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EIN LIEBESLIED, par Else Lasker-Schüler / Timothy Adès


LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES


 

 

   Le 11 février est l’anniversaire de deux grands poètes allemands, Bertolt Brecht et Else Lasker-Schüler.

Il revient de l’exil, elle n’en revient pas.

Elle fut traduite par Raphaëlle Gitlis (chez les éditions Héros-Limite) et plus récemment par Camille Logoz qui a découvert Else Lasker-Schüler par son journal de Zurich (Quelques feuillets du journal de Zurich (pot-pourri), dans la "vive traduction" de Raphaëlle Gitlis :

 

 

 

 

Ein Liebeslied      Else Lasker-Schüler       (1943)

 

Komm zu mir in der Nacht - wir schlafen engverschlungen.

Müde bin ich sehr, vom Wachen einsam.

Ein fremder Vogel hat in dunkler Frühe schon gesungen,

Als noch mein Traum mit sich und mir gerungen.

 

Es öffnen Blumen sich vor allen Quellen

Und färben sich mit deiner Augen Immortellen .....

Komm zu mir in der Nacht auf Siebensternenschuhen

Und Liebe eingehüllt spät in mein Zelt.

Es steigen Monde aus verstaubten Himmelstruhen.

Wir wollen wie zwei seltene Tiere liebesruhen

Im hohen Rohre hinter dieser Welt.

 

 

Love-Song      

 

Come to me in the night – we’ll sleep, twined close, held hard.

I’m lonely, been awake, so very tired.

Long before dawn, the song of some strange bird: 

With me, and with itself, my dream still sparred.         

 

Flowers are blossoming where waters spring,

Your eyes lend immortelles their colouring…

Come to me in the night, be shod with seven stars,

Be swathed in love, come late into my tent.

Moons climb aloft from heaven’s dusty coffers.

Like two rare beasts we’ll sleep the sleep of lovers

In the high pass behind the firmament.     

 

Publié online chez poetrywivenhoe, décembre 2022.

 Copyright © Timothy Adès

 

 


Chanson d’amour 

 

Viens à moi dans la nuit

 – nous dormons entrelacés.

Je suis très fatiguée, seule de tant veiller.

Un oiseau étranger a chanté dans le matin obscur, 

Tandis que mon rêve luttait encore contre moi et contre lui-même.

 

À toutes les sources des fleurs éclosent 

Et se teintent de tes yeux immortelles…

 

Viens à moi dans la nuit, chaussé de sept étoiles

Et dans ma tente l’amour enveloppé tard.

Des coffres de ciel empoussiérés s’élèvent des lunes.

 

Reposons en amour comme un animal rare

Dans les hauts roseaux derrière ce monde.

 

Traduction Camille Logoz

 

1- Portrait Else Lasker-Schüler, gemalt von Hansegger, 1935

2- Else Lasker-Schüler (1869-1945) fut l’une des figures littéraires les plus influentes de Berlin au début du XXe siècle, l'une des représentantes de l'avant-garde du modernisme et de l'expressionnisme. Else Lasker-Schüler a produit une importante œuvre poétique, trois pièces de théâtres, des lettres, de nombreux dessins. Elle était connue pour son Stammtisch littéraire et ses rencontres, au Café des WestensEn 1932, elle reçoit le Prix Kleist pour l'ensemble de son oeuvre. L’année suivante, les SA frappent en pleine rue, cette" juive pornographique". Le 19 avril 1933à l'âge de 64 ans, elle émigre en Suisse , puis à Jérusalem où elle décèdera. Elle est enterrée au pied du mont des Oliviers. Sur sa tombe, qui n’existe apparemment plus, mais où subsiste une plaque commémorative, on lira son dernier poème : « Je sais que je dois mourir ».

3- Die Flötenspielende Frontispiz des Brieffromans Mein Herz / Le frontispice de La Lettre de mon Coeur, 1912, dessin d'Else Lasker-Schüller (Collection privée, Marbach)

4- Ange pour Jérusalem, mémorial Else-Lasker-Schüler d'Horst Meister, Jérusalem

5- Quelques feuillets du journal de Zürich, Else Lasker-Schüler; traduction Raphaëlle Gitlis (Genève, Ed. Heros-Limit, 2012). Fuyant l'Allemagne nazie, la poétesse dépeint sa vie de réfugiée à Zürich, entre 1933 et 1938, y confie ses pensées dans une prose très poétique où s'inscrivent par moments des poèmes. C’est le récit d'une poétesse pour qui « L'âme du poète est sa patrie, c'est pourquoi le poète est celui qui supporte avec le plus de fermeté son émigration. »

6- Mes Merveilles, Else Lasker-Scüller (Ed Héros-Limit, janvier 2024) : réédition d'un recueil paru en 1911, traduit ici par Guillaume Deswarte)qui reprend trente-trois poèmes d'un livre antérieur, Le septième jour, auxquels viennent s’ajouter vingt-cinq autres

 

Else Lasker-Schüller – Une Vie, une Œuvre : 1869-1945 (France Culture, 1994) Émission « Une Vie, une Œuvre », par Blandine Masson, diffusée le 24 mars 1994. Invités : Helma Sanders-Brahms, Jean-Yves Masson, Zilke Haas, Helen Adkins, Lionel Richard, Michel Rachline, Jorg Afnauger, Judith Koukert et Hanna Schygulla : https://www.youtube.com/v/i2NUmeJ8l3A&showsearch=0

 

Else Lasker Schüler, la tragique: Une étoile à Weimar, par Jean-Michel Palmier (Le Monde Diplomatique, juin 1995) : http://stabi02.unblog.fr/2008/10/22/else-lasker-schuler-la-tragique-une-etoile-a-weimar/


Timothy Adès est un poète traducteur britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Robert Desnos, Jean Cassou, Guillaume Apollinaire, Georges Pérec, Gérard de Nerval, Louise Labé, également de Federico García LorcaAlberto Arvelo Torrealba, Alfonso Reyes, de Bertold Brecht, Hermann Hesse, Heinrich Heine et d'Angelos Sikelianos.

Il a réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e. "Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les  "Chantefables"  et les "Rrose Sélavy" de Robert Desnos en anglais.

Lauréat  entre autres des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.

Membre de la Royal Society of Literature, administrateur de la revue "Agenda Poetry" (fondée en 1959 par Ezra Pound et William Cookson) et membre de son comité de rédaction.

Timothy Adès est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique "Tutti Frutti " (chroniques et rendez-vous culturels, poétiques, éco-gastrosophiques, pour « cueillir le jour » au sens du fameux carpe diem emprunté au poète latin Horace. Au gré des envies et des propositions des uns et des autres. Publiés généralement le week-end).

Derniers ouvrages parus : " Alfonso Reyes, Miracle of Mexico " (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant " (Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, les poèmes de Desnos avec les versions de Timothy Adès.

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Commentaires: 1
  • #1

    Dominique LEVEQUE (lundi, 12 février 2024 10:17)

    Grands mercis à Timothy Adès de nous avoir offert ce poème d’Else Lasker-Schüller, plutôt mal connue en France, voire inconnue.
    Personnellement, je n’en connaissais que le nom; je ne me souviens pas d’avoir lu quoi que ce soit d’elle, y compris pendant mes études de la langue allemande…
    Alors que Régine Pietra, professeur honoraire de philosophie (Université Pierre Mendès France, Grenoble) nous assure que “C’est pourtant l’un des plus grands noms de la littérature du XXe siècle. Gottfried Benn dira d’elle, dans le discours prononcé le 23 février 1952, au British Center de Berlin, sept ans après la mort d’Else Lasker-Schüler, qu’elle était le plus grand poète lyrique dont l’Allemagne ait pu s’enorgueillir. Quant à Karl Kraus, il déclarait que, depuis Gœthe, il n’y avait pas eu de poète dont le langage et les idées, l’âme et la sonorité aient été si profondément liés et qu’il donnerait volontiers tout Heine pour un seul poème d’Else Lasker-Schüler.
    Ce qui paraît caractériser essentiellement Else Lasker-Schüler c’est la fusion totale entre la vie et l’œuvre ou plutôt entre sa vie et sa poésie : vie faite d’errance, poésie d’un lyrisme inspiré. Ses poèmes, elle les proférait dans les cafés berlinois, de sa voix douce et prenante qui scandait chaque syllabe en la détachant comme il se doit dans le respect de la langue allemande. Wieland Herzfeld, frère de John Heartfield, écrivain et éditeur d’Else Lasker-Schüler raconte ainsi sa première rencontre avec elle, lors d’une lecture en 1914 : « Ce n’était pas une parole, c’était un chant extatique qui résonnait longuement comme la prière magique des prophètes d’Orient […]. En l’écoutant, je perçus que ses poèmes traduisaient directement la poésie et n’étaient pas l’expression d’une pensée… »