LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES
Timothy Adès connait son bonheur, lui qui, dans ce mois de Mai, l'a vu fêter ce jeudi 6 l'anniversaire de Dawn, sa femme, qui sera suivi d'autres
joies avec celui de sa petite-fille Anna, de son "fiston" Harry, de son neveu Jack et enfin celui de son petit-fils Remy !
Le printemps s’avance, les saisons s’avancent : je reviens à Victor Hugo qui me semble le plus grand des poètes français, et à son dernier recueil de poésie, ‘L’art d’être grand-père’ (1877), que j’ai traduit complètement en anglais. Ce poème exquis de la nature date du 18 juillet 1859.
Voici de belles images et de belles vidéos, y compris le ver lent qui ‘jette le froc’ mais qui ne serait pas strictement un ver de terre, étant plutôt lézard rampant. Hugo a pris le mot lacrimæ rerum ‘larmes des choses’ de Virgile pour l’invertir en lætitia ‘joie’.
Rossignol https://www.youtube.com/watch?v=XdlIbNrki5o
Ver lent https://www.youtube.com/watch?v=HWgYPp_uieY
Aragne https://www.youtube.com/watch?v=LNXLKEr6zFM
LÆTITIA RERUM – la joie des choses
Tout est pris d'un frisson subit.
L'hiver s'enfuit et se dérobe.
L'année ôte son vieil habit;
La terre met sa belle robe.
Tout est nouveau, tout est debout;
L'adolescence est dans les plaines;
La beauté du diable, partout,
Rayonne et se mire aux fontaines.
L'arbre est coquet; parmi les fleurs
C'est à qui sera la plus belle;
Toutes étalent leurs couleurs,
Et les plus laides ont du zèle.
Le bouquet jaillit du rocher;
L'air baise les feuilles légères;
Juin rit de voir s'endimancher
Le petit peuple des fougères.
C'est une fête en vérité,
Fête où vient le chardon, ce rustre;
Dans le grand palais de l'été
Les astres allument le lustre.
On fait les foins. Bientôt les blés.
Le faucheur dort sous la cépée;
Et tous les souffles sont mêlés
D'une senteur d'herbe coupée.
Qui chante là ? Le rossignol.
Les chrysalides sont parties.
Le ver de terre a pris son vol
Et jeté le froc aux orties;
L'aragne sur l'eau fait des ronds;
ciel bleu! l'ombre est sous la treille;
Le jonc tremble, et les moucherons
Viennent vous parler à l'oreille;
On voit rôder l'abeille à jeun,
La guêpe court, le frelon guette;
A tous ces buveurs de parfum
Le printemps ouvre sa guinguette.
Le bourdon, aux excès enclin
Entre en chiffonnant sa chemise;
Un oeillet est un verre plein
Un lys est une nappe mise.
La mouche boit le vermillon
Et l'or dans les fleurs demi-closes,
Et l'ivrogne est le papillon,
Et les cabarets sont les roses.
De joie et d'extase on s'emplit,
L'ivresse, c'est la délivrance;
Sur aucune fleur on ne lit:
Société de tempérance.
Le faste providentiel
Partout brille, éclate et s'épanche
Et l'unique livre, le ciel,
Est par l'aube doré sur tranche.
Enfants, dans vos yeux éclatants
Je crois voir l'empyrée éclore;
Vous riez comme le printemps
Et vous pleurez comme l'aurore.
LÆTITIA RERUM - The Joy of Things
Everywhere, a sudden ferment.
Winter hurries off, disrobes;
Old year drops her faded garment,
Earth puts on her finest robes.
All is new, proud, debonair.
Round us, youth’s awakenings;
Devil-beauty everywhere
Sparkles, preens in limpid springs.
Trees start flirting. Flowers choose
Which of them is loveliest:
All display their gaudy hues,
Even the very homeliest.
Tufts are spurting from the rock;
Light leaves by the air are kissed.
June adores these tiny folk
Of the heath, in Sunday best.
It’s a proper festival;
Coarse-grained thistle’s mood is festal.
In the summer’s banquet-hall
Stars light up the tiers of crystal.
Now, it’s hay-time: next, the grain.
In the copse, the reaper sleeps.
Scented breezes all retain
Perfume of the grass he reaps.
Nightingale is singing there;
All the chrysalids have gone.
Earthworm climbs to take the air,
Flings to the nettles his old gown.
Water-boatmen tour the pond;
Blue skies frame the trellis-shade;
Breezes stir the reedy frond;
Tiny insects serenade.
Wasp and hungry bee take wing,
Hornet’s at his look-out post.
Wayside pub is opening;
Quaff the perfumes: spring’s mine host!
Bumble-bee who loves excess
Smoothes his shirt, adjusts his tie:
Bud of the pink’s his brimming glass;
Lily, his white napery.
Crimson draughts, and gold, the fly
Sips from flowers that shyly close;
Bar-fly is the butterfly,
Toper’s tavern is the rose.
Ecstasy and joy imbibed!
Drunkenness is deliverance!
Not one flower is inscribed
‘Solemn League of Temperance’.
Nature in her pomp and bloom
Gushes, bursts a thousand-fold:
Heaven is a priceless tome
That the dawn has edged with gold.
My children, in your shining eyes
To me the empyrean appears;
The spring lives in your gaieties,
And the dawn rises in your tears.
Translation: Copyright © Timothy Adès
Notes :
- cépée : terme de chasse. Bois d’un an ou deux. Touffe de bois sortant d’une même souche. (Littré)
- empyrée : de l’adj. lat. ecclés. empyrius, grec empur(i)os « en feu, de feu ». (mythologie grecque) la plus élevée des quatre sphères célestes, qui contenait les feux éternels, c’est-à-dire les astres, et qui était le séjour des dieux. (Robert)
Timothy Adès est un poète traducteur-britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Louise Labé, Robert Desnos, Jean Cassou, Georges Pérec, Alberto Arvelo Torrealba, du poète vénézuélien des Plaines, du mexicain Alfonso Reyes, de Bertold Brecht et de Sikelian.
Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.
"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les Chantefables de Robert Desnos en anglais. Lauréat des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.
Timothy Ades est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique Tutti Frutti.
Derniers ouvrages parus : "Alfonso Reyes, Miracle of Mexico" (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant "(Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, his poems with my versions.
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