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IL PLEURE DANS MON COEUR, Paul Verlaine / Timothy Adès


LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES


 

   Je vous ai choisi ‘ Il pleure dans mon cœur ’, poème on ne peut plus fameux de VERLAINE (1844-1896), poème mélancolique de circonstance si j’en crois la concordance météo de ce dimanche, en France, notamment à Paris, et pareillement à Londres !

 La Commune de Paris pour laquelle Verlaine avait pris fait et cause est écrasée au terme d'une semaine sanglante. Verlaine quitte Paris en juillet 1872 et part avec Rimbaud par crainte de la répression versaillaise, après avoir fui une

 

 

Verlaine et Rimbaud, extrait du Coin de table, huile peinte par Henri Fantin-Latour, 1872.

 

première fois dans le Nord de la France avec Mathilde (en 1871), puis être revenu dans la Capitale en septembre de la même année.

 

Ce poème est la parfaite illustration de l’idée de l’art poétique selon Verlaine, basée sur la sonorité et la musicalité dont ses premiers poèmes donnaient déjà un aperçu (cf. ‘ Mon Rêve familier ’, in recueil Poèmes saturniens, 1866). Un nouveau langage poétique marqué ici par un lyrisme impersonnel comme avec d’autres poèmes (cf. ‘ Le ciel est par-dessus le toit ’, in recueil Sagesse, 1881) qui marque un tournant capital dans la poésie française.

 

Il pleure dans mon cœur ’ est extrait du recueil Romances sans paroles (1874) qui regroupe des poèmes écrits lors du voyage qu'il effectue avec Rimbaud en 1872 et 1873. Ce poème est le troisième de la première partie « Ariettes oubliées » - une ariette désignant en musique une mélodie - (les trois autres parties du recueil étant « Paysages belges », « Birds in the nigh » et « Aquarelles »).

 

Ce poème de quatre quatrains est précédé d’une citation de RIMBAUD: « Il pleut doucement sur la ville ».

Empreint d’une tristesse absolue et d’une certaine agressivité, le poème est cependant contrebalancé par une douceur et une langueur. Mélancolique, il l’est assurément dans le premier quatrain, en correspondance avec le paysage, il se fait en même temps mélodique quand le chant de la pluie berce le poète tout comme sa propre mélancolie, jouant sur la musique des mots. Si la tristesse persiste dans le dernier quatrain, mêlée à la sensation d'impuissance, renforcée par le sentiment de ne point en connaître la cause, de n’avoir pour le moins aucune certitude à ce sujet, l’envoûtement poétique et musical demeure.

 

Arnaud Bernadet,  professeur associé au Département de langue et littérature françaises de l'université McGill (Montréal),  dit du recueil Romances sans paroles dans la présentation et l'étude qu'il en faite (in Verlaine, Romances sans paroles) que « Ce "petit bouquin", qu'il rédige pendant sa liaison tumultueuse avec Rimbaud et qu'il présente comme une "série d'impressions vagues", est hanté par la tentation du silence. Que peut la parole face à la réalité, dont le sens est fuyant ? Comment dire les sentiments d'un moi erratique et opaque à lui-même ? Et surtout, comment les dire autrement, après le romantisme, qui les a exaltés, et le Parnasse, qui s'en est méfié ? En s'emparant d'un genre désuet, la romance, Verlaine réinvente le beau à partir du banal, renoue avec l'oralité au coeur de l'écrit, et fait du chant l'utopie de la parole poétique.» ( Éd. Flammarion, 2018, coll. « GF », deuxième édition revue).

 

 

Il pleure dans mon cœur

 

Il pleure dans mon cœur

Comme il pleut sur la ville;

Quelle est cette langueur

Qui pénètre mon cœur ?

 

Ô bruit doux de la pluie

Par terre et sur les toits !

Pour un cœur qui s’ennuie

Ô le bruit de la pluie !

 

Il pleure sans raison

Dans ce cœur qui s’écœure.

Quoi ! nulle trahison ?…

Ce deuil est sans raison.

 

C’est bien la pire peine

De ne savoir pourquoi

Sans amour et sans haine,

Mon cœur a tant de peine.

 

 

Tears fall in my heart

 

Tears fall in my heart

Like rain on the town;

What lassitude hurts

And pierces my heart ?

 

Sweet sound of the rain

On the roofs and the ground !

For a heart in dull pain

The sound of the rain !

 

Tears fall without reason

Distressing my heart.

What ! Is there not treason ?...

This grief has no reason.

 

Of pain the worst part

Is not knowing why

Without love or hate

Such pain in my heart.

 

Copyright © Timothy Adès

 


Sur YouTube :

Sandrine Piau, Jos van Immersel : https://youtu.be/4V5XqoSED2w

Christa Pfeiffer, soparano, Brent Smith, piano, sur une composition de Claude Debussy : https://www.youtube.com/watch?v=vFO-yKSdFhQ

Sabine Devielle, Alexandre Tharaud Piano : https://youtu.be/ZfxYMS77nEI

Véronique Dietschy, Philippe Cassard, piano : https://youtu.be/yGpdfZ-ZuMI

Suzanne Danco : https://youtu.be/hbQ7nr1UTFE

Marc robine : https://youtu.be/ea9gw_E6gxY

Z. KODÁLY, op. 11 n. 3. A. Ballista, piano : https://youtu.be/ZuRrrLaW4hE

 

1- Autoportrait de Verlaine en uniforme de Garde national du 160e bataillon, nuit du 15 octobre 1870 / 2- La "Commune de Paris", affiche de l'imprimerie Emile Levy, 1883 / 3- Photographie de Verlaine, 1972, par Etienne Carjat, membre comme lui et Rimbaud du Club des Vilains bonshommes / 4- Photographie de Rimbaud, 1971, par Etienne Carjat / 5- Manuscrit de Il pleure dans mon coeur, 1873 / 6- Romances sans paroles, Verlaine, édition originale ( Sens, typographie de Maurice l'Hermitte, 1874), Gallica / BnF / 7- Portrait-frontispice de Verlaine dessiné par André Des Gachons parue dans la seconde édition de Romances sans paroles (1887), Léon Vanier libraire éditeur / 8- Dédicace du recueil Romances sans paroles (édition de 1887) à Anatole France par Verlaine(Gallica) / 9- Portrait de Verlaine, Hôp Broussais, août 1889 par Frédéric-Auguste Cazals (in « Paul Verlaine, ses portraits » / préf. de J.-K. Huysmans ; lettres de Félicien Rops, Ernest Delahaye, H.-A. Cornuty; éd. F. Clerget, Paris, 1896), BnF, département Réserve des livres rares, RES FOL-LN9-221 (2) / 10- Portrait de Verlaine par par Ernest Pignon-Ernest (Musée Verlaine à Juniville, Ardennes)


Timothy Adès est un poète traducteur britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Robert Desnos, Jean Cassou, Guillaume Apollinaire, Georges Pérec, Gérard de Nerval, Louise Labé, de Federico García Lorca, d'Alberto Arvelo Torrealba, d'Alfonso Reyes, de Bertold Brecht, Hermann Hesse, Heinrich Heine et d'Angelos Sikelianos. Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.

"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les "Chantefables"  et les "Rrose Sélavy" de Robert Desnos en anglais. Lauréat  entre autres des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.

Membre de la Royal Society of Literature, administrateur de la revue "Agenda Poetry" (fondée en 1959 par Ezra Pound et William Cookson) et membre de son comité de rédaction.

Timothy Adès est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique "Tutti Frutti " (chroniques et rendez-vous culturels, poétiques, éco-gastrosophiques, pour « cueillir le jour » au sens du fameux carpe diem emprunté au poète latin Horace. Au gré des envies et des propositions des uns et des autres. Publiés généralement le week-end).

Derniers ouvrages parus : " Alfonso Reyes, Miracle of Mexico " (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant " (Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, les poèmes de Desnos avec les versions de Timothy Adès.

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