LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES
Encore un beau poème de Jean
Cassou (1897-1986), ‘le grand méconnu’, Résistant qui a composé ses fameux 33 Sonnets en 1941-42, alors qu'il était en prison,
après avoir été arrêté par la police de Vichy - de Gaulle lui-même lui accroche la Croix de la Libération - et qui nous a légué le Musée National d’Art Moderne.
Ces Sonnets furent reconstitués de tête et publiés
clandestinement en 1944.
Ce poème, L'Odorat, ne se trouve ni dans le recueil de Gallimard, ni dans mes deux recueils bilingues, ni même dans mon conte chez ‘Translation and Literature’ : seulement ici pour vous ! et dans la collection suisse ‘L’œuvre lyrique / Das lyrische Werk’.
Le recueil d’origine s’est appelé ‘Figures’. C’est Cassou qui m’a amené à ce beau métier de poète-traducteur : je lui en suis reconnaissant.
L’ODORAT juin 1951
Respire le monde,
jusqu’en ses racines,
jusqu’au fond des glandes
d’où sourdent ses pluies.
Respire le monde,
narine profonde.
L’humide et le tendre,
l’âpre et l’adouci,
l’hiver plus précis,
le chaud plus esprit,
tout ce qui s’exhume
innombrablement,
instant de tout germe,
pulpe de poussière,
poussière de fleur,
accueille-le, hume
de tout ton désir
tant d’ épais bonheur,
tant d’onde éperdue,
ivre de mourir.
Grasse plénitude,
compagnie tenace,
ange de la garde,
pas une cassure
dans votre évidence.
Souviens-toi du soir
d’un jour de vacances,
- comme il faisait beau
dans ta belle enfance! –
Le soleil dans l’eau,
l’herbe fraîche, l’air
imprégné de fées,
Dieu sait quoi de femme
s’exhalait ce soir,
s’exhale toujours,
ouvre sans cesse, ouvre
les portes immenses
d’un soir éternel.
Jamais ne se ferme
la rose qui s’ouvre.
Jamais ne s’endort
le soir qui s’éveille.
Jamais ne s’oublie
une âme surprise
entre deux sommeils.
Louves affamés,
douves de la femme,
vapeurs submergées,
montez , oh ! montez
de l’étonnement
où vous reposez.
Ni brise ni pause,
rien ne reste atone
dans l’immensité,
mais à ta merveille
tend un offertoire
d’encens où s’épand
un grand raisin noir
coupé de sa treille,
tout est soupiré,
tout est délivré.
SENSE OF SMELL
Breathe into your lungs
the world to its roots
to the base of the glands
where the raindrop shoots.
Let the world-smell seep
To the nostrils deep.
The moist and the tender,
the rough and the tamed,
the more precise winter,
the heat with great wit,
whatever breaks earth
innumerably,
each instant of seed,
the pulp of the dust,
the dust of the flower :
make it welcome, absorb
with all your desire
such thickness of joy,
the passionate wave
that’s drunken with death.
The fatness and fullness,
unwavering band,
the angel on guard,
there’s no interruption,
you’ve evidence clear.
Remember that night,
those great holidays
when you were a child,
the sun used to blaze !
The sun in the water,
fresh grass and the sky
was teeming with fairies,
God knows in that dusk
what womanly sigh
was wafting, still wafts,
for ever throws wide,
throws wide the great gates
of dusk without end.
The rose that has opened
shall never be closed.
The dusk that has wakened
sinks never to sleep.
No soul can forget,
surprised between slumbers.
You she-wolves who starve,
you womanly staves,
you vapours submerged,
oh rise, will you, rise !
from the state of amaze
in which you repose.
No breeze and no pause,
all quivers with noise
in the vast and the void,
but gives to your wonder
an incense where spreads
a big bunch of black grapes
cut down from its vine,
and all is bewailed,
all’s quitted and freed.
Translation: Copyright © Timothy Adès
Dessin de jean Cassou par Marcel Janco (1895-1984), peintre et sculpteur roumain, co-fondateur et figure de proue de Dada
Timothy Adès est un poète traducteur-britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Robert Desnos, Jean Cassou, Guillaume Apollinaire, Georges Pérec, Gérard de Nerval, Louise Labé,
de Federico García Lorca, d'Alberto Arvelo Torrealba, d'Alfonso Reyes, de Bertold Brecht, Hermann Hesse, Heinrich Heine et d'Angelos Sikelianos.
Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.
"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les "Chantefables" de Robert Desnos en anglais. Lauréat des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.
Timothy Adès est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique Tutti Frutti.
Derniers ouvrages parus : " Alfonso Reyes, Miracle of Mexico " (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant " (Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, les poèmes de Desnos avec les versions de Timothy Adès.
Écrire commentaire