Notre amie Jane SAUTIERE a vu le dernier film documentaire français, cambodgien du réalisateur et écrivain Rithy PANH (sorti le 26 Janvier 2022) sur les guerres au XXe siècle. Un film sur l'emprise du mal sur l'âme humaine, un poème visuel et sonore âpre et glaçant. Terrifique. « Il faut, pour la cause de l'homme, traverser et comprendre les formes du mal, des tranchées aux atomes, des camps au silence. Le mal irradie, il blesse jusqu'aux générations futures », dit la voix à la fin du film...
Rithy Panh a réalisé notamment Site 2 - Aux abords des frontières (1989), Les Gens de la rizière (1994), Exil (2016) et Les Tombeaux sans nom (2018).
Il y a quelques semaines, j’ai vu « Irradiés », le dernier film de Rithy Panh.
Il était présent. Christophe Bataille aussi qui a écrit le texte dit par Rebecca Marder et André Wilms (oh combien sera bouleversant d’entendre sa voix depuis sa mort si proche).
Tout le mouvement du texte est de nous mettre face au mal. Et c’est insoutenable.
Je ne pensais pas que je verrais un jour des images aussi extrêmes de ce qu’un humain peut infliger à un autre humain. Image du génocide des juifs, des bombes d’Iroshima et Nagasaki, des khmers rouges, des soldats abusés de l’armée coloniale, de la guerre d’Algérie et du de celles du Vietnam.
Tout cela a été filmé et nous arrive ici.
Le texte est, par sa beauté, contre les images, leur adversaire et de ce fait, il les rehausse, les hisse jusqu’à notre conscience.
Il faudrait hurler, on ne le peut pas.
Tout le temps, dans ma tête comme un mantra, comme une berceuse, mon petit, mon petit, adressé aux suppliciés, comme une tentative de contrepoison. Non. Car il n’y a pas de contrepoison, mais une invocation, une forme de prière. Mon petit, à tous, toutes.
Mon petit aux petits, aux enfants pleurant seuls au pied du cadavre de leur mère, perdus dans cet océan de mal. Mon petit, la grand-mère au regard de terreur violemment frappée. Mon petit les femmes dépecées, torturées, abattues, celles qui soutiennent encore le regard du bourreau, les cadavres comme déchet, tous, toutes, mon petit.
Et celui-là aussi qui a fait le film, mon petit, celui qui a brûlé ses yeux à chercher les images, les a trouvées, les livre.
On ne détourne pas le regard, on ne peut pas, ce serait la pire des lâchetés. On est le coffre humain qui va les abriter toutes, coffre abri et non prison, coffre vivant, battant, cage thoracique, non pas tombeau mais berceau. Mon petit, mon petit.
Et il faut maintenant penser à toutes les autres images, celles qui vont arriver, celles que la guerre en cours va produire, l’œuvre macabre, la destruction de l’humain.
« Irradiés » work in process.
Irradiés, de Rithy Panh. | Les Acacias
Bande annonce : https://youtu.be/I3OL63cJvBg
Jane Sautière est romancière.
Auteure notamment de « Mort d'un cheval dans les bras de sa mère » (Editions Verticales, Gallimard, 2018), « Stations (entre les lignes) » (Éditions Verticales, 2015 et « Dressing » (Éditions Verticales, 2013), ses trois derniers titres.
Jane Sautière a publié des nouvelles et des articles dans diverses revues et co-signé également « Zones d'ombres » avec Jean-Marie Dutey (Gallimard, «Série Noire», 1998).
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