LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES
Alphonse de Lamartine (1790-1869), poète, romancier; Président du gouvernement provisoire en 1848, quand l’esclavage aux colonies est abolie législativement.
‘LE LAC’ : à mon école anglaise, nous avions un professeur français, licencié ès lettres : voici le premier poème qu’il nous révéla, si beau et si touchant, j’oublie les autres…
Il fait partie des vingt-quatre poèmes que Lamartine publiera en 1820 dans son premier recueil, Les Méditations poétiques, qui eut un fort retentissement.
Le poète est au Lac du Bourget (Savoie) en 1817, il pense à Julie Charles qu’il connait depuis l’année d'avant, à la faveur d'un séjour en cure à Aix Les Bains, à la Pension Perrier au cours duquel il l'a sauvera de la noyade. Il l'attend en vain. Julie est très souffrante et ne peut le rejoindre. Fin décembre, alors qu'il est dans sa propriété familiale de Milly (Saône-et-Loire), il apprend la mort de sa muse, à Paris, des suites de la tuberculose.
En 1820, il épousera Mary Ann Elisa Birch, une jeune franco-anglaise rencontrée en Août 1819 à la Pension Perrier. Nommé attaché d'ambassade, ils s'installeront à Naples.
Le Lac est bien sûr, comme souvent chez Lamartine, une réflexion sur le temps qui passe, mais aussi une ode à la nature en ce qu'elle est le témoin vivant du bonheur et qu'elle seule peut garder la trace du souvenir.
Et pourquoi Lamartine refusera le drapeau rouge ? ‘ Forêt obscure… belle nature… le vent qui gémit, le roseau qui soupire ’ : c’est que, tout en retenant le Tricolore, il veut hausser avec nous-mêmes le drapeau vert !
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Le Lac - Poème de LAMARTINE - YouTube
(Audio-visuel réalisé par Serge Pace)
LE LAC
Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges
Jeter l’ancre un seul jour ?
Ô lac ! l’année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu’elle devait revoir,
Regarde ! je viens seul m’asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s’asseoir !
Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes,
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés,
Ainsi le vent jetait l’écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés.
Un soir, t’en souvient-il ? nous voguions en silence ;
On n’entendait au loin, sur l’onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.
Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos ;
Le flot fut attentif, et la voix qui m’est chère
Laissa tomber ces mots :
” Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !
” Assez de malheureux ici-bas vous implorent,
Coulez, coulez pour eux ;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;
Oubliez les heureux.
” Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m’échappe et fuit ;
Je dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l’aurore
Va dissiper la nuit.
” Aimons donc, aimons donc ! de l’heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons !
L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ;
Il coule, et nous passons ! “
Temps jaloux, se peut-il que ces moments d’ivresse,
Où l’amour à longs flots nous verse le bonheur,
S’envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur ?
Eh quoi ! n’en pourrons-nous fixer au moins la trace ?
Quoi ! passés pour jamais ! quoi ! tout entiers perdus !
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus !
Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ?
Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Vous, que le temps épargne ou qu’il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir !
Qu’il soit dans ton repos, qu’il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l’aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux.
Qu’il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l’astre au front d’argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartés.
Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu’on entend, l’on voit ou l’on respire,
Tout dise : Ils ont aimé !
THE LAKE
Forever swept to unknown shores away,
Propelled through endless night implacably,
Shall we not once on time’s primeval sea
Drop anchor for a day ?
O Lake! a year is over. On this stone,
By these dear waves she should have viewed again,
Before you she was seated. I remain,
And sit to-day alone.
Just so, beneath these plunging cliffs, you roared,
And dashed yourself against their jagged walls;
Your wind-blown foam fell then, where now it falls,
Here on her feet adored.
Recall how we set out, one silent eve :
Nothing was heard between the waves and sky,
But noise of oars that stroked in harmony
The skein your waters weave.
Then, suddenly, to tones no mortals hear
The echoes on the spellbound shores awoke:
The flood gave heed; across the water spoke
The voice that I hold dear :
“Time, halt in your flight, and you hours, as a favour,
Stop short and stand still in your ways !
Since pleasures are fleeting, let’s eagerly savour
Our best and most beautiful days !
“For the wretches who suffer, run swiftly, you hours;
They are many, and this they implore :
Put an end to their days, and their care that devours;
But the happy, I bid you ignore !
“For myself, I may crave a few moments – but no,
Time gives me the slip, takes flight:
I may say to the night, ‘Go slow, go slow’,
But the dawn will scatter the night.
“ So to Love! Let us love! Seize the wings of the morn,
And delight in the scurrying day !
For Man has no haven, and Time has no bourn :
Time flies, and we vanish away ! ”
Time, jealous Time! In bursts of giddy joy,
Love inundates us with great happiness;
Do these a faster wayward flight employ
Than days of wretchedness ?
What? Can we not pin down at least a trace ?
What? Lost entirely? Gone for evermore ?
Time gave, and Time is minded to efface;
And shall not Time restore ?
Dark gulfs, eternity, the past, the void !
You swallow down our days; and what’s their fate ?
Will you give back what you have once destroyed,
Our bliss, divinely great ?
O Lake! Mute rocks and caves ! Dim greenery !
Which Time shall spare, or render young again:
Natural Beauty! Guard this night for me,
Remember, and retain.
Both in your tempests let this memory dwell,
Fair lake, and in your calm; your slopes that smile,
And the black firs and, high above your swell,
The louring rocky pile;
And in your tremulous and fleeting breeze,
Your shore-sound that your further shore relays;
And the star silver-browed, whose clarities
Give whiteness to your glaze;
And moaning wind, and softly sighing reed,
Light perfumes, on your balmy zephyrs moved;
And everything that’s heard, or seen, or breathed:
All this shall say “ They loved ! ”
Translation: Copyright © Timothy Adès
- Méditations poétiques par Alphonse de Lamartine, neuvième édition, 1823 (Librairie de Charles Gosselin) (BnF)
- Abolition de l'esclavage dans les colonies françaises, le 27 avril 1848, par François-Auguste Biard
- Portrait d’Elvire à 25 ans (le nom donné dans le poème à Julie Charles, née Bouchaud des Hérettes) d’après la miniature du peintre Elouis, appartenant à M. Léon Séché (In « Études d’histoire romantique »)
- Portrait d'Elisa de Lamartine (née Mary Anne Elisa Birch, épouse du poète), par Jean Léon Gérome, 1849 (Montauban, Musée Ingres)
- Lamartine repoussant le drapeau rouge devant l'Hôtel-de-Ville de Paris, le 25 février 1848, tableau d'Henri Felix Philippoteaux (1815-1884), peint vers 1848
(Musée Carnavalet, Paris). Lamartine, membre du gouvernement provisoire, ministre des Affaires étrangères, défendit le drapeau bleu-blanc-rouge, prononçant devant la foule un de ses plus fameux
discours : « Si vous m’enlevez le drapeau tricolore […] vous m’enlèverez la moitié de la force extérieure de la France ! Car l’Europe ne connaît que le drapeau de ses défaites et de
nos victoires dans le drapeau de la République et de l’Empire. En voyant le drapeau rouge, elle ne croira voir que le drapeau d’un parti ! ajoutant pour sa part qu'il « a fait le tour
du monde avec la République et l'Empire, alors que le drapeau rouge n'a fait que le tour du Champ-de-Mars dans le sang du peuple »
- Portrait de Lamartine, 1839, par Henri Decaisne (1799-1852), (Mâcon, Musée Lamartine, Hôtel Senecé)
- Partition de Le lac de Lamartine, musique de Camille Saint-Saëns (1835-1921), édité en 1856; dédicace à Monsieur Stockhausen
- Lamartine photographié par les ateliers Nadar, 1870
- Cèdre de Lamartine - Réserve forestière de Maasser El Chouf au Liban. Lamartine vient au Liban en 1832. Le Voyage en Orient (1835) est la première grande œuvre en prose de Lamartine. Le poète décrit admirablement, entre autres, la montagne libanaise. Lamartine habite Beyrouth de septembre 1832 à avril 1833. Des cinq maisons qu’il loue dans la campagne de Beyrouth, une seule subsiste aujourd'hui, celle sur les hauteurs d’Achrafieh
Timothy Adès est un poète traducteur-britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Louise Labé, Robert Desnos, Jean Cassou, Georges Pérec, Alberto Arvelo Torrealba, du poète vénézuélien des Plaines, du mexicain Alfonso Reyes, de Bertold Brecht et de Sikelian.
Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.
"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les "Chantefables" de Robert Desnos en anglais. Lauréat des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.
Timothy Adès est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique Tutti Frutti.
Derniers ouvrages parus : " Alfonso Reyes, Miracle of Mexico " (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant " (Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, les poèmes de Desnos avec les versions de Timothy Adès.
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