Thierry Libaert, expert en communication des organisations, conseiller au Comité Economique et Social Européen, dont il est le point de contact de la délégation française, est président du conseil scientifique du PRé.
Disons-le d’emblée, ce livre est le plus complet et intéressant que j’ai pu lire sur le sujet. L’auteur, professeur associé en Italie, a étudié l’ensemble de la production scientifique anglo-saxonne sur le sujet, soit 554 articles, tout en prenant en considération les articles dans lesquels le greenwashing n’est pas le sujet central mais est évoqué, soit au total 2 797 articles. L’étude du greenwashing a longtemps été réduite, à peine un ou deux articles par an jusqu’en 2009, alors que sur les cinq dernières années 90 textes furent publiés. Les auteurs quant à eux, se concentrent sur l’Occident, essentiellement l’Amérique du Nord (37,3 %), l’Europe (25,5 %) et le Royaume-Uni (10 %).
Tout cela permet de dépasser les approches hâtives où domine un jugement éthique (parler sans agir, manipuler).
L’ouvrage débute avec un rappel historique de la montée du greenwashing depuis l’apparition du terme en 1986 dans un court essai de Jay Westerfeld, activiste américain qui dénonçait la pratique d’hôtels incitant les résidents à réutiliser leurs serviettes de toilette sous l’argument de sauver la planète alors qu’il s’agissait prioritairement de réduire les coûts de nettoyage.
La première définition apparaît en 1991 dans une étude relative à la publicité environnementale[1], le premier livre, basé sur un rapport de Greenpeace, est publié en 1996 et le mot fait son apparition en 1999 dans le Concise Oxford English Dictionary.
Le greenwashing semble plus trompeur parmi l’ensemble des champs publicitaires parce que, sur le sujet environnemental, les consommateurs parviennent moins à décrypter les messages et faire la part du vrai, et cela même s’ils peuvent avoir un haut niveau de compétence en la matière.
L’auteur expose les cinq cas de greenwashing les plus présents ; la divulgation sélective ou la mise en évidence des aspects positifs tout en dissimulant les points négatifs, le détournement d’attention, le découplage qui se produit lorsque les organisations arguent de répondre aux attentes des parties prenantes mais sans modification substantielle de leurs pratiques, le label trompeur, et la manipulation intentionnellement trompeuse comme pour le Dieselgate.
Le domaine du textile, s’il n’est pas le plus repéré, est un de ceux où les allégations environnementales sont très présentes, 60 % des allégations seraient trompeuses et le pire est que certaines marques ou collections qui se présentent comme engagées feraient du greenwashing à l’exemple de la collection « Conscious » de H&M qui contiendrait une plus forte proportion de fibres synthétiques que les autres produits de la marque, ou la collection « Sustainable » de Zalando qui elle aussi contient davantage de vêtements comportant des fibres synthétiques à base de combustibles fossiles.
Un chapitre est consacré aux soubassements théoriques des recherches sur le greenwashing à l’exemple de la théorie de la légitimité où l’entreprise cherche à se rendre compatible avec un système de normes et valeurs sociales, ou la théorie de l’attribution qui vise à expliquer la réaction des consommateurs envers les actions de communication RSE. D’autres approches sont évoquées comme la théorie de l’institution, la théorie du signal, la communication constitutive des organisations.
Trois études de cas sont présentées. Le Dieselgate qui commence en 2014 lorsqu’une organisation indépendante publie des résultats relatifs aux émissions de polluants sur trois modèles de Volkswagen et montre que ceux-ci se révèlent 15 à 35 fois supérieurs aux normes américaines. En septembre 2015, l’Agence américaine de l’environnement révèle la présence d’un mécanisme interne permettant de détecter si la voiture est en phase de test ou en situation normale de circulation. Onze millions de ces voitures avaient été vendues dans le monde.
Des chercheurs ont recensé toutes les communications RSE de l’entreprise et toutes se situent sur le même axe ; la déclaration d’être le groupe automobile le plus respectueux de l’environnement. L’effet sur les ventes de cette tromperie a toutefois été très limité car deux ans après, en 2017, Volkswagen connaissait ses meilleurs résultats en termes de vente de véhicules.
La deuxième étude porte sur la question des emballages plastiques chez Nestlé au travers de l’étude de 162 post publiés par l’entreprise sur sa page Facebook. 74 % d’entre eux présentent un signe de greenwashing et 42 % deux ou plus. Le phénomène le plus fréquent est celui du détournement d’attention, par exemple promouvoir le recyclage des capsules de café en occultant le fait que 140 litres d’eau sont nécessaires pour produire une dose pour une seule tasse.
La dernière étude concerne le greenwashing en matière de reporting et considère l’entreprise GAR, Golden Agri-Resource, une multinationale de l’agroalimentaire qui a son siège à Singapour et qui exerce dans la transformation de l’huile de palme. Malgré de graves accusations d’accaparement de terre et de déforestation, l’entreprise fut incluse en 2017 dans le DJSI, le Dow Jones Sustainability Index. D’autres accusations suivront, notamment d’intimidation de villageois, de destruction de sites religieux. L’agence de notation RobecoSAM soutint la reconnaissance de GAR au sein de l’indice le plus performant en matière environnementale et sociale et ce n’est qu’en 2019 que DJSI retira GAR de son indice, cela après l’arrestation de plusieurs dirigeants pour corruption. Un des autres principaux indicateurs de confiance sur les sujets RSE, le FTSE4Good a inclus GAR dans sa notation et lui attribue une note de 3,3 sur 5, notamment pour la traçabilité de ses plantations et ses projets de développement sociétaire.
Les controverses se prolongent, Bloomberg a montré que les plaintes se poursuivent tout comme les destructions de forêts, ce qui pose une question sur la fiabilité des indicateurs RSE et leur capacité à exercer une pression sur les entreprises pour modifier leurs pratiques. Une étude de 2013 sur les rapports de développement durable de secteurs économiques controversés avait montré que 90% des évènements négatifs en matière de RSE n’étaient pas mentionnés.
Ces trois cas permettent d’avoir une vue élargie du problème de greenwashing et non focalisée exclusivement sur la sphère publicitaire. Cela s’illustre également sur les sites web d’entreprise et les fonds d’investissement responsables. Ainsi, selon une étude du magazine The Economist de 2021, sur les vingt fonds de placement ESG les plus importants, la plupart incluent des entreprises controversées dans l’industrie du tabac, le jeu, l’extraction minière, les énergies fossiles.
Le dernier chapitre porte sur les perspectives de greenwashing à l’heure de la montée continue du scepticisme et de la méfiance envers les entreprises. Quatre idées apparaissent : le greenwashing ne peut être réduit à une question de diffusion d’informations et sa dichotomie entre la parole et l’action, il n’est pas, le plus souvent, une stratégie délibérée, il ne concerne pas seulement l’entreprise mais aussi les médias, les politiques et bien d’autres acteurs, et s’il apparaît dommageable pour la réputation des organisations, la persistance d’un effet négatif à moyen-long terme semble encore en débat.
Au final, un livre passionnant de bout en bout, ultra documenté, qui permet une meilleure compréhension d’un sujet omniprésent dans nos sociétés. La seule critique que je peux émettre est que l’ouvrage ne prend en considération que les publications en langue anglaise, alors que les chercheurs francophones ont beaucoup travaillé ce sujet en publiant dans des revues scientifiques francophones.
Référence : Agostino Vollero, Greenwashing. Foundations and emerging research on corporate sustainability and deceptive communication. Emerald Points.152 pages. 2022.
[1] : N. Kangun, L. Carlson et S.J. Grove. Environmental Advertising Claims: a preliminary investigation. Journal of public policy and marketing, n°10, vol. 2, p. 47-58. 1991.
Thierry Libaert, professeur des universités, est président du conseil scientifique du PRé, président de l’Académie des controverses et de la communication sensible (ACCS), membre du conseil scientifique du Earth & Life Institute (UCLouvain, Belgique), administrateur de l’Institut des futurs souhaitables. Il est également conseiller au Comité économique et social européen dont il est le point de contact de la délégation française, et où il mène un travail déterminant, particulièrement investi sur les nouvelles modalités économiques et démocratiques de la transition écologique.
Il fut membre du Conseil d’Orientation des Consultations Citoyennes sur l’Europe mis en place pour accompagner le processus en 2018. Il travaille actuellement comme chef de mission à la direction développement durable du Groupe EDF.
Thierry Libaert est l'auteur de plusieurs ouvrages de référence et et de plusieurs rapports. Auteur notamment d'un récent rapport sur « Publicité et transition écologique » remis en juin 2021 dernier à la ministre de la Transition écologique et solidaire.
Derniers ouvrages parus :
- Quelles sciences pour le monde à venir ? Face au dérèglement climatique et à la destruction de la biodiversité, ouvrage collectif, FNH - sous
la direction d'Alain Grandjean et Thierry Libaert (Odile Jacob, octobre 2020)
- Comment mobiliser (enfin) pour la planète (Ed le Pommier, collec Essais, manifestes, septembre 2020)
- La communication de crise (Ed Dunod, février 2020, 5eme édition d'un livre paru en 2001)
Plus d'une trentaine d'ouvrages : https://www.tlibaert.info/qui-suis-je/francais/bibliographie-decembre-2021/
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