Alors que l’usage du shaming (opprobre) à propos des piscines privées, des golfs et des jets privés se démultiplie sur les réseaux sociaux en cette fin de mois d’août, des voix s’élèvent pour en demander la taxation, la régulation, voire l’interdiction, tandis que le ministre délégué chargé des Transports Clément Beaune annonce prévoir de faire des propositions à la rentrée pour contenir les trajets polluants en avions privés, au moment où le gouvernement se penchera sur son « plan de sobriété » énergétique.
Olivier Ryckewaert, praticien de l'innovation publique, évoque à ce propos les effets de bord, " la logique d'interdiction en règle générale qui crée des effets de bord possiblement pire que que la situation précédente ."
Ce qui ne veut pas dire qu'il faille s'interdire d'interdire tel ou tel usage. Ainsi, par exemple, sport utility vehicle,
Pour Julien Bayou, secrétaire national d'EELV, "Il est temps de bannir les jets privés" (Entretien Libération publié le 19 août
2022)
Connaissez vous le principe des effets de bord ?
Ce sont des effets secondaires qui tiennent à l'existence d'une limite, d'un seuil à partir duquel la situation se modifie en profondeur.
Les modifications de politiques publiques créent des effets de bord, toujours plus importants et souvent inquantifiables dans un système complexe, et c'est sans doute pour cela qu'il est plus efficient de pratiquer par tâtonnements (en langage techno on dit "expérimentation") qu'en appliquant une théorie (où tout se passe bien, comme nous l'a appris Desproges).
Les interdictions dans un seul pays génèrent une possibilité d'effets de bords immédiats, les bords étant les frontières, pour tout ce qui n'est pas de l'économie résidentielle.
Ainsi, l'interdiction des vols intérieurs lorsqu'il existe une alternative en moins de 2h30 en train aurait pour conséquence immédiate, en terme d'effets de bord, de faire d'Amsterdam LE Hub des "français de province/régions/des territoires" pour les voyages internationaux, au détriment de Roissy. Moins de vols, mais surtout moins de pognon dans les caisses. [C'est un exemple pour faire comprendre, merci de ne pas m'expliquer en long et en large que je dis une connerie si c'est le cas, ce n'est pas le propos central de ce billet.]
La logique d'interdiction en règle générale crée des effets de bord possiblement pire que que la situation précédente.
C'est ce qui crée la polémique sur les jets privés en ce moment entre les interdictionnistes et les anti-interdictionnistes, les seconds mettant en avant les effets de bord pour ne rien changer, quand les premiers disent que merde, c'est pas possible de laisser faire n'importe quoi quand on demande à tout le monde des efforts.
Sans doute faut il prendre en considération les deux points de vue pour trouver une solution, même si c'est chiant la complexité.
Pour ma part, je pense que la solution se trouve certainement dans le remplacement de la TVA par un impôt carbone ou une obligation de compensation, y compris au niveau des ménages. Tu veux faire construire une piscine, tu raques la taxe ou tu payes une mini-forêt. Tu prends ton jet, ça te coûte l'isolation d'une école primaire. Tu veux aller en Grèce pour les vacances, tu aides un refuge de biodiversité. Etc.
Cela demande d'établir une base de comptabilité carbone assez sérieuse (mais bon, ça fait plus de 20 ans qu'on travaille sur des alternatives au PIB, il serait peut être temps de produire un truc opérationnel).
Mais par contre, ça rend la critique du dispositif délicate : si tu fais du CO2, tu compenses, répond à ça, mon ami. L'acceptabilité serait bien plus forte qu'une interdiction forcément mal vue dans une société où les libertés individuelles sont devenues prépondérantes.
L'an passé, j'avais construit un scénario de design fiction avec l'ami Bastien Kerspern * pour un atelier qui se basait sur le basculement sur une comptabilité carbone. Le processus qu'elle enclenche est vraiment vertueux. Ainsi on aboutissait irrémédiablement à un parlement du vivant, où faune et flore avaient leurs intérêts propres de représentés, par exemple.
Bon, par contre c'est plus compliqué à expliquer, et donc moins simple à vendre à une matinale radio ou télé que "faut interdire les jets", mais les grandes inventions politiques demandent un peu de travail. La Sécu n'est pas née en un seul jour, y a eu plein de prototypes avant.
Et oui, je sais, on n'a plus le temps, mais faut le prendre quand même. Ou alors établir un régime autoritaire (et éclairé #oxymore), mais je ne sais pas pourquoi, ça me plait moins.
* Bastien Kespern est designer, co-fondateur, co-gérant des studios Design Friction et de Casus Ludi. Designer de la médiation et de l'anticipation, il conçoit et produit des " expériences ludiques, participatives et prospectives " pour accompagner la transformation des organisations publiques et privées. Il enseigne à l'Ecole de design Nantes Atlantique, l'Umeå Institute of Design (UID), HES-SO Genève, et l'Oslo School of Architecture and Design - AHO (Arkitektur- og designhøgskolen i Oslo).
Auteur, entre autres, de Plaidoyer pour un autre design de la ville intelligente - Lille Métropole, Capitale Mondiale du Design (Horizons Publics N°10 Talk et publication, 2019).
Olivier Ryckewaert est un spécialiste de la gestion des collectivités, promoteur de la culture du design, praticien et formateur en innovation publique. Egalement animateur MOOC innovation publique du CNFPT.
Il fut auparavant directeur PRI Design’in Pays de Loire, membre de la direction générale des services de la Région, et collaborateur du Président Jacques Auxiette.
Dernière contribution : " C'est par ou les jours heureux ? " (06 juin 2022) https://www.pourunerepubliqueecologique.org/2022/04/06/c-est-par-ou-les-jours-heureux-par-olivier-ryckewaert/https://www.pourunerepubliqueecologique.org/2022/04/06/c-est-par-ou-les-jours-heureux-par-olivier-ryckewaert/
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