LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES
Je ne sais pas s’il s'agit du pape Alexandre VI ou de son fils César. Certes ils attiraient tous deux des reproches.
Mais à quelle échelle ? Le Borgia du poème de La Légende des Siècles, série III (1883) ne dit pas qu’il est pire que Satan. Il ne fait qu’un petit geste d’insolence.
Et pourquoi la critique si amère, la renommée si terrible ? Une obscure famille espagnole qui a voulu trop faire trop vite…
Je me penchai. J’étais dans le lieu ténébreux ;
Là gisent les fléaux avec la nuit sur eux ;
Et je criai : — Tibère ! — Eh bien ? me dit cet homme.
— Tiens-toi là. — Soit. — Néron ! — L’autre monstre de Rome
Dit : — Qui donc m’ose ainsi parler ? — Bien. Tiens-toi là.
Je dis : — Sennachérib ! Tamerlan ! Attila !
— Qu’est-ce donc que tu veux ? répondirent trois gueules.
— Restez là. Plus un mot. Silence. Soyez seules.
Je me tournai : — Nemrod ! — Quoi ? — Tais-toi. — Je repris :
— Cyrus ! Rhamsès ! Cambyse ! Amilcar ! Phalaris !
— Que veut-on ? — Restez là. — Puis, passant aux modernes,
Je comparai les bruits de toutes les cavernes,
Les antres aux palais et les trônes aux bois,
Le grondement du tigre au cri d’Innocent trois,
Nuit sinistre où pas un des coupables n’échappe,
Ni sous la pourpre Othon, ni Gerbert sous la chape.
Pensif, je m’assurai qu’ils étaient bien là tous,
Et je leur dis : — Quel est le pire d’entre vous ?
Alors, du fond du gouffre, ombre patibulaire
Où le nid menacé par l’immense colère
Autrefois se blottit et se réfugia,
Satan cria : — C’est moi ! — Crois-tu ? dit Borgia.
Bande-annonce de Lucrèce Borgia, Comédie Française :
I leaned and I looked in the shadowy zone
Where lurk in dark night all the Scourges of Man.
I called out ‘Tiberius!’ and ‘Well?’ he replied:
‘Just stay there.’ ‘Agreed.’ ‘Nero!’ Rome’s other villain:
‘Who dares to accost me?’ Said I: ‘Good. Stay put.’
‘Sennacherib! Tamburlaine! Attila!’ ‘What
Do you want?’ said three maws. ‘Stay there. Quiet! On your own:
Not a word.’ I turned. ‘Nimrod!’ ‘What?’ ‘Silence!’ And then
‘Rhamses! Hamilcar! Phalaris! Cyrus! Cambyses!’
‘What is it? ‘Stay there.’ So I passed to the moderns,
Comparing the noises from so many caverns,
The throne to the forest, the cave to the palace,
Pope Innocent screaming, the tiger who bellows:
Evil night which the guilty can never escape,
Not Otto in purple, not Gerbert in cope.
All were present, correct: I checked carefully first:
And I asked them ‘Of all of you, which is the worst?’
From deep in the gulf, from the gloom of the gallows,
Where once long ago like a fledgling in danger
He cowered and fled from the infinite anger,
Satan roared ‘It is I!’... ‘Do you think so?’ said Borgia.
Copyright © Timothy Adès
Lucrèce et César Borgia
La Légende des siècles (Culturea, sept. 2023)
Timothy Adès est un poète traducteur britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Robert Desnos, Jean Cassou, Guillaume Apollinaire, Georges Pérec, Gérard de Nerval, Louise Labé, également de Federico García Lorca, Alberto Arvelo Torrealba, Alfonso Reyes, de Bertold Brecht, Hermann Hesse, Heinrich Heine et d'Angelos Sikelianos.
Il a réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e. "Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les "Chantefables" et les "Rrose Sélavy" de Robert Desnos en anglais.
Lauréat entre autres des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.
Membre de la Royal Society of Literature, administrateur de la revue "Agenda Poetry" (fondée en 1959 par Ezra Pound et William Cookson) et membre de son comité de rédaction.
Timothy Adès est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique "Tutti Frutti " (chroniques et rendez-vous culturels, poétiques, éco-gastrosophiques, pour « cueillir le jour » au sens du fameux carpe diem emprunté au poète latin Horace. Au gré des envies et des propositions des uns et des autres. Publiés généralement le week-end).
Derniers ouvrages parus : " Alfonso Reyes, Miracle of Mexico " (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant " (Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, les poèmes de Desnos avec les versions de Timothy Adès.
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