LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES
Ce dimanche, je vous propose un poème de Raymond GENTY (1881-1950), poète, parolier et auteur dramatique, quelque peu oublié de nos jours : "Féerie au clair de lune", écrite vers 1939.
Sa carrière littéraire d’auteur dramatique est lancée par ‘L’anniversaire, à propos à la gloire de Corneille’ joué à l’Odéon dès 1905.
En 1913, Raymond Genty est secrétaire de rédaction de la revue satirique ‘le Gil Blas‘ et en 1914 il est mobilisé puis blessé grièvement en novembre. Démobilisé, il rejoint en 1916 le Théâtre national de l'Odéon dont il devient le secrétaire général. Il rédige un carnet de route édité en 1917 par Berger-Levrault : La flamme victorieuse, pour lequel il recevra en 1918 le Prix Montyon de l'Académie (française) puis La Route lumineuse en 1939 (Ed. René Debresse, Paris), un volume de 100 pages d'où est tiré le poème, pour lequel il recevra en 1940 le Prix Artigue de l'Académie.
Raymond Genty, 23 ans, dans l'appartement de ses parents à Paris,
rue de Varennes, en 1904
Féerie au clair de lune a donné lieu à une création musicale du grand Henri DUTILLEUX (1916-2013), publiée à Paris en 1943 par Durand et C.ie : Quatre mélodies pour baryton ou mezzo-soprano composées en 1941-42 dont une première exécution (version avec orchestre) sera donnée à Paris le 14 décembre 1943, par Henri Tomasi (baryton) et la Société des concerts du Conservatoire.
Ces Quatre mélodies comprennent donc "Féerie au clair de lune" (n° 1), également "Pour une amie perdue" (Edmond Borsent) (n° 2) ; "Regards sur l'infini" (Anna de Noailles) (n° 3) ; "Fantasio" (André Bellessort) (n° 4).
Je ne suis pas un spécialiste de ce recueil : c'est le grand baryton François Le Roux qui me l'a envoyé et qui le chante, comme l’a composé Dutilleux, mais j'aime assez ce poème de Genty !
Féerie au clair de lune
Un grillon fait un signal
Sur un timbre de cristal
Et dans la pénombre chaude
Où les parfums sont grisants,
La rampe des vers luisants
S’allume, vert émeraude.
Un ballet de moucherons
Tourne, glisse, fait des ronds
Tourne, glisse, fait des ronds
Dans la lumière changeante.
Un grand papillon de nuit
Passe en agitant sans bruit
Son éventail qui s’argente.
Les parfums des grands lys blancs
Montent plus forts, plus troublants,
Dans cette ombre où l’on conspire.
Mais dans cette ombre il y a
Obéron, il y a Titania,
Il y a du Shakespeare.
Les moustiques éveillés
Bruissent autour des œillets
Tout baignés de crépuscule;
Acteurs lilliputiens,
Chorégraphes aériens,
Mille insectes verts et bleus,
Mille insectes merveilleux
Tournent autour des œillets
Et font une ronde effrénée.
Puis, ayant tourné longtemps
Sous les roseaux des étangs,
Sous le hêtre et sous l’yeuse,
Les petits danseurs ailés
Soudain se sont en allés
Dans l’ombre mystérieuse.
Tout se tait. Seul, par moment,
Le léger sautillement
D’une oiselle à longue queue.
Puis, plus rien, plus aucun bruit,
Il n’y a plus que la nuit
Magnifique, immense et bleue.
Fairies’ Moonlight
A cricket gives a signal
striking a bell of crystal
and in the warm half-light
of enervating fragrance
the fireflies’ rack of lanterns
flares, emerald, alight.
Ballet-dancing midges
go turning, gliding, circling
go turning, gliding, circling
in inconstant light.
A great night butterfly
noiselessly passes by
shaking his silver fan.
The great white lilies’ odour
ascends, more troubling, louder,
in this conspiring shadow.
But in this shadow are
Oberon, Titania,
here we have Shakespeare.
Mosquitoes awaken,
buzz round the carnations
that twilight imbues;
airborne Lilliputians,
stage Terpsichoreans,
the greens and the blues,
a marvellous thousand
small insects revolving
around the carnations
in frantic rotation.
Then, after long whirling
in pond-reeds and ivy
and under dwarf oak,
the little winged dancers
are suddenly gone
in mysterious dark.
All’s quiet. But hold hard:
long-tailed little bird,
hop-hopping, so light.
Then nothing, no sound,
but blue and profound
magnificent night.
Copyright © Timothy Adès
Henri Dutilleux, Quatre Mélodies : Féerie au clair de lune
Avec Marielou Jacquard, mezzo soprano Kunal Lahiry, piano (Recorded at Knutson Studio, Berlin, Germany (2018) : https://www.youtube.com/watch?v=Gb2IXQpclh4
Avec Marc Callahan and Clara Yang, récital à UNC Chapel Hill Moeser Auditorium : https://www.youtube.com/watch?v=iKq8sAg9yf0
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