bien particulier : les betteraviers français sont confrontés à une crise inédite liée à la prolifération de pucerons. Dans ces conditions, les solutions alternatives aux traitements à base de néonicotinoïdes, utilisées au cours de l’hiver 2019-2020, se sont révélées inefficaces.
Nous ne reviendrons pas sur une volonté exprimée fermement au début du quinquennat : rendre l’agriculture moins dépendante aux pesticides. Il ne s’agit donc pas non plus d’un projet de loi visant à détruire la biodiversité, mais d’un projet de loi permettant une dérogation ciblée à l’utilisation de néonicotinoïdes pour une durée limitée et dans des conditions strictement encadrées.
Nous ne voulons pas voir le texte du Gouvernement voté tel quel, mais assorti de deux dispositions pour renforcer leur caractère exceptionnel et ciblé ainsi que pour renforcer le contrôle des parlementaires dans la mise en œuvre des exceptions : nous souhaitons que soit mis en place un comité de suivi parlementaire avec de réels pouvoirs de contrôle. Il est essentiel de faire en sorte qu’il y ait un suivi effectif des engagements pris dans ce texte.
Ces mesures sont en effet accompagnées d’engagements forts de la filière qui seront contrôlés et évalués, notamment la formalisation et la mise en œuvre des plans de prévention des infestations par les ravageurs ou les engagements des professionnels industriels sur la pérennisation de la filière sucrière.
Cinq millions d'euros seront également mobilisés pour le soutien des programmes de recherche pour l'identification d'alternatives.
Il n’est pas question d'abandonner la filière et devenir ensuite dépendants d’autre pays. C'est une question de cohérence avec notre volonté de reconquête de la souveraineté.
Les abandonner ce serait aussi renoncer à notre place de 1er exportateur mondial de sucre de betterave et de premier producteur de sucre en Europe, ce qui serait très problématique, et encore plus dans le contexte actuel.
Je crois fermement que la réussite de la transition agro écologique ne peut pas se faire en abandonnant nos filières et leurs emplois pour à la fin importer de pays quasiment tous moins performants en matière environnementale.
Guillaume Vuilletet, 05-10-2020
Guillaume Vuilletet est député du Val d'Oise (depuis 2017).
Président d'honneur du Pré, il fut de ses principaux fondateurs et son premier président (2010-2015). Auteur du rapport sur la lutte contre l’habitat indigne (remis au 1er Ministre en octobre 2019).
Il est notamment l'auteur d'une Proposition de loi relative à la protection des victimes de violences commises au sein du couple ou de la famille par un dispositif électronique anti-rapprochement (Proposition de loi n° 2224, 11 septembre 2019).
Membre de plusieurs commissions parlemenatires : Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République; Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique; Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire
Egalement de Missions d'information : Mission d'information sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie;
Mission d'information sur les fichiers mis à la disposition des forces de sécurité
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