ARMANET/ SARDOU : retour sur une polémique estivale à deux balles, grotesque, délirante, comme on les aime en France quand on s’ennuie, quand on n’a plus rien à se mettre sous la dent pour égayer ses journées ou que l'on manque de piment d'Espelette pour concocter le plat du soir pour ses potes. C'est peu de dire que les commentaires furent nombreux qui sont tombés sur les réseaux sociaux comme la misère sur le pauvre monde. Et comme de bien attendu, les porte-flingues de l’ultra-droite n’ont pas été les derniers à mettre au pilori la chanteuse jugée " gauchiste ". A droite et à gauches, d'aucuns y ont été également de leur couplet.
Sans compter les journaux qui tels Libération, Le Figaro ou le Monde, en général assez circonspects, relayés par la presse quotidienne régionale, qui ont cru bon d’en rajouter une couche, en analysant le plus sérieusement du monde une polémique qui n’en méritait pas tant, lui accordant surtout un sérieux pour le moins démesuré et contribuant à faire monter la mayonnaise.
Rappelons les faits : sur la sollicitation cet été du média belge en ligne Tipik (groupe RTBF) sur "Quels sont les trois titres qui pourraient te faire rentrer chez toi si tu les entends lors d’une soirée ? ", la chanteuse française Juliette Armanet avait lâché, un peu brutalement : « Trois fois Les Lacs du Connemara, je pense […]. C'est vraiment une chanson qui me dégoûte profondément. Le côté scout, sectaire, la musique est immonde… C'est de droite, rien ne va. »
Sauf que l’on a du mal à voir en quoi cette chanson coécrite il y a 40 ans par Michel Sardou et Pierre Delanoë et composée par Jacques Revaux relèverait du
"dégoûtant" et de "l’immonde". Les Lacs du Connemara évoquent un mariage irlandais inter-religieux protestant-catholique ce qui en soi nous apparait fort peu regressiste, et les paroles
sont loin de relever du registre politique, voire réactionnaire, qui a pu être celui d’autres chansons du chanteur qui n’a jamais caché par ailleurs ses penchants idéologiques droitiers, pas
davantage ses amitiés plurielles.
A croire qu'en France, nous manquons singulièrement de vrais sujets de débats !
Vianney Huguenot, avec son goût du jeu, mais aussi avec son sens de la nuance qui le caractérise, revient non pas sur cette (non) « affaire », mais sur ce qu’elle nous dit de l’air du temps et ses dérélictions. Sur nos bêtises assurément.
Lâchées par distraction ou subtilement calculées, vite oubliées ou gravées au panthéon des citations, les petites phrases assaisonnent l’actualité ; épices sur le plat de nos jours et nos nuits besognant. La chanteuse Juliette Armanet a débarqué cet été sur le champ des commérages en clashant Michel Sardou et sa chanson « Les lacs du Connemara ». Dans « un mail très gentil » – dixit Michel – Juliette s’est excusée depuis et, tout aussi élégamment, Michel a répondu, en substance : fermez le ban, ça arrive à tout le monde de glisser. Le vieux lion, codétenteur avec Hallyday et Goldman, des records de vente de disques en France, a même ajouté : « Je lui souhaite une longue carrière ». Classe.
Permettez-moi de remettre une dernière pièce dans le juke-box et de revenir sur ce qui ne méritait peut-être pas une polémique mais au moins une réflexion. Je la porte ici sur un aspect historique et culturel. Tartiner Michel Sardou constitue une sorte de code de bonne conduite dans les milieux bobos-gauchos, comme il est très tendance dans les cercles bobos-réacs d’éreinter les jeunes pousses.
Dans la même veine doctrinaire que Libération, snobant régulièrement les artistes classés dans la « culture populaire », France-Soir dézinguait les débuts parisiens du Belge Jacques Brel – « Nous lui rappelons qu’il existe d’excellents trains pour Bruxelles » – et Le Figaro torpillait, avec l’accent raciste, l’amorce de la carrière française de l’Américaine Joséphine Baker, l’accusant de produire un « lamentable exhibitionnisme qui semble nous faire remonter au singe en moins de temps que nous n’avons mis à en descendre ».
Bien que très ancien, l’art de la vacherie ne rouille pas, et la haine et la jalousie alimentent depuis toujours le monde des artistes et des auteurs. Relisons les rosseries des frères Goncourt sur l’Académie française, « ramassis de vieux débris », ou la brutalité de Charles Baudelaire jugeant George Sand « bête, lourde et bavarde ».
Tout propos vachard, qu’il nous choque, nous irrite ou nous amuse, doit aussi nous interroger sur le principe du jugement. Aimons-nous tous les uns les autres, non… qu’est-ce qu’on s’ennuierait ! Mais veillons à fixer les limites : racisme, sexisme ou discrimination physique notamment. On n’en était pas là avec Juliette Armanet.
Amateur des deux artistes, le rabibochage de Juliette et Michel me réjouit. Plus largement, il sonne comme un hymne à l’éclectisme, dont la chanson française se nourrit avec gourmandise depuis des lustres.
On pourrait d’ailleurs transposer ce débat sur d’autres thèmes, notamment sur la richesse des territoires. La beauté de la Moselle, brodée d’antinomies, flétrirait si elle ne célébrait pas, à la fois, Gouvy et Cascadeur, les maîtres de forges et le syndicalisme ouvrier, Pompidou et la cathédrale Saint-Étienne, la mémoire de Gravelotte et la poésie de Verlaine, la Reine de la mirabelle et le théâtre de Koltès, Waligator et le musée de la Cour d’or.
Remerciements au Courrier messin.
Les Lacs du Connemara par les Kids United : https://youtu.be/ayab7J9vZNs
Vianney Huguenot est journaliste, enseignant, formateur. Chroniqueur sur France Bleu Lorraine et France Bleu Alsace, il y anime une émission ("Les rencontres de Vianney Huguenot" ) dans laquelle il nous fait découvrir les lieux insolites et secrets de la région Grand Est. Il anime également " Sur ma route " une émission co-produite par la chaîne de télévision mosellane ViàMoselle TV (anciennement Mirabelle TV) et la TV locale ViaVosges au cours de laquelle, à travers les souvenirs d’enfance et le regard de personnalités, il donne à voir la région Grand Est et nous fait partager son sentiment géographique. Collaborateur de plusieurs journaux, magazines et revues, Vianney Huguenot est l'auteur d'une dizaine d'ouvrages, entre autres : « Les Vosges comme je les aime » (Vents d'Est, 2015), « Jules Ferry, un amoureux de la République » (Vents d'Est, 2014), « Jack Lang, dernière campagne. Éloge de la politique joyeuse » (Editions de l'aube, 2013), « Les Vosges par le cul de la bouteille » (Est livres, 2011, préfaces de Philippe Claudel et Claude Vanony).
Vianney Huguenot co-anime la rubrique Tutti Frutti du PRé.
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