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ACCÉLÉRONS LA RÉSONANCE ! – Pour une éducation en anthropocène, Note de lecture de Jean-Marie Pierlot


ACCÉLÉRONS LA RÉSONANCE ! – Pour une éducation en anthropocène. Entretiens d’Hartmut Rosa avec Nathanaël Wallenhorst, traduit de l'allemand par Sophie Paré et Nathanaël Wallenhorst (Paris 2022, Editions Le Pommier).

 

La réalité de l'anthropocène / le "développement durable" /l'accélération du capitalisme financier spéculatif...

Dans ce livre récent, publié le 5 janvier 2022, le penseur de la "résonance", le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa qui ne cesse de questionner notre modernité, notre rapport au temps et interroge la marche d'un monde qui s'accélère, nous invite à écouter ce que le monde a à nous dire et à accepter d'entrer dans un nouveau rapport avec ce dernier.


Précédé de la mention « Manifeste », cet opuscule de 62 pages se fait l’écho de l’interrogation d’un enseignant-chercheur, Nathanaël Wallenhorst, préoccupé par ce que certains nomment La Grande Accélération, autre nom de l’anthropocène. Nathanaël Wallenhorst s’interroge sur la finalité de l’éducation : elle a échoué jusqu’ici à prévenir l’entrée dans l’anthropocène et à mesurer l’étendue de l’effondrement du vivant par l’éducation au développement durable.

Sa question ultime est : comment éduquer dans l’anthropocène ? Et « la résonance est-elle porteuse d’une puissance politique capable de tracer des voies nouvelles » pour réaliser ce nouveau projet éducatif ?

 

Wallenhorst décide alors d’interroger Hartmut Rosa, sociologue et philosophe allemand, représentant de la dernière génération de la théorie critique de l’Ecole de Francfort, après Jürgen Habermas et Axel Honneth, dont il fut l’élève. Il en résulte cette interview, découpée en 7 petits chapitres. L’auteur tente d’amener Hartmut Rosa vers cette question : que faire pour modifier progressivement notre espace social et dégager un horizon collectif porteur d’espérance ?

 

Ils parcourent ensemble les thèmes développés par H. Rosa sur l’accélération et sur la résonance, qui constitue la réponse à apporter à cette aliénation du « toujours plus vite » n’aboutissant qu’à maintenir en l’état le développement récent du capitalisme sous la forme de la « stabilisation dynamique ». Rosa tente de faire comprendre sa conception d’une vie bonne, constituant une relation au monde et aux autres : « (…) j’entre en contact avec le monde. Tout se passe comme si je m’entretenais avec lui. Il a des répercussions sur moi, il me touche et me transforme. » (p. 37). Dans la majorité des processus de formation, explique-t-il, « nous ne réalisons aucune rencontre avec le monde. » Il oppose le processus d’appropriation de connaissances avec celui de l’assimilation, qui intègre toujours quelque chose de non disponible et de non maîtrisable.

 

   Voilà pourquoi, à la question « Que faire ? », H. Rosa ne peut que répondre qu’avant d’agir pour transformer le monde, il faut d’abord s’arrêter, ouvrir un processus d’autoréflexion à l’écoute du monde. Il considère que ses prédécesseurs de l’Ecole de Francfort, Marcuse, Adorno, Horckheimer ou Benjamin sont arrivés par des voies diverses au constat que « le monde devient sourd ». Wallenhorst reformule la proposition de Rosa comme suit : « Si je comprends bien, il s’agit d’apprendre à écouter le monde plutôt qu’à le prendre et à mettre la main sur lui. » (p. 53).

                                                                                                                                                                                                                           Hartmut Rosa, 2018 Crédits : A. Ysebaert - Radio France

 

Il sera dès lors vain de se demander de quelles réformes nous avons besoin. Une seule proposition concrète de revenu de base sans condition, autrement nommée allocation universelle, pourrait constituer une mesure pour « être autrement dans le monde et pour s’impliquer autrement dans les relations aux autres. ». Cette posture implique de penser notre relation à la nature, au monde et aux autres par-delà la critique du capitalisme. Nous n’aurons donc pas de la part d’H. Rosa de propositions politiques pour changer le monde – il faut d’abord écouter, mesurer l’indisponibilité du monde, telle qu’elle est par exemple apparue au plus fort de la pandémie. Et seulement après, « apporter des réponses circonstanciées et expérimenter de nouvelles formes de vivre-ensemble. »

 

Ceux qui attendaient du sociologue-philosophe des pistes concrètes seront déçus. Les autres auront trouvé l’occasion d’approfondir leur quête de résonance pour lutter contre l’accélération qui nous mène à la catastrophe climatique en cours.

 

Hartmut Rosa, un des plus importants sociologue de notre époque, également philosophe, est professeur à l’Université Friedrich Schiller de Iéna en Allemagne et auteur notamment de "Rendre Le Monde indisponible" (éditions La Découverte, 2020).

 

Nathanaël Wallenhorst est maître de conférences HDR à l'Université de Bourgogne, Université Paris 13 et UCO, chercheur à l’Unité Propre de Recherche Émergeante LIRFE, Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche sur les Questions Vives en Formation et en Éducation; chercheur associé au LISEC UR 2310 ; chercheur associé à l’IDPSP UR1 RS4385.


 

Jean-Marie Pierlot, chercheur en communication des associations, spécialiste de la communication stratégique, de crise et du Fundraising, a travaillé durant 25 ans en Belgique francophone dans divers secteurs (santé, environnement, aide humanitaire, développement, droits humains) et a enseigné la communication du non-marchand à l’UCLouvain (Université catholique de Louvain).

Cet ancien administrateur de Greenpeace Belgique (1989-95) fut aussi membre du LASCO, le Laboratoire d'Analyse des Systèmes de Communication d'Organisations (de 2000 à 2014); il a participé à l'édition d'un n° spécial de Recherches en Communication (UCL) sur Légitimation et Communication (n° 25, 2006) et a co-édité les Actes du colloque "Contredire l'entreprise" (Presses Universitaires de Louvain, 2010).

 

Il est aujourd’hui administrateur de l'association Entraide et Fraternité et membre du Centre d'Etudes de la Communication (CECOM) de l'UCLLouvain.

 

Jean-Marie Pierlot est un contributeur du PRé. Derniers articles publiés :

- Quel monde associatif demain ? Mouvements citoyens et démocratie ; sous la direction de Patricia Coler, Marie-Catherine Henry, Jean-Louis Laville et Gilles Rouby (Toulouse, Ed. Erès, Collection « L’innovation sociale en pratiques », 2021), Note de lecture, 30-10-2021.

La saga " Didier Raoult" : Déconfiner les écosystèmes, 30-06-2020.

 

Auteur de plusieurs livres dont La communication des associations (Ed Dunod, 2014); Les nouvelles luttes sociales et environnementales, avec Thierry Libaert (Vuibert, 2015).

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Commentaires: 1
  • #1

    Frederic Soille (jeudi, 10 février 2022 09:22)

    Réouvrir et approfondir ce sens « unique » à la vie. Arrêter ce 21€ siècle ! Une nouvelle construction mentale. Au plaisir de rencontrer le philosophe en nous et laisser parler l’intuition autant que la raison.