LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES
Voici le Sonnet 10 des 33 Sonnets du poète, romancier, critique d'art, directeur de la revue Europe et traducteur Jean CASSOU (Bilbao 1897- Paris 1986), composés dans son esprit dans la prison militaire de La Fourgole à Toulouse où il avait été mis au secret, après avoir été arrêté par la police de Vichy pour ses activités de résistance.
Ce sonnet est empli de souvenirs musicaux de l'enfance.
Composés entre décembre 1941 et février 1942, littéralement imprimés dans sa mémoire, ne disposant pas de papier pour les noter, ces Trente-trois sonnets composés au secret, numérotés et non titrés, seront publiés clandestinement en février 1944 dans les Cahiers de la Libération, puis aux Éditions de Minuit, sous le pseudonyme de Jean Noir. Ils étaient présentés par un certain « François le Colère » (Louis Aragon).
Portrait de Jean Cassou, 1929, fusain d'André Aaron Bilis (1893-1971)
Libéré, Jean Cassou rentre au maquis. Plus tard, celui qui était Inspecteur des Monuments historiques (dès 1932) et fut du cabinet de Jean Zay, ministre de l'Education nationale et des Beaux-Arts du Front populaire, créera le Musée National d’Art Moderne (dont il deviendra le conservateur en chef), qui exposera les onze premières toiles de Picasso...
Soyons trilingues ! – le miracle de la traduction rimée, et deux fois, avec l’écrivain allemand Max Rieple, qui a traduit d’ailleurs les poésies de Louise Labé, et bien d’autres. …Et Rose d’Alexandrie ? c’est peut-être ma grand’-mère ! Mais qui connaît cette chanson ?
T.A
Rose d'Alexandrie… C'était une chanson
qu'étoilaient et striaient les fusées de la plage.
Et la nuit éclatait de partout, comme à l'âge
où la première fête entre dans la maison.
Oui, une joie d'enfants nous pressait au balcon
d'où nous contemplions les danses du village.
Et pourtant, bien-aimée, que d'ombres sous ton front,
et que nos mains tremblaient en tournant cette page !
Mais dans l'été, c'était bien lui, dont brusquement
la griffe avait foncé sur nous, l'espoir dément !
Il était là ! — Il est peut-être là toujours.
Car nous sentons rôder le long de notre vie,
à travers la forêt où nos pas sont plus lourds,
une bête farouche et jamais assouvie.
Yes, `Rose of Alexandria' was sung
as rockets streaked and starred along the shore:
the night was all lit up, as when the young
have carnival they never had before.
The balcony: our childish joy. Look down -
the villagers were dancing to the band.
We watched. And yet, my love, you wore a frown!
We turned this page with an unsteady hand.
But in the summer, there it was, the thing
that gripped and clawed us: fond imagining!
Yes, there it was. Perhaps it never goes:
for through our lives we sense a prowling beast
across the forest, as our footfall slows -
malevolent, and not to be appeased.
Copyright © Timothy Adès
Übersetzt von Max Rieple
„ O Rose Alexandriens...“ so klang ein Singen,
besternt, geflammt von einem Feuerwerk am Strande.
Und Nacht brach funkelnd auf ringsum im ganzen Lande
wie einst, als unser erstes Hausfest wir begingen.
Ja, Kinderglück war's, was auf dem Balkon wir fanden;
von da aus konnten wir den Tanz im Dorfe sehen;
doch sah ich, Liebste, Schatten deine Stirn umwehen,
wie zitterte die Hand uns, als dies Blatt wir wandten!
Jedoch irn Sommer packte sie so hart uns an
mit ihrer Klaue, jene Hoffnung voller Wahn!
Da stand sie! — Vielleicht ist sie da zu jeder Frist!
Denn während unsres ganzen Lebens fühlen wir,
wie uns im Wald, wo unser Schritt gehemmter ist,
umschleicht ein wildes, unersättlich gieriges Tier.
1- Sonnets composés au secret, Jean Cassou, (Comité national des écrivains, Centre des intellectuels, Toulouse S.d, 1944).
2- Tapuscrit des Trente-trois sonnets écrits au secret, composés et mémorisés par Jean Cassou durant sa détention à la prison militaire Furgole de Toulouse en 1942. Dans sa préface à leur édition partielle dans les Cahiers de Libération, Aragon salue « un document sans pair de l’homme et de ses rêves et, dans les chaînes, de ce qui ne peut s’enchaîner. Nés dans les fers, ils sont la négation de ces fers ». Complétés par le dessin à l’encre noir d’un Prométhée enchaîné non signé (© Photo Pierre Verrier - Collections du CHRD, Ar. 2111 / Fonds : Jules Meurillon ; Don, 2018).
3- Médaille de la Croix de la Libération : Jean Cassou est Compagnon de la Libération. Egalement Grand Officier de la Légion d'Honneur; Croix de Guerre 39/45 (1 citation); Médaille de la Résistance avec rosette; Commandeur des Arts et Lettres; Commandeur des Palmes Académiques; Officier d'Orange-Nassau (Pays-Bas); Officier de l'Ordre du Mérite de la République Italienne; Officier de l'Ordre de Léopold (Belgique).
4- Max Rieple, traducteur en allemand de Jean Cassou.
5- Trente-trois Sonnets composés au secret, jean Cassou, préface d'Aragon (Gallimard, Poésie, 1995).
6- Jean Cassou, 33 Sonnets of the Resistance, traduction Timothy Adès, Introduction Alistair Elliot (édition bilingue, Arc Publications, second edition, 2005).
7- Une vie pour la liberté, Jean Cassou (Robert Laffont, Paris, 1981).
Timothy Adès est un poète traducteur britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Robert Desnos, Jean Cassou, Guillaume Apollinaire, Georges Pérec, Gérard de Nerval, Louise Labé, également de Federico García Lorca, Alberto Arvelo Torrealba, Alfonso Reyes, de Bertold Brecht, Hermann Hesse, Heinrich Heine et d'Angelos Sikelianos.
Il a réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e. "Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les "Chantefables" et les "Rrose Sélavy" de Robert Desnos en anglais.
Membre de la Royal Society of Literature, administrateur de la revue "Agenda Poetry" (fondée en 1959 par Ezra Pound et William Cookson) et membre de son comité de rédaction. Lauréat entre autres des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.
Timothy Adès est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique "Tutti Frutti " (chroniques et rendez-vous culturels, poétiques, éco-gastrosophiques, pour « cueillir le jour » au sens du fameux carpe diem emprunté au poète latin Horace. Au gré des envies et des propositions des uns et des autres. Publiés généralement le week-end).
Derniers ouvrages parus : "Morgenstern's Magic", édition bilingue allemand/anglais des poèmes de Christian Morgenstern (1871-1914), 2024; "Alfonso Reyes, Miracle of Mexico" (Shearsman Books, 2019), édition bilingue espagnol/anglais; "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant" (Arc Publications, 2017), édition bilingue français/anglais, 527 pages, les poèmes de Desnos avec les versions de Timothy Adès.
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