Le Chemin "Walter Benjamin" de Banyuls à Port Bou, dernier chemin d’exil du philosophe juif allemand Walter Benjamin, fuyant les nazis
Les optimistes considèrent qu’il y a un vrai changement de paradigme en cours. Les pessimistes disent que « le naturel va revenir au galop » une fois la crise passée. Devant l’agressivité du Coronavirus, la priorité à la santé et à la science n’a pas été discutée.
La santé est une question tellement importante que des chercheurs en science politique y voient un indicateur de la réussite d’une société. Des économistes soutiennent que l’espérance de vie et la bonne santé doivent devenir nos boussoles communes dans ce nouveau siècle, permettant de nous orienter les yeux grands ouverts dans un monde où bien-être humain et vitalité des écosystèmes sont irrémédiablement entremêlés et projetés ensemble à toute allure dans une spirale de plus en plus infernale qu’il faut inverser.
Qu’est-ce qu’aspirer à un peu de prospérité aujourd’hui, au plan économique et social, mais aussi du bonheur de vivre, si ce n’est faire le choix de se donner les moyens de garantir la poursuite de l’aventure humaine ? Alors pourquoi est-il si difficile de réorienter nos systèmes économiques, pourquoi cela prend tant de temps pour modifier nos modes de production et de consommation, pour donner un sens partagé à la transition écologique & énergétique ?
Une transition dont on sent bien qu’elle ne peut être que collective et individuelle, que relationnelle et personnelle, qu’écologique et biologique. Pas l’une ou l’autre, mais combinée ensemble, gouvernées stratégiquement par l’Etat qui devrait être le mécano des financements nécessaires, le garant de son évaluation et de sa mise en œuvre de manière déconcentrée au niveau des territoires, ne serait-ce qu’au regard des énergies renouvelables par nature territorialisées, à petite échelle, mais aussi d’une demande citoyenne de plus en plus forte dans ce sens.
Il est urgent de retrouver un sens à l’activité humaine, aux antipodes d’indicateurs économiques qui ne sont plus adaptés à la situation planétaire, pour le moins très incomplets et qui ne disent surtout plus rien à personne : la bonne santé a le pouvoir d’apaiser, de guérir, de réparer, et donc de permettre d’envisager l’avenir. De faire espérer. Et si cette crise permettait d’accorder davantage d’attention non seulement aux questions de santé, mais aussi à l'égal accès au système de soins ? En France, ce sont plus particulièrement les capacités d’accueil et la répartition géographique, l’organisation du système de santé lui-même, qui sont interrogés, tout comme la question des ressources humaines nécessaires, des moyens à mettre sur la recherche, la prévention et la promotion de la santé. Force est de remarquer que dans l’hexagone ces questions sont structurellement sous-débattues lors des consultations politiques. Et ce n’est sans doute pas la prochaine campagne pour la présidentielle 2022 qui, telle qu’elle se profile, démentira ce constat.
Or, comme il existe désormais un lien chaque jour plus étroit entre questions sanitaires et questions écologiques, ainsi que le montrent de plus en plus de chercheurs, cette crise sanitaire pourrait nous aider à progresser vers des sociétés plus soucieuses de la préservation de leur environnement et de la « biodiversité », c’est-à-dire, autrement mieux dit, de la diversité de la vie, et donc des humains eux-mêmes. Plus soucieuse de la cura (autrement mieux dit que le « care »), de l’attention à l’autre, pas seulement dans une approche philosophique du soin dans son acception large, mais aussi pratique, politique. On pouvait penser que l’écologie porterait la santé. C’est peut-être l’inverse qui va se passer demain.
Car la crise climatique & énergétique n’a pas disparue avec la Covid. Toutes les solutions sont là, mais c’est comme si on faisait le choix de ne pas lutter contre le dérèglement climatique, se contentant juste d’empiler des rapports et des discours sans grands effets, sans jamais s’attaquer vraiment à la racine du problème, en baissant pavillon devant les irréversibilités écologiques. Le risque d’une intensification et d’une multiplication d’épisodes extrêmes, caniculaires, de sécheresse, de précipitations, de gel, d’ouragans, est non seulement réel, mais déjà là.
En Europe, l’été 2021 aura sans doute l’été le plus chaud jamais enregistré, selon le service européen sur le changement climatique Copernicus, avec des records en Sicile (48,8 °C) et en Espagne (47 °C) et des incendies ravageuses en Italie, Grèce et Turquie. Avec également des précipitations inouïes en Allemagne et en Belgique et des inondations ayant causé plus de 200 morts et sans doute des milliards d’Euros de dégâts. Des océans dont on n’a pas encore mesuré combien ils sont dévastés par le dérèglement climatique, les déchets, les micro-plastiques et toutes les autres pollutions engendrées par les activités humaines, risquant de priver cette même humanité de tout espoir d’une « alimentation bleue », d’une source d’alimentation complémentaire, voire alternative.
Et que dire du risque de pénurie d’eau qui pourrait passer d’un continent l’autre ?
Le désastreux serait d’en rester à la déploration et de se laisser piéger par le fatalisme et un engourdissement général.
Le dérèglement climatique, qui embrase tout, la Terre, mais aussi nos certitudes, qui abrase la volonté des Hommes, ne doit pas nous condamner à l’immobilisme ou à l’attentisme suicidaire, mais doit être affronté en considérant également, et le fait démographique et les possibilités nouvelles d’existence.
L’humanité est-elle capable de se faire violence et d’accepter de se confronter à l’imprévisibilité du temps ?
Comme à l’idée merleau-pontienne que l’engagement est susceptible de s’abîmer dans l’erreur ? Quoi qu’elle fasse, ce ne peut être que dans le risque. Nous sommes en réalité à un moment de confusions extrêmes mais aussi de possibles qui nécessite plus que jamais de savoir renouer, avec le "collectionneur d’étincelles", "chiffonnier de l'histoire" que fut Walter Benjamin *, entre passé, présent et avenir.
Avec le phénomène de la globalisation, le temps s’est comme rétracté, tandis que l’espace s’est ouvert ; aujourd’hui, on a l’impression que le temps se rétracte de plus en plus, mais que l’espace se ferme.
Avec nos meilleurs voeux pour la nouvelle année !
* Philosophe, écrivain et critique d’art allemand, Walter Benjamin n’a pas peu contribué à la vie intellectuelle française dans les années 30, il fut de ceux qui tentèrent de réenchanter la gauche. « Rompant avec la rationalité sèche du socialisme scientifique à l’ancienne, il fut l’un des premiers à comprendre que la culture, la technique, les objets étaient des champs de bataille pour l’émancipation des « vaincus de l’histoire » et non de simples sous-produits des rapports de production. » (Nicolas Weill, Le Monde, 13-03-2014).
Ingénieur Télécom. Membre du Comité économique et social européen.
Ancien Président d’UNI Europa Poste & Logistique.
Ancien Secrétaire général de la fédération FO PTT devenue FO Communication.
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