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IL N'EST PAS TANT DE BARQUES A VENISE, par Mellin de Saint Gelais / Timothy Adès


LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES


 

   Mellin de SAINT-GELAIS (1491-1558), né à Angoulême où il grandit, puis à Cognac, est le neveu (ou le fils ?) d’Octavien de St-Gelais, évêque d’Angoulême, lui-même poète et traducteur.

A partir de 1506, Mellin étudie à Poitiers la rhétorique et la philosophie, puis poursuivra en Italie, à Bologne et Padoue, où il apprendra l'italien et la littérature italienne; dès 1532, il est fait abbé commendataire de l'abbaye de Notre-Dame de Reclus, Ordre de Citeaux, au Diocèse de Troyes, il est choisi comme aumô­nier du Dauphin de France, et bibliothécaire de François 1er ; à la mort du dauphin François (1536), Mellin de Saint-Gelais devient conservateur de la bibliothèque royale à Blois, jusqu’à ce qu’elle rejoigne, en 1544, celle de Fontainebleau : il y fait un catalogue de 1890 volumes, dont 109 imprimés. Il chante ses poèmes à la cour, il fait mauvais accueil aux poètes de la Pléiade : du Bellay qui l’a critiqué, et Ronsard...

Ce Sonnet ‘Il n’est pas tant…’ issu de ses Oeuvres poétiques est l’un des poèmes que j’ai récités en 1996, débutant devant les copains de l’Inséad ’66 et leurs dames, lors d’un banquet en costume présidé par les rois François Ier et Henri VIII.

 

L’écologie ? ‘De deux maulx le moindre on doibt choisyr.’ Le bilan des entreprises telles que Total, Air France, etc. ou la planète ? Oui, on doibt choisyr !

 

                                        Sonnet VII

 

Il n’est pas tant de barques à Venise,

D’huistres à Bourg, de lièvres en Champagne,

D’ours en Savoie, et de veaux en Bretagne,

De cygnes blancs le long de la Tamise;

De différends aux peuples d’Allemagne,

Ne tant d’amours se traitent à l’église,

Ne tant de gloire à un seigneur d’Espagne,

Ne tant se trouve à la Cour de feintise,

Ne tant y a de monstres en Afrique,

D’opinions en une république,

Ne de pardons à Rome aux jours de fête;

Ne d’avarice en homme de pratique,

Ne d’arguments en une Sorbonique,

Que ma mie a de lunes en la tête.

 

@fran Le Roux chante la musique d’André Jolivet,

https://www.youtube.com/watch?v=tgEdkp25eWk&t=2s

N.B : Ce ‘Bourg’ aux huitres serait à mon avis Bourgneuf-en-Retz en Vendée.

 

                    Huitain XVII

 

J’en aime deux d’amour bien différente,

L’une me plaist pour sa grâce et bon sens,

L’autre me porte amour si apparente,

Que d’estre sien maugré moy je consens.

Mais bien que plus d’elle aimé je me sente,

Plus addonné à l’autre je me sens :

O que pareil aux deux fust le vouloir,

Ou que de l'une il me peust moins chaloir !

 

                    Huitain XVI

 

Jeudy dernier je feuz chez la Normande,

Où y treuvay Loyse et Marguerite :

Louise est grasse, en bon poinct, belle et grande,

L’aultre est plus jeune et beaucoup plus petite.

Loyse assez m’embrasse et sollicite,

Mais Marguerite eut de moy son plaisir :

La grande en feut, ce croy je, bien despite,

Mais de deux maulx le moindre on doibt choisyr.

                                             Sonnet VII

 

Venice has not more barques, nor Champagne hares;

Thames has not more white swans in all her course;

Of calves has Brittany not more resource,

Nor Bourg of oysters, nor Savoy of bears;

Nor do more lovers to the altar run,

Nor are there more debates in Germany,

Nor has a Spanish lord more dignity,

Nor at a court is more deceiving done;

More monsters, Africa cannot purvey,

More pardons, not a Roman holiday,

Republics hear not more opinions said,

The learned have not more rapacity,

More arguments the university,

Than there are moons within my mistress’ head.

 

Published 1991 in ‘Outposts’. Said at Insead banquet 1996.

 

 

                               

                                        Octave XVII

 

I love a pair. The love’s quite different:

One pleases me by her good sense and charm,

The other makes her love so evident

That to be hers I cannot but consent.

That this one loves me more, I’m well aware,

But that one draws me more, if I compare.

I wish I equally desired the pair,

Or were, for one or other, not so warm!

 

                                      Octave XVI

 

Last Thursday I was you-know-where

And found Louise and Marguerite:

Louise is big and plump and fair,

The other’s younger, more petite.

Louise with squeezes tried me out:

Marguerite took me, took her pleasure:

The big lass was upset, no doubt,

But of two evils, we must take the lesser.

 

   Translation © Timothy Adès

 


Mellin de St Gelais par Charles-Etienne Gaucher (Fine Arts Museums of San Francisco, Achenbach Foundation).

Oeuvres poétiques de Mellin de St Gelais (Lyon, Antoine de Harsy, 1574).

Octavien de St Gelais.

Abbaye Notre Dame de Reclus.


Timothy Adès est un poète traducteur-britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Louise Labé, Robert Desnos, Jean Cassou, Georges Pérec, Alberto Arvelo Torrealba, du poète vénézuélien des Plaines, du mexicain Alfonso Reyes, de Bertold Brecht et de Sikelian.

Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.

"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les Chantefables de Robert Desnos en anglais. Lauréat des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.

Timothy Ades est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique Tutti Frutti.

 

Derniers ouvrages parus : "Alfonso Reyes, Miracle of Mexico" (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant "(Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, his poems with my versions.

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Commentaires: 3
  • #1

    Dominique Lévèque (dimanche, 11 avril 2021 17:34)

    Le Sonnet VII en français dit moyen ( le français tel que parlé à la fin du Moyen Âge et à l'époque de la Renaissance) peut se traduire ainsi :

    Il n’est point tant de barques à Venise,
    D’huîtres à Bourg, de lièvres en Champagne,
    D’ours en Savoie, et de veaux en Bretagne,
    De Cygnes blancs le long de la Tamise,

    Ni tant d’Amours se traitent en l’église,
    De différends aux peuples d’Allemagne,
    Ni tant de gloire à un seigneur d’Espagne,
    Ni tant se trouve à la Cour de feintise,

    Ni tant y a de monstres en Afrique,
    D’opinions en une république,
    Ni de pardons à Rome aux jours de fête,

    Ni d’avarice aux hommes de pratique,
    Ni d’arguments en une Sorbonique,
    Que m’amie a de lunes en la tête.

    Mellin de Saint Gelais, Œuvres poétiques, Lyon, Antoine de Harsy, 1574 [Paris, 1873]

  • #2

    Dominique Lévèque (dimanche, 11 avril 2021 17:50)

    Toujours à propos du Sonnet :

    A quoi fait référence Saint Gelais dans " Ne tant d’amours se traitent à l’église," ?
    - On peut imaginer que c'est sans doute à OVIDE et à son "Art d'aimer" qui montre combien les temples des dieux pouvaient être une excellente commodité de la conversation galante pour les amants qui voulaient se fixer des rendez-vous clandestins !

    "Ne d’arguments en une Sorbonique, " : il est question ici de la soutenance de thèse de théologie à la Sorbonne ( qui durait à l'époque de 6h00 du matin à 18h00 le soir !)

  • #3

    Dominique Lévèque (dimanche, 11 avril 2021 18:16)

    Notre ami Timothy Adès nous fait l'amabilité de nous "traduire" de français moyen en français plus "moderne" les huitains qui suivent dans son post :

    Huitain XVII

    J ' adore une paire. L ' amour est assez différent :
    On me plaît par son bon sens et son charme,
    L ' autre la rend si évidente
    C ' est à elle que je ne peux que consentir.
    Que celui-ci m'aime plus, je suis bien conscient,
    Mais celui-ci me dessine plus, si je compare.
    J ' aimerais souhaiter la même paire,
    Ou étaient, pour l'un ou l'autre, pas si chaud !

    Huitain XVI

    Jeudi dernier j'étais tu sais où
    Et trouvé Louise et Marguerite :
    Louise est grande, dodue et juste,
    L ' autre est plus jeune, plus petite.
    Louise avec Squeezes m'a essayé :
    Marguerite m'a pris, elle a pris son plaisir :
    La grande fille était bouleversée, sans aucun doute,
    Mais de deux maux, nous devons prendre le moindre.