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UNE FEMME M'A DIT CECI : - J'AI PRIS LA FUITE, par Victor Hugo / Timothy Adès


LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES


"L'Arrestation de Louise Michel" par Jules Girardet (1856-1946)

(Musée d'art et d'histoire Paul Eluard, Saint Denis)

  

  L’Année Terrible.: C'est le titre du livre de poésie de Victor HUGO inspiré par le Siège de Paris en 1871, paru en 1872.

Depuis septembre 1870, HUGO foule de nouveau le sol de France après 19 ans d’exil. Un exil qui fut pour lui « la goutte qui tombe, / Et perce lentement et lâchement punit / Un cœur que le devoir avait fait de granit; / C'est la peine infligée à l'innocent, au juste, / Et dont ce condamné, sous Tarquin, sous Auguste, / Sous Bonaparte, rois et césars teints de sang / Meurt, parce qu'il est juste et innocent ...»)

La période est marquée par la défaite militaire contre la Prusse, ainsi que par un grand ressentiment issu du traité de paix et par la terrible famine endurée par les parisiens en 1870. La Commune de Paris nait en réaction. L'exaspération tourne à l'insurrection quand Adolphe Thiers décide le 18 mars de désarmer la garde nationale de Paris.  La Commune de Paris est très durement réprimée et les Communards exécutés en masse.

 

C'est à Paris, "capitale des peuples", qu'il adresse la dédicace du volume. «  ... Le moment où nous sommes passera, nous avons la république, nous aurons la liberté » écrit-il dans son avertissement (Paris, avril 1872).

La poésie qui suit fait partie de la section Juin.

 

   2022 : pour commémorer la 150e année de la parution de son recueil, le musée Victor Hugo à Villequier ("la Maison Vacquerie"), en Seine Maritime, propose une expo (intitulée « Exposition : L’Année Terrible 1870/1871 – œuvres poétiques au retour d’exil») qui est prolongée jusqu’au 24 septembre 2023.

 

" I want you to act as if our house is on fire. Because it is ",

la jeune activiste Greta Thunberg à Davos en 2019

 

   2023 est pour nous tous, pour le genre humain et notre planète, encore une année terrible d’incendies et d’inondations et surtout de mauvaise gérance. Total et Paribas attaquent sous la glace arctique, tant qu’il y en reste, ainsi que le font bien d’autres, surtout les russes* : ils versent de l’huile sur les flammes : et comme conduite d’entreprises et de gouvernements, c’est trop typique, c’est trop normal. … Il faut que ça change, et vite !

 

* Un rapport 2021 de l'ONG Reclaim Finance montre à quel point les entreprises restent intégrées dans la region [arctique], les auteurs soulignant que les projets de Gazprom PJSC, ConocoPhillips et TotalEnergies SE signifient que la production de pétrole et de gaz dans la région devrait augmenter de 20% au cours des cinq prochaines années. Le rapport a également révélé que de 2016 à 2020, les banques commerciales, dont JPMorgan Chase (18,6 milliards de dollars), Barclays (13,2 milliards de dollars), Citigroup (12,2 milliards de dollars) et BNP Paribas (11,8 milliards de dollars), ont canalisé plus de 314 milliards de dollars vers les principales sociétés développant le pétrole et le gaz en amont dans l'Arctique.

https://reclaimfinance.org/site/2021/03/24/rapport-les-banques-francaises-plus-grands-financeurs-europeens-des-energies-fossiles-en-2020/

 

T.A

 

 

Voici selon Hugo la fin de la Commune en juin 1871…

 

 

 

Une femme m'a dit ceci : - J'ai pris la fuite.

Ma fille que j'avais au sein, toute petite,

Criait, et j'avais peur qu'on n'entendît sa voix.

Figurez-vous, c'était un enfant de deux mois ;

Elle n'avait pas plus de force qu'une mouche.

Mes baisers essayaient de lui fermer la bouche,

Elle criait toujours ; hélas ! elle râlait.

Elle voulait téter, je n'avais plus de lait.

Toute une nuit s'était de la sorte écoulée.

Je me cachais derrière une porte d'allée,

Je pleurais, je voyais les chassepots briller.

On cherchait mon mari qu'on voulait fusiller.

Tout à coup, le matin, sous cette horrible porte,

L'enfant ne cria plus. Monsieur, elle était morte.

Je la touchai ; monsieur, elle était froide. Alors,

Cela m'était égal qu'on me tuât ; dehors,

Au hasard, j'emportai ma fille, j'étais folle,

J'ai couru, des passants m'adressaient la parole,

Mais je me suis enfuie, et, je ne sais plus où,

J'ai creusé de mes mains dans la campagne un trou,

Au pied d'un arbre, au coin d'un enclos solitaire ;

Et j'ai couché mon ange endormi dans la terre ;

L'enfant qu'on allaita, c'est dur de l'enterrer.

 

Et le père était là qui se mit à pleurer.

 

     

 

June 1871

The End of the Paris Commune :

from ‘The Terrible Year’

 

A woman told me this: ‘I took to flight.

My baby at my breast, poor little mite,

Cried, and I was afraid she might be heard.

Imagine, Sir, the child was two months old,

No stronger than a fly. I tried and tried

To stop her mouth with kisses: but she cried,

Rattling. She would have fed, but I was dry:

I only wept. That’s how a night went by.

I hid behind a door. I saw the glint

Of arms, the guns of killers, on the hunt

For my husband. Morning broke. Behind that door,

A curse on it! my darling cried no more.

Sir, she was dead: I touched her, she was cold.

I ran, not caring if I too was killed,

Anywhere, with my daughter. People called

Out to me, but I fled, I don’t know where,

Into the fields, and dug a hole with bare

Hands, in some paddock, in a place of shade.

It’s hard to bury one your breast has fed!

I laid to rest in earth my angel, sleeping.’

 

The father stood beside her: he was weeping.

 

 

 Copyright © Timothy Adès


1- « Exposition : L’Année Terrible 1870/1871 – œuvres poétiques au retour d’exil», Musée Victor Hugo, jusqu'au 24 septembre 2023

2- Musée Victor Hugo à Villequier (76490)

3- "Le Mur des Fédérés". Les derniers Communards sont fusillés au Père-Lachaise

4- Barricade de la Commune de Paris, 18 mars 1871

5- L'Année terrible,  1872 (Paris, Michel Lévy frères, Librairie nouvelle), BnF, département Littérature et art, 8-YE-1010

6- L'Année terrible, 1874, illustration de Léopold Flameng, Léopold (1831-1911), co-illustrateur avec Daniel Vierge (1851-1904), BnF


Timothy Adès est un poète traducteur britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Robert Desnos, Jean Cassou, Guillaume Apollinaire, Georges Pérec, Gérard de Nerval, Louise Labé, également de Federico García Lorca, Alberto Arvelo Torrealba, Alfonso Reyes, de Bertold Brecht, Hermann Hesse, Heinrich Heine et d'Angelos Sikelianos.

Il a réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.

"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les "Chantefables"  et les "Rrose Sélavy" de Robert Desnos en anglais.

Lauréat  entre autres des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.

 

Membre de la Royal Society of Literature, administrateur de la revue "Agenda Poetry" (fondée en 1959 par Ezra Pound et William Cookson) et membre de son comité de rédaction.

Timothy Adès est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique "Tutti Frutti " (chroniques et rendez-vous culturels, poétiques, éco-gastrosophiques, pour « cueillir le jour » au sens du fameux carpe diem emprunté au poète latin Horace. Au gré des envies et des propositions des uns et des autres. Publiés généralement le week-end).

Derniers ouvrages parus : " Alfonso Reyes, Miracle of Mexico " (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant " (Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, les poèmes de Desnos avec les versions de Timothy Adès.

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