SAINTE-SOLINE : QUAND L’ECOLOGIE DEVIENT RELIGION ABSOLUTISTE, par Olivier Ryckewaert, spécialiste de l'innovation publique

   Quand la gauche et les écologistes ont gagné la Région des Pays de la Loire en 2004, un des premiers dossiers sur leur bureau a été les bassines, les réserves d’eau dites de « substitution » du Sud-Vendée.

La Confédération paysanne 85 était vent debout contre, et se disait que l’alternance allait faire passer à la trappe ces bassines.

Sauf que des études en disaient le bien fondé, eût égard à la géomorphologie du territoire (pour être rapide, entre le massif central et le massif armoricain, ce qui crée un terrain qui renvoie l’eau tombée assez vite à la mer, et qui fait que l’eau prélevée l’hiver n’aurait de toute façon pas été dans les nappes l’été).

Yann Hélary (1), leader des écologistes au Conseil régional et futur président du Parc régional du Marais Poitevin a alors pris les choses en main et a négocié avec le département de la Vendée et les agriculteurs pour subordonner la subvention à un engagement ferme sur une amélioration des pratiques et une baisse de l’irrigation du maïs. Les bassines se sont faites, et elles ont servi de modèle à celles des Deux-Sèvres où se trouvent Sainte-Soline (70 km à l’Est, on est dans les mêmes conditions géologiques).

Les bassines des Deux-Sèvres ont fait l’objet d’une première simulation en 2013 qui a permis d'affiner et de réduire le projet, une nouvelle simulation en 2015, une revisite à la baisse du projet en 2018 dans le cadre d'un protocole d'accord pour une agriculture durable (en présence de Delphine Batho (2), le protocole est ici : https://www.deux-sevres.gouv.fr/.../Signature-du... ), des recours devant le Tribunal Administratif qui n'ont pas abouti (le dernier en date : le 11 avril 2023, juste après la 2° manif) et une étude du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) de juin 2022 (ici : https://t.co/FQb2A3IcQD ) qui tend à prouver que cette bassine a un effet positif sur le niveau des eaux en été.

L’évangile selon Les Soulèvements de la Terre (3)

Manifestement, cela ne sert pas le narratif du moment, que de dire les bassines, c'est pas bien ou mal, c'est plus ou moins adapté à des situations hydrologiques et géologiques.

Alors, on fait comme si ces études n’existaient pas. On convoque des études faites en Espagne sur l’impact sur le niveau des nappes phréatiques à un endroit impropre à la comparaison, on convoque des études faites sur les lacs américains sur le niveau d’évaporation (ici : https://twitter.com/TerreTerre13/status/1650948256719859720) (des lacs aux USA versus des bassines dans le Poitou, ça va, on vous dérange pas ?), on écrit, climatique ça ne va pas s’arranger », alors que les nappes, à ce moment précis, étaient au plus haut niveau depuis 5 ans pour 2 des 3 concernées, et à un niveau normal pour la 3°.

Bref, on embrouille les gens délibérément.

Le niveau des nappes phréatiques le jour de l’article de Stéphane Foucart, journaliste du Monde (« Mégabassines : la débauche des moyens dépêchés par l'Etat contre les opposants contraste avec la tranquillité dont jouissent les tenants de l'agro-industrie », 23-03-2023) : Sainte-Soline, ce sont 3 stations en triangle à droite de la carte : 2 en niveau haut (1 fois tous les 5 ans), 1 en niveau normal

Si on voulait vraiment évaluer les choses, on n'avait qu’à aller voir ce qu'il se passe justement dans les bassines du Sud-Vendée, et on aurait pu constater, que l’an passé, malgré la sécheresse, les nappes étaient plus hautes que prévues là où se trouve les bassines, mais une fois de plus, ça ne servait pas le narratif que de constater un contre-exemple à l’évangile des Soulèvements de la Terre.

L’inquisition de Médiapart

Les mensonges, approximations et autres postulats boiteux du camp du bien ayant été mis à découvert, celui-ci a passé la seconde, avec un article indigne : Qui sont les douze agriculteurs qui profiteront de la méga-bassine de Sainte-Soline ? de Mickaël Correia et Floriane Louison de Médiapart.

Celui-ci cherchant coûte que coûte à faire passer pour des affreux agro-businessmen les paysans de la Coop de l’eau 79.

La chambre d’agriculture des Deux-Sèvres, qui avait transmis toutes les informations qu’elle était en droit de transmettre au regard du RGPD (règlement général sur la protection des données), s’est alors fendue d’un communiqué reprenant paragraphe par paragraphe cet article.

On y apprend qu'en fait d'agro-business de gros capitalistes, les exploitations sont des exploitations familiales (18,5 équivalent temps plein (ETP) familiaux et 4,5 emploi salariés ETP en tout pour les 12 soit une moyenne EN DESSOUS DE 2 EMPLOIS PAR EXPLOITATION, paye ton gros capitaliste), qu'elles prélèvent à peu près le même volume d'eau que les exploitations non reliées, sauf que ces dernières continueront de le faire dans les cours d'eau l'été, que l'irrigation pour le maïs concerne entre 25 et 35 % ces 3 dernières années, là où il y a 15 ou 20 ans, il captait 80 à 85% de l'eau et plein d'autres choses encore, je vous laisse découvrir. (Ici : bit.ly/43ReTtN ).

.N.B : Ce tableau est dans la note de la chambre d’agriculture

Le fait d'avoir divisé par 2 ou 3 l'irrigation du maïs n'est pas porté à leur crédit, puisqu'il en reste donc c'est très grave. Ne regardons surtout pas le chemin parcouru, restons dans l'absolutisme.

Le désarroi d'Emmanuel Rivière, l'exploitant qui montre son émotion face au déchainement de violences sur les terrains qui constituent son gagne-pain est moqué, et lui villipendé parce qu'il est administrateur (bénévole) d'une coopérative agricole, Océalia, qui fait 1 milliard de chiffre d’affaire (ce qui ne nous dit rien des bénéfices, par ailleurs, le machinisme agricole ce n’est pas gratuit).

Il faut manifestement désigner à la vindicte des symboles de l'agro-capitalisme, la période est à cela. On importe à tout va, malgré des terrains agricoles dans les plus exploitables au monde (https://urlz.fr/lx6N), mais l'heure est à désigner des coupables, pas à trouver des solutions. Difficile de ne pas penser au Loup et l’agneau, la fable où se trouve le fameux "si ce n'est toi, c'est donc ton frère (agro-businessman capitaliste) ", fable où il est d’ailleurs question de la ressource en eau.

L'intransigeance de la pureté, qui amène à confondre dans le même rejet un système qui doit être réformé et les protagonistes qui s'y débattent est un chemin déjà emprunté moultes fois, avec à chaque fois les résultats qu'on connaît.

On parle de gens qui bossent beaucoup, cherchent à nourrir leur famille, s'adaptent au gré des réformes de la PAC (Politique agricole commune), et investissent dans du matériel pour faire tourner leur exploitation. Ils ont joué le jeu d’une concertation étalée sur 10 ans, accepté de faire des concessions dans le cadre du protocole pour une agriculture durable, mais là n’est pas la question : la religion absolutiste du moment veut qu’on les caricature.

Sécurisation des travaux du chantier de la bassine de Sainte-Soline le 9 novembre 2022 / © Sébastien Ortola-Rea / Banque des Territoires

Le poison du mensonge comme arme politique

A une situation donnée, on ne peut pas répondre en général : "les bassines, c’est mal, d’ailleurs y a une étude en Espagne qui le dit".

A 10 ans de travail et de négociation, on ne peut pas répondre : "oui mais non, parce que vous comprenez, les bassines, c’est mal, d’ailleurs y a une étude sur les lacs américains qui le dit".

A des gens qui bossent, on ne peut pas dire que leur vie & leur boulot c’est de la merde, et tiens d’ailleurs, on va ressortir nos bottes Aigle du placard, prendre notre TGV à Montparnasse et venir niquer vos semis parce que vous êtes des gros capitalistes dans vos grandes fermes de capitalistes de 70 hectares.

Quand on voit les résultats de l’enquête de la Fondation Jean Jaurès sur la montée du complotisme anti « dictature climatique » (« Dictature climatique », « Pass climat », « Great reset »… : les discours complotistes à l’assaut de l’opinion » du 06-04-2023, ici : https://bit.ly/3LcD7WG), on se dit qu’il est grand temps de ramener de la raison et de la science dans le débat, qu’il faut parler respectueusement aux gens, acter des dossiers en cours quand ils ont mobilisé aussi longtemps des acteurs qui ont autant donné d’eux et donner des perspectives à ceux qui ne pourraient plus emprunter les même chemins. Comment espérer autrement avancer concrètement sur le chemin de la transition climatique en braquant autant la population ?

Aux Pays-Bas, où l’agro-bashing est une doctrine de gouvernement, le mouvement citoyen-paysan a obtenu 15 sièges sur 75 aux élections à la chambre basse en mars, contre 23 sièges aux quatre partis de gouvernement et 15 aux socialistes et aux verts qui faisaient liste commune (ici : https://bit.ly/3oMtrdS). Vous me direz, c’est mieux qu’un vote pour l’extrême droite. Malheureusement, étant donné la situation en France, je ne suis pas sûr que ce soit le scénario hollandais qui soit retenu par le monde rural demain.

(1) En 2006, Yann Hélary, à l'époque adjoint à l'environnement à La Roche-sur-Yon, passé par le cabinet ministériel de Dominique Voynet, la patronne des Verts, puis d’Yves Cochet, dans les gouvernements Jospin, militant écologiste depuis 1994, accède à la présidence du Marais au grand dam des villiéristes vendéens et de certains lobbies agricoles. Le Marais décroche le label Grand Site de France en 2010 (seuls 7 sites en bénéficient alors, dont le Pont du Gard ou la Pointe du Raz). Yann Hélary restera Pt jusqu’en 2016. Il est actuellement conseiller régional Occitanie (élu sur la liste de Carole Delga en 2021).

(2) Delphine Batho, éphémère ministre de François Hollande, ex-protégée de Ségolène Royal qui la propulse en 2007 (sous la bannière PS) dans sa circonscription des Deux-Sèvres (la 2e) pour cause de non-cumul des mandats, candidate à l’investiture écolo pour l’élection présidentielle de 2022, est actuellement députée écologiste - Nupes. Delphine Batho est coordinatrice nationale de Génération Écologie. Elle participa le 18 décembre 2018 à la table des signataires du protocole en faveur d’un compromis portant sur la création de seize stockages d’eau destinés aux agriculteurs. Et quitte deux ans plus tard les instances de suivi du projet au motif, indique-t-elle dans un courrier au préfet, que « n’étant pas entendue dans le cadre des instances de suivi, je me vois dans l’obligation d’en tirer les conséquences et de mettre un terme à ma participation à ces réunions ».

(3) « Issus des luttes et des imaginaires zadistes » (Cf. le philosophe Antoine Chopot), les Soulèvements de la Terre se sont constitués à la faveur de l’activisme produit lors de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes pour tenter de faire le lien entre anti-capitalisme et écologisme, voire, dans une visée plus doctrinaire, mais néanmoins pratique, de faire la synthèse entre une sorte de bolchévisme vert, un communalisme écologique ancestral et des pratiques naturalistes touchant un public de plus en plus large sensible à la thématique de la symbiose avec le Vivant, dépassant le cercle premier des historiques. Dans une démarche subversive clairement revendiquée.

(4) Coop de l'eau 79 : créée en 2011, la société coopérative anonyme de l’eau des Deux-Sèvres a pour principale mission de mettre en place des réserves collectives de "substitution" pour sécuriser l’approvisionnement en eau des agriculteurs irrigants, avec l'objectif de « préserver une activité économique agricole sur le bassin de la Sèvre Niortaise tout en diminuant l’impact des prélèvements d’eau sur le milieu naturel ». Elle compte 316 associés coopérateurs et intervient sur trois bassins : Thouet, Sèvre Niortaise Marais Poitevin, Boutonne.