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GAUCHE DES VILLES, ELECTEURS DES CHAMPS, par Olivier Ryckewaert


Dans une France de plus en plus éparpillée façon puzzle, la scène politique apparaît toujours autant à la fois morcelée et contestée. Dans le même temps, la tendance particulièrement à l'oeuvre lors des dernières élections municipales se poursuit faisant que plus la ville est grande et plus les électeurs se disent proches de la gauche et singulièrement des écologistes d’Europe Écologie les Verts qui apparaissent "désirables" à défaut d'être crédibles. Le fait au long cours le plus marquant étant la confirmation que les lexiques idéologiques des partis sont de moins en moins partagés, de plus en plus rejetés. Analysant en 2021 les données issues du baromètre « fractures françaises » d’Ipsos (pour le Cevipof et l’Institut Montaigne) Vincent de Bernardi (membre du conseil scientifique du PRé), notait que « Les sympathisants de La France insoumise se définissent « de gauche » avant d’être « du peuple », les sympathisants de la République en Marche se disent « centristes » avant d’être « progressistes » ; les sympathisants du Rassemblement national se voient « nationalistes » avant d’être « patriotes », épousant ainsi le qualificatif donné par leurs adversaires. »

Olivier Ryckewaert, spécialiste de l'Innovation publique et praticien des collectivités, commente aujourd'hui  un article de la Fondation Jean Jaurès sur le cas de "la gauche" et de son impuissance; il relève « le repli identitaire de la gauche sur le fait urbain », une gauche dont le discours est devenu cauteleux qui a déserté les champs et est politiquement dans les choux...


  

   La fondation Jean Jaurès a publié en décembre une note : "Être majoritaire : la gauche face à la fracture territoriale" qui couche sur le papier une analyse des dernières élections qui confirme ce que l'on savait déjà.

 

Aucune chance pour la gauche en l'état de revenir au pouvoir national.

 

Les classes moyennes en dehors des métropoles n'ont pas voté à gauche en 2022. Déjà, depuis 2002, les classes populaires ne le faisaient plus. C'est donc une équation à zéro inconnue : dans ces conditions, pas question de réunir 289 députés.

 

En fait, sauf situation locale (pour moi qui suis des Pays de la Loire : Mayenne, La Flèche, Saumur, Ancenis - et encore Ancenis c'est quasi Nantes aujourd'hui) la gauche n'existe plus en dehors des grands centres urbains, elle s'est délitée. Le repli par rapport à 2017 est patent. France entière, à gauche, seule la circonscription du Nord (la 20°) de Fabien Roussel, le secrétaire général du PCF, ne contient pas un bout de métropole, selon l'article. Et les circonscriptions à dominante rurale se comptent sur les doigts d'une main.

 

La fondation analyse le désastre et pointe deux causes : la fin de la discipline républicaine contre le rassemblement national (fallait bien que ça arrive) et le décrochage complet de cet électorat face à la gauche qui apparaît (uniquement) protestataire.

 

Pour ce décrochage, difficile d'en vouloir aux militants qui se coltinaient le terrain : comment gagner des suffrages quand la ligne politique de leurs formations se soucie tellement peu du quotidien de leurs concitoyens ?

Oh, les grandes idées générales sont là : il faut maintenir les services publics coûte que coûte, il faut défendre les retraites, le racisme c'est mal, etc.

Mais concrètement, dans la vision politique de la gauche, qu'est ce qui concerne directement les classes moyennes et les classes populaires de la France en dehors des métropoles et est de nature à transformer leur vie ? Quelles solutions apporte-t-elle à leurs emmerdes du quotidien, et à leur absence de visibilité sur l'avenir ? Plus largement, quand est-ce qu'elle leur apporte des solutions, et pas des problèmes ?

 

La gauche est quand même devenue un syndicat des intérêts de la ville, quand on regarde ses priorités. Ce n’est pas anormal que tous ces gens s'en détournent.

 

A mon sens, une des clés pour que ça change, c'est de s'intéresser en vrai à eux. Les écouter, enclencher le dialogue, comprendre les enjeux et apporter des preuves de l'intérêt de ce qu'on raconte, trouver des solutions en partant des situations vécues, et pas en plaquant des positions théoriques (je vous épargne la liste).

Cela veut dire y passer du temps. Je crois que certains, comme Philippe Brun dans sa circonscription de l'Eure, s'y emploient, mais ce devrait être un mode opératoire normal pour un élu ou celui ou celle qui voudrait le devenir.

 

Une autre, c'est de se remettre à bosser collectivement. Pour de vrai. Pas à la surface des choses, en profondeur. Proposer des alternatives jouables, au sens d'atteignables, donner une vision, un espoir. Incroyable, avec l'expérience emmagasinée dans les collectivités et à la tête de l'Etat que ce ne soit pas déjà le cas.

 

Une dernière, c'est de les aimer. Pas les traiter de gros beaufs à diesel et barbecue à longueur d'antenne. Se souvenir qu'ils sont des citoyens, dont l'opinion comme le suffrage comptent tout autant, et à juste raison. Qu'ils n'ont pas les clefs individuellement des changements à mener, qu'il faut les accompagner et ceci en leur portant une grande considération.

 

   En 2002, après un parcours militant comme il y en a beaucoup (MJS à 16 ans, UNEF ID, MNEF - mes meilleurs souvenirs - PS, UNSA), je suis allé travailler pour le groupe socialiste au Conseil régional des Pays de la Loire. En analysant les différents résultats électoraux, j'ai vu que le basculement sociologique des villes permettait d'espérer un basculement historique de la Région, si on arrivait un minimum à parler aux ruraux et périurbains. Il fallait clairement aller chercher le salariat (attention, gros mot), et déjà il avait commencé à quitter les villes, qui commençaient à être trop chères.

Mon président de groupe, Yannick Vaugrenard, m'avait écouté et nous avons construit une campagne qui parlait à tout le monde : on en a surtout retenu la gratuité des manuels scolaires, mais les 10 mesures phares de 2004 s'évertuaient à démontrer une envie de justice et d'égalité de traitement, pas à contenter des publics spécifiques qui avaient des intentions certes louables mais clairement cryptiques pour le commun des mortels.

On a battu François Fillon, avec cette ligne (et avec un excellent candidat, Jacques Auxiette). Ce que personne ne pensait possible à l'époque (il faut relire la presse de l'époque).

 

Ce que j'ai appris le plus en étant aux affaires à la Région pendant les 6 années suivantes, c'est justement à aimer les gens, même (surtout) ceux qui sont différents de moi. Et un ouvrier maçon qui habite dans le Pays de Retz ou un contremaitre vendéen étaient beaucoup plus différents de moi qu'un jeune de cité populaire, avec qui j'avais grandi. J'en ai fait le moteur de la quête de réélection et en 2010, je me suis fait engueuler par tout le monde parce que j'envoyais le candidat Auxiette sur le terrain rural. Notamment les journalistes nantais qui disaient qu'on se trompait de campagne. Les choix se sont pourtant avérés les bons : on a fait le grand chelem, plus de 50% dans les 5 départements, Vendée comprise (qui n'a même plus un conseiller départemental de gauche aujourd'hui).

 

   Nous avions fondé notre discours et notre action sur une considération égale pour tout un chacun, et ça a été une des composantes fortes de la réussite.

C'est pourquoi ce repli identitaire de la gauche sur le fait urbain me terrifie ces dernières années. Je ne vois pas comment on fonde une majorité comme ça. Cette note de la Fondation Jean Jaurès vient le corroborer.

Un peu d'humilité, moins de slogans, du boulot de fond, c'est ce dont on a besoin aujourd'hui. Quand je dis " on " ce n’est pas la gauche, c'est le pays. Mais bon, pour la gauche, c'est carrément indispensable, sauf à vouloir rester ad vitam æternam dans une fonction tribunitienne.

 


Olivier Ryckewaert est un spécialiste de la gestion des collectivités, promoteur de la culture du design, praticien et formateur en innovation publique.

Egalement animateur/concepteur de la Fabrique de l’innovation publique (https://fabriqueinnovpublique.fr/fabrication/), une expérimentation de formation menée avec le CNFPT (Centre national de la fonction publique territoriale) pour des Labs ou des équipes chargées de l’innovation dans des collectivités.

Il fut auparavant, entre autres, directeur PRI Design’in Pays de Loire, membre de la direction générale des services de la Région, et collaborateur du Président de Région Jacques Auxiette.

Fondateur  de A.M.O. / O.R, assistance à Maitrise d’Ouvrage par Olivier Ryckewaert (http://www.amoor.fr/retour-sur-2021-en-a-m-o-o-r/).

Dernière contribution :

https://www.pourunerepubliqueecologique.org/2022/08/26/connaissez-vous-le-principe-des-effets-de-bord-par-olivier-ryckewaert/

 

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