Dimanche, j'ai entendu cette chanson de Renaud, Fatigué, qui exprime si bien ce que cette période m'inspire.
Il l'a écrite à Moscou, après que les Komsomols (1) aient organisé le départ du public de son concert au Parc Gorky (juillet 1985) sur sa chanson du Déserteur, au moment où il chantait : "quand les russes, les ricains feront péter la planète, moi j'aurais l'air malin avec ma bicyclette ".
Dans cette chanson, il est question d'enfant blessé et du viol de sa mère, ça matche pas mal avec la Russie en ce moment.
Il y aurait bien des choses à dire là-dessus, mais je vais me concentrer sur l'élection qui vient.
Harris Interactive donne Marine Le Pen à 48,5 au second tour, en progression (la tendance, c'est ce qui importe le plus à proximité du scrutin).
Les Jours heureux*, 1941
Il y a cinq ans, j'avais écrit qu'il était urgent pour la gauche de reconstruire une proposition commune qui intégrait toutes les sensibilités, pour ne pas risquer ça, et là on y est.
Chacun a fait dans son coin, en recuisant les haines, et ce qui devait advenir advient.
On en est à voir sur Twitter des gens qui disent : "oui, mais elle aura pas de majorité à l'Assemblée, en vrai ". Bravo les veaux.
Et maintenant, on me somme, on somme le peuple de gauche d'être raisonnable à la place de ceux qui ne l'ont pas été avant (les politiques) et de se rallier au panache blanc d'un politicien blanchi sous le harnais qui ne fait même pas l'effort d'être aimable.
Qu'on ne me dise pas que la personnalité du candidat n'importe pas, on parle du président de la République, pas du 14° sur une liste des régionales. Et ceci, alors même qu'il accuse un retard irrattrapable en 5 jours dans les sondages, entre 5 et 8 points, sur Marine Le Pen, et qu'il n'appelle pas forcément à battre l’extrême droite au second tour.
Cerise sur le gâteau, alors que lui et sa bande passent leur temps avec Assa Traoré et les théoriciens de l'Etat raciste et de l'islamophobie, le leader maximo se fend d'un tweet à propos de la mort ignoble de Jeremy Cohen (2) sans évoquer la question de l'antisémitisme. Ces précautions, comme celle de Médiapart, vaudraient s'ils les appliquaient à chaque fois. Mais là, non, dans le cas d'espèce, faut pas conclure trop vite comme on le fait si c'est des flics par exemple (qui sont coupables, forcément coupables).
C'est désespérant, c'est fatiguant.
Etre incapable de faire la différence entre l'Etat d'Israël et sa politique scandaleuse dans les territoires occupés et les juifs en France, ça me désole, et pour un responsable politique, participer à cet amalgame de quelque façon que ce soit, le disqualifie.
J'ai grandi à Sarcelles dans le quartier "feuj", et j'ai eu par hasard des nouvelles il y a quelques temps. Mes amis d'enfance sont presque tous partis en Israël (pas rentrés en Israël, ils sont tous nés ici). La remigration, elle existe dans les faits, ici en France.
Pour les juifs. Comment peut-on accepter ça ?
La victoire de Marine Le Pen est possible parce que les gens sont usés.
Usés de ne pas gagner assez malgré leur travail.
Usés que leurs gosses ne puissent pas prétendre à l'ascenseur républicain.
Usés de voir le service public se dégrader (alors que ce n’est pas vrai partout par ailleurs, parfois juste il s'adapte et on ne peut pas lui reprocher tout et son contraire).
Usés qu'on leur demande des efforts qu'ils ne sont pas capables de fournir, qu'il s'agisse du coût de la vie ou de préservation de la nature (la balle est dans le camp des décideurs sur ce sujet, l'étape suivante c'est de la réglementation, des interdictions, bref du putain de courage, mais en tout cas les gens ont besoin de solutions, pas de reproches).
Usés d'être à la merci de délinquants à qui il n'arrive pas grand-chose après (ou en tout cas avec des délais insupportables étant donné les moyens de la justice).
Usés d'avoir l'impression d'être les seuls à qui on demande des efforts surtout.
Usés que quand ils l'ont exprimé sur les ronds-points, on a préféré les enfumer plutôt que de les écouter. J'ai encore à l'esprit le show du Président qui avait parlé pendant des heures devant un public censé incarner les gilets jaunes. S'il avait passé le même temps à les écouter, il aurait pu s'éviter un ou deux rapports écrit par les Big four (3).
Usés des éléments de langage de la novlangue managériale qu'on leur assène aussi.
Usés d'être pris pour des demeurés enfin.
C'est ce qui m'a plu chez Roussel, c’est qu’il parle avec de vrais mots, que mes neveux et nièces comprennent par exemple, et il porte un discours joyeux. Revendicatif, mais joyeux. Et comme l'a exprimé l'écrivain Nicolas Mathieu (4) à l'émission TV C politique qui en pince pour son côté gauche « populaire et Label rouge » : "il renverse les stigmates et le rapport de force pour les gens qui se sentent méprisés et culpabilisés dans leurs habitudes.".
Je ne sais pas si je voterais pour lui (scoop : je ne suis pas communiste, même si j'ai une affection particulière pour ces militants infatigables de la cause populaire) mais il aura fait du bien au moins, ça c'est sûr.
Préparez-vous à l'idée de devoir choisir entre voter Macron et s'abstenir, tout en sachant que la seconde attitude fera prendre un risque réel à la démocratie française. Ce choix vous est offert par ceux qui ont délibérément refusé leur responsabilité de reconstruire un commun à gauche. En se disant que ça passerait toujours.
*Les Jours heureux est un film français de Jean de Marguenat de 1941, d'après la pièce de Claude-André Puget. C'est en référence à ce film, tout autant qu'à une pièce théâtrale à succès de 1938, que le Conseil national de la Résistance (CNR) intitulera son programme "Les jours heureux". Le candidat communiste à la présidentielle 2022 Fabien Roussel y fait une référence explicite dans son programme « La France des jours heureux ».
Notons qu’Emmanuel Macron y a eu recours également, il y a deux ans, pour conclure son discours annonçant un déconfinement progressif à partir du 11 mai 2020, en voulant terminer sur une note d'espoir : « Nous aurons des jours meilleurs et nous retrouverons les jours heureux.». Et l’on peut aussi relever qu’avant lui cette rhétorique a de la même façon été utilisée par Jean-Luc Mélenchon lors de la précédente campagne présidentielle et repris dans un clip qui concluait sur un «Allez, viennent les jours heureux et le goût du bonheur ». Enfin, en 2014, à l’occasion de la commémoration du CNR, le Parti de Gauche (PG) du même Mélenchon y avait eu recours sur le thème Les « jours heureux » restent une idée neuve ». Et l’année d’avant, le même PG sous forme de flyers et d’affichettes pour promouvoir le film Les Jours heureux de Gilles Perret qui évoque un monde meilleur s’élaborant pendant la guerre.
(1) Komsomol : abréviation de Vsesoyouznyï leninski kommounistitcheski soyouz molodeji (Union communiste léniniste pan-soviétique de la jeunesse).
(2) Jérémy Cohen : le procureur de Bobigny (Seine-Saint-Denis) a annoncé lundi 4 avril qu’une enquête pour « violences volontaires en réunion » a été ouverte fin mars après la mort, le 16 février, du jeune homme percuté par un tramway à Bobigny après avoir été frappé par d'autres jeunes.
(3) Les Big Four ("les quatre grands") sont les quatre plus grands groupes d'audit financier et de conseil au niveau mondial : Deloitte Touche Tohmatsu, EY, KPMG, PwC.
(4) Nicolas Mathieu, écrivain, auteur de Connemara (éditions Actes Sud, février 2022), Prix Goncourt 2018 (pour Leurs enfants après eux).
You Tube.com RENAUD - Fatigué
Olivier Ryckewaert est un spécialiste de la gestion des collectivités, promoteur de la culture du design, praticien et formateur en innovation publique. Egalement animateur MOOC innovation publique du CNFPT.
Il fut auparavant directeur PRI Design’in Pays de Loire, membre de la direction générale des services de la Région, et collaborateur du Président Jacques Auxiette.
Dernière contribution :
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