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A PROPOS DU PROJET DE LOI ADOPTE CE MATIN AU PALAIS BOURBON, par Dominique Lévèque


Passe sanitaire, vaccination obligatoire des soignants, isolement des malades…

Un dispositif défendu dans l’urgence par le gouvernement afin de lutter contre la quatrième vague pandémique et contrer le variant Delta a été voté en première lecture par les députés.


 

   Personnellement, si je peux comprendre la nécessité pratique du "passe-sanitaire", je suis plutôt pour la vaccination obligatoire face à une pandémie comme la Covid.

Après tout, nous avons en France déjà 11 vaccinations obligatoires. Nous disposons même d'un "carnet de vaccination" dès notre plus jeune âge. Et on n’en fait pas tout un foin.

Qui sont les opposants ? Certains groupuscules sectaires antivax, religieux ou politiques, ou les deux, ou encore proches du mouvement complotiste américain QAnon. Il ne faudrait cependant pas en exagérer l’importance numérique comme cela a été fait depuis septembre 2020, ce qui a sans doute contribué à certains atermoiements de la puissance publique en matière de lutte contre la Covid. En revanche, il faut se soucier de ces Français qui, par méconnaissance, perte du discernement ou en panique du fait de la situation de crises, ont pu se laisser séduire par les mots d’ordre de ces groupuscules activistes, relayés parfois au sein même des assemblées parlementaires, mais aussi par certains scientifiques et des peoples.

 

Auraient-ils oublié qu’il y a en effet 11 vaccins obligatoires en France ? Et nous ne parlons pas de la vaccination obligatoire contre la fièvre jaune quand on part à l’étranger, sans compter ceux hautement recommandés, selon les pays, comme notamment le vaccin contre l’encéphalite japonaise, l’encéphalite à tiques, la fièvre typhoïde, les infections invasives à méningocoques, l’hépatite A et B, la rage, ou encore la grippe saisonnière.

 

   L’Assemblée nationale a voté aujourd’hui, au petit matin, par 117 voix pour et 86 contre, le nouveau projet de loi anti-Covid avec à la clé l’extension controversée du passe-sanitaire et l’obligation vaccinale pour les soignants.

Le « jeu parlementaire » a fonctionné à fond pour faire du sprint législatif promis par le gouvernement, un exercice tenant à la fois du marathon et de la course d’obstacles.

Comme attendu, LR s’est majoritairement abstenu, au motif de ne pas donner de « blanc-seing » au gouvernement et a mis en garde contre la volonté de mettre le « pays sous cloche »

De leurs côtés, PS, LFI et PC ont voté contre le texte. Même s’il faut relever que l’obligation vaccinale étendue aux soignants, sapeurs-pompiers et professionnels de santé auprès des personnes âgées a fait globalement consensus. Des voix se sont cependant élevées notamment chez LFI (et plus marginalement à droite), comme on pouvait s’y attendre, pour mettre en « garde contre une stigmatisation » des soignants. Le gimmick de la « stigmatisation » sur-utilisé comme souvent chez LFI.

Les éructations démagogiques de tous bords n'ont pas manqué au sein de l'hémicycle, mais il convient de les prendre pour ce qu'elles sont : des éléments de postures des acteurs politiques et de ce qui a trait parfois à du simple folklore parlementaire. L'important étant qu'elles ne dévorent pas la totalité du débat parlementaire.

L’isolement obligatoire des malades, destiné à casser les chaînes de contamination, a ainsi été assimilé à un glissement vers un

« régime totalitaire » par la députée du Bas-Rhin Martine Wonner, jamais à court d’adjectifs et de superlatifs, médecin psychiatre de profession, porte-parole de la galaxie covidosceptique. Connue aussi pour avoir été exclue à deux reprises de deux groupes parlementaires différents (LaRem et Libertés et territoires) et être passée entre les deux par le groupe Écologie démocratie solidarité.

Florian Philippot n'a pas manqué de ramener sa fraise en disant avoir vu lundi soir à la télévision « un dictateur, un fou, un psychopathe » en parlant du Président Emmanuel Macron. Quant à l'inénarrable Philippe de Villiers, il estime que « la France a basculé dans un régime totalitaire ».

 

   Sur la question du passe sanitaire, qui fut donc en discussion toute cette semaine, on peut noter l’intervention en Commission des Lois de notre ami député Guillaume Vuilletet (co-fondateur et Pt d’honneur du PRé) qui souligne que « les débats ont été intenses cette semaine, de jour comme de nuit et parfois jusqu'à 5h du matin », qui assure, contrairement à ce qui a pu être dit ici ou là, que le temps nécessaire de la discussion a bien été pris. Près de 1 200 amendements ont été passés ainsi en revue depuis mercredi après-midi. C’est le contraire qui eût été étonnant alors même qu’il s'agissait de légiférer sur une crise qui n’est pas anodine.

 

Guillaume Vuilletet en @AN_ComLois : https://twitter.com/i/status/1418127360096882693

 

Guillaume Vuilletet, député de la 2ième circonscription du Val d'Oise

On peut aussi relever sa position personnelle qui l’a fait intervenir sur un point en contre de la position du gouvernement, au motif que « même si l'urgence de la crise légitime le passe sanitaire pour les mineurs », il a été amené à se prononcer « en faveur du report de son application pour les 12-17 ans du 30 août au 30 septembre » contre l’avis du Ministre Olivier Véran, en invitant ses collègues en Commission à le suivre.

 

Ajoutant assez pertinemment : « Oui, nous incitons à la vaccination, dans le but que les contraintes que j'estime minimales soient les plus courtes possibles. Nous savons qu'il faut casser cette 4e vague, et elle ne pourra être cassée que si les gens sont vaccinés. Je vous invite à considérer l’acceptabilité des gens qui sont vaccinés et à qui l'on donnerait des contraintes supplémentaires ! »

 

   Ce qui est inquiétant, ce sont ce que les manifestations organisées, certes très minoritaires, en marge des discussions à l’AN, ont charrié : pas seulement une vive inquiétude, mais aussi une virulente protestation anti-républicaine, quand ce n'était pas un défi, voire une haine de la République… Amplifiée par les réseaux dits "sociaux".

Si l'on peut comprendre que le moment, comme souvent en situation de crise, puisse générer des interrogations, des doutes, des questionnements, mais aussi de l’affolement, voire du " tout à l'égo ", il faut s’interroger sur ce que cette montée des irrationalismes nous dit de notre société, sur ce que traduit cette conversion qui se propage au refus de la science, de la raison, de l’Etat, etc. Qui n'a pas qu'à voir avec les tromperies faussement scientifiques, les "vérités alternatives", l'ignorance, les fakes news , la bêtise faite reine sur "les réseaux sociaux brutaux" (Cf. l'expression excellente de l'ami Olivier Ryckewaert) ou la simple perte de tout sens commun.

Il faut bien sûr dénoncer les dangers que ce type de discours fait courir à la collectivité nationale, à chacune et chacun d'entre nous. C'est la première chose à faire. Et agir en conséquence. Mais il faudra savoir plus largement aussi reconnaître ce qui dans ces manifestations relève également - ou pas - d'une simple réaction de défense à l'égard d'exécutifs qui sont beaucoup dans le monde à être frappés, comme leur parole, de soupçon. Et peut-être se poser cette question simple : Si les mots et les codes habituellement admis d'un débat raisonné ne sont plus respectés, si le langage commun se perd, se pourrait-il que ce soit parce que ces mots et ces codes sont discrédités aux yeux de participants à ces mouvements antivax ?

Le business se nourrit de tout (plate-forme spreadshirt), signalé par Françoise Guichard

   Alors bien sûr, il y a aussi la question des dérives. L’historien Pierre Birnbaum (1), cité par notre amie Doris Lucas (2), note de son côté que « Nous vivons un étrange moment où la haine produit des fantasmes ». L’auteur de La Leçon de Vichy. Une histoire personnelle (Seuil, 2019) analyse les dérives dans l’espace public des opposants au passe-sanitaire, ceux-là mêmes qui font référence à la persécution des juifs et aux crimes nazis pour dénoncer la politique gouvernementale de lutte contre la Covid-19. « Comment expliquer ces références à la Shoah pour décrier une « dictature sanitaire » ?

En réalité, comme bon nombre d’entre-nous ont pu l’analyser, le détournement de l'étoile jaune (une étoile jaune avec inscrit à l’intérieur « sans vaccin ») semble s'inscrire dans un projet antisémite plus large. Plus ou moins subliminal selon les pays. « Moins fourbe, si l'on peut dire, chez les Polonais » par exemple, comme le souligne notre amie Elisabeth Antébi (3) où les manifestants antivax défilent tout en dénonçant les juifs comme étant derrière la pandémie. Cette manière de banaliser la souffrance, l'extermination des Juifs, est juste horrible et ne laisse pas d’inquiéter.

 

   Enfin, si tout cela pouvait nous conduire à retrouver quelque peu le sens de la nuance, sur ce sujet comme sur tant d'autres, ce ne serait pas du luxe...

 

Bon été à toutes et tous !

 

Dominique Lévèque est Secrétaire général du PRé

 

(1) Pierre Birnbaum, historien et sociologue est professeur émérite de sociologie politique à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l'Institut d'études politiques de Paris. Membre de l’Institut universitaire de France, professeur invité à l’université de Columbia, il est spécialiste de l’histoire politique des Juifs en France.

(2) Doris Lucas, économiste, ancienne directrice chez BVA, consultante auprès de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), agence spécialisée des Nations Unies, est consultante en développement économique et ingénierie de projets, secrétaire générale du Club des Entreprises du Grand Paris; trésorière de l’IHEdM - Institut des Hautes Etudes des Métropoles (Réseau de dirigeants Métropolitains Publics et Privés). Doris Lucas est membre du CS du PRé.

(3) Elisabeth Antébi, journaliste de presse écrite et audio-visuelle (à partir de 1967), vulgarisatrice sciences et techniques, réalisatrice (notamment Les Evadés du Futur, film TV sur la science-fiction diffusé en 1973, avec Isaac Asimov, Ted Sturgeon, John Brunner, Norman Spinrad, et l’une des rares interviews de Philip Dick), est également auteur et éditeur. A Stockholm, en 1972, elle filme le premier congrès international sur la pollution où l’on voit défiler la cohorte tragique des pêcheurs de Minamata, empoisonnés au mercure. Elle collabore au magazine écologique mensuel Le Sauvage de 1973 à 1981.

Aujourd’hui, Elisabeth Antébi se consacre plus particulièrement à l’écriture, au cabaret et au théâtre.

Elisabeth Antébi est membre du CS du PRé.

 

N.B : Sur l'usage abusif et coupable du terme "dictature" , voir notamment l'article du jour (« Dictature », « démocrature » et imposture) de la philosophe et politologue Renée Fregosi dans la Revue des deux Mondes : revuedesdeuxmondes.fr

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Commentaires: 1
  • #1

    Dominique LEVEQUE (mercredi, 28 juillet 2021 16:21)

    Dimanche soir, le projet de loi #PJLSanitaire relatif à la #CriseSanitaire a été adopté par la Commission Mixte Paritaire (CMP), composée de 14 députés et sénateurs.
    Celui-ci prévoit, entre autres, la mise en place du #PassSanitaire, la vaccination obligatoire de certaines professions, et l’isolement systématique des personnes atteintes par la Covid-19.
    Après réunion de la CMP, certaines modifications et ajouts ont été effectués. Parmi eux :
    - Entrée en vigueur du passe-sanitaire le 30 septembre pour les 12-17 ans,
    - Exemption du passe-sanitaire pour les terrasses des cafés et restaurants,
    - Isolement obligatoire des personnes contaminées par la Covid-19, avec contrôles effectués par l’Assurance Maladie,
    - Pas de licenciement des salariés en cas de non-vaccination, mais mise à pieds obligatoire ou affectation à une autre activité,
    - Concernant les lieux publics, l’entrée en vigueur du passe- sanitaire est repoussée au 15 septembre (initialement prévue au 30 aout),
    - Dans les centres commerciaux, pas de passe-sanitaire exigé, sauf sur décision du préfet local,
    - État d’urgence sanitaire prolongé en Outre-Mer, et couvre-feu à La Réunion et en Martinique.
    Le passe-sanitaire ne s’appliquera que jusqu’au 15 novembre, et la loi #PJLSanitaire sera donc revue à ce moment-là.
    Pour plus d’informations : https://www.sante.fr/coronavirus-covid-19-pass-sanitaire