LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES
Timothy Adès nous propose cette semaine un poème extraordinaire de Roger VITRAC, grand dramaturge surréaliste qui prend part, en avril 1921, à la manifestation dadaïste de Saint-Julien-le-Pauvre (Paris 5°), à l'appel d'un tract de Tristan Tzara diffusé dans le Quartier Latin : « Prendre part à cette première visite , c’est se rendre compte du progrès humain, des destructions possibles et de la nécessité de poursuivre notre action que vous tiendrez à encourager par tous les moyens. » Il y rencontre Louis Aragon qui le présente à André Breton, Paul Eluard, Benjamin Perret, Georges Ribemont - Dessaignes et Philippe Soupault. Rallié au mouvement surréaliste, il collabore aux premiers numéros de La Révolution surréaliste avant de devenir un ... " réprouvé " du surréalisme (Cf. le mot d'Henri Béhar (Paris, A.-G. Nizet, 1966)...
ROGER VITRAC (1899-1952), né à Pinsac, dans le Lot, dadaiste, surréaliste exclu en 1926, est connu surtout pour ses drames, à, commencer par 'Victor ou les enfants au pouvoir' (1928) mis en scène, entre autres, par Jean Anouilh et Roland Piétri au Théâtre de l'Ambigu en 1962.
L'affiche évoque Hannah Höch, artiste plasticienne Dada que j'ai connue un peu, comme interprète.
Voici donc un poème de Vitrac, 'Humorage à Picasso', dans le journal 'Documents' de Georges Bataille, dont le no.3 (1930) s'appelle 'Hommage à Picasso'.
On y trouve de grands noms : Desnos, Leiris, Prévert, Ribémont-Dessaignes... et de belles images.
La série 'Documents' était la base de l'exposition *Undercover Surrealism*, Londres, 2006 : ma traduction était là, en place, à lire entre les toiles.
De quelles oeuvres de Picasso s'agit-il dans ce poème ? ‘Cette baigneuse comme un gigot’ : voici, du Musée Picasso de Paris, ses ‘Deux femmes courant sur la plage (La course)’ de 1922 : et voici la ‘Baigneuse au Ballon’ (MoMA New-York) qui ressemble encore plus à un gigot. La date : 1932 ! Alors, c’est que le peintre fut inspiré par le poète.
HUMORAGE A PICASSO
Et vive le pinceau
De l’ami Picasso !
- Apollinaire
Cet arbre fait comme un tombeau,
Cet astre comme un numéro,
Ce soleil comme un escargot,
C’est Picagot.
Ce journal ni joli, ni beau,
Cette sciure de gâteau,
Ce double sein comme un étau,
C’est Picétau.
Ces cheveux poussant dans un pot,
Cet œil pareil aux culs d’oiseaux,
Ce marétal porte-marcheau,
C’est Picacheau.
Ce mou, ce dur, ce matériau,
Moulé, pompé comme la chaux,
Colorié à coups de plumeau,
C’est Picaplo.
Ce dos, ce pal, ce paletot,
Ce récit mis comme un fardeau
Sur la tartine de Toto,
C’est Picato.
Ce sol tout nu, ce ciel sans os,
Cette baigneuse comme un gigot,
Et ce cheval comme un sabot,
C’est Pisabot.
Socrate au torse de fourneau,
Divisant le diamant des eaux
Pour l’épingler dans un tableau,
C’est Pitableau.
L’allumette épinglant le faux,
La faulx imitant le râteau,
Pour peindre un rire à l’Otéro,
C’est Picaro.
Enfin,
Napoléon changeant de peau,
La peau changeant de poils labiaux,
Et les poils changeant de pinceau,
C’est Picasso !
HUMORAGE TO PICASSO
Our pal Picasso,
Long live his brush-oh !
Pirate and corsair,
Here’s to his horsehair !
[Apollinaire]
This star like a digit,
This tree like a tomb,
This sun like a mollusc,
Picasso, that’s whom !
This nondescript newsprint,
Twin screw-clamp bazoom,
This gateau-crumb sawdust,
Picasso, that’s whom !
This plant-pot with hair on,
Eyes like a bird’s bum,
Top brass-knocker’s knapsack,
Picasso, fo fum !
This soft stuff, this tough stuff,
Touched up with a broom,
Pump-grind it to lime-sludge,
Picasso, that’s whom!
This topcoat, this back-stick,
This talk, spread like lipstick
On small buttered biscuit –
Picasstic !
This boneless sky, bare leafless view,
Beach-beauty like a lamb jigoo,
This horseflesh like a wooden shoe –
Picashoo !
This Socrates, stove-torso,
Splits diamond-ice from water
To prick a picture-pableau,
Picorso !
This matchstick pricking a mistake,
This scythe that imitates a rake,
To paint a laugh on Frou-Frou – who ?
Picuckoo !
Last verse
Napoleon’s fresh husk-oh,
Fresh husk on the nap-oh,
Fresh nap on the brush-oh,
Picasso !
Translation © Timothy Adès
" Undercover Surrealism - Georges Bataille and DOCUMENTS " est l'affiche d'une exposition réalisée par Dawn Ades et Simon Baker ( commissaires) à Londres en 2006. Une exploration des collisions troublantes de l’art et de la culture dans la revue révolutionnaire de Georges Bataille ( "ennemi dans le surréalisme") et une nouvelle réflexion sur les chefs-d’œuvre du XXe siècle par Picasso, Miró, Dali et d’autres.
Baigneuse au ballon de plage, peinture de Pablo Picasso, 1932 (Musée d'Art Moderne de New York)
Portait de Roger Vitrac par Henry Maurice (1930)
"Victor ou les enfants du pouvoir " à l'affiche en Hongrie au théâtre de Stat kluj (2013-2014), Kolozsvári
Timothy Adès est un poète traducteur-britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Louise Labé, Robert Desnos, Jean Cassou, Georges Pérec, Alberto Arvelo Torrealba, du poète vénézuélien des Plaines, du mexicain Alfonso Reyes, de Bertold Brecht et de Sikelian.
Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.
"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les Chantefables de Robert Desnos en anglais. Lauréat des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.
Timothy Ades est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique Tutti Frutti.
Derniers ouvrages parus : "Alfonso Reyes, Miracle of Mexico" (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant "(Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, his poems with my versions.
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