· 

LA PLACE DES ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX DANS LA CAMPAGNE DES LEGISLATIVES 2024


Crédit Photo - Pierre Aït Hammouda

   

   C’est peu de dire que les enjeux du dérèglement climatique, de la préservation de la diversité de la vie (« biodiversité »), de la transition écologique, apparaissent globalement comme secondaires, voire très secondaires, dans les programmes des partis politiques qui se présentent aux élections législatives 2024.

 

Ce qui est assez paradoxal compte tenu de la situation et des voyants qui sont tous au rouge. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres a dû une fois de plus marteler au début du mois de juin la gravité de la crise climatique et l’urgence à agir de manière plus ambitieuse et plus constante : « Nous jouons à la roulette russe avec notre planète. Non seulement, nous sommes en danger, mais nous sommes le danger ».

 

Certains programmes sont cependant mieux-disants que d’autres. On ne peut pas dire que c’est le cas par exemple de celui du vainqueur aux élections européennes donné favori au scrutin des 30 juin  et 7 juillet. Il traduit son peu de conviction, pour ne pas dire son déni, dans l’urgence de la situation et des solutions possibles, son incrédulité dans la vulnérabilité de l’humanité et la fragilisation de la planète Terre, alors que les impacts sont visibles. Ce n’est pas que l’écologie soit absente de son bestiaire - l'extrême droite, très tôt dans son histoire en Europe, a bâti un récit politique autour des questions environnementales articulées sur des questions identitaires – mais le positionnement du RN vis-à-vis de l’environnement, au-delà de sa promotion du localisme et de la défense de la nature et des animaux, apparaît comme assez superficiel, même s’il a évolué depuis l’époque du  FN qui le réduisait à une affaire de « bobos ». Sa stratégie est « rassuriste », comme pour faire pendant à d’autres plus « catastrophistes ». Dénoncée hier dans Le Monde par le climatologue Christophe Cassou, elle surfe avant tout sur les tensions générées par la transition écologique en même temps que sur la défiance vis-à-vis de la science qui s’est développée depuis la Covid, pour tenter d’engranger des voix ici et là.

 

Sans doute qu’aussi, si ces thématiques ont été plutôt mises en sommeil, c’est qu’elles sont moins vues comme des arguments de vote, et plus comme des « repoussoirs » chez les électeurs.

 

C’était déjà le cas lors des élections européennes.

 

   L’autre paradoxe est, alors que tout ce que la Terre compte comme lanceurs d’alerte écologistes qui annoncent depuis au moins 50 ans ce qui est en train d’advenir, que l’écologie politique, du moins en France, singulièrement, connaisse une telle déconfiture et n’arrive toujours pas à convaincre.

 

   Tout ne s’explique pas par le climat politique et géopolitique actuels, on ne peut plus anxiogènes, avec une guerre aux portes de l’Europe qui s’ajoute aux dérélictions sociales, économiques et morales des populations.

Comme dit le député « sortant » (LFI-NUPES) François Ruffin, à propos de sa campagne dans la Somme pour sa réélection (sous la bannière « Nouveau front populaire »), confronté à la fois à la forte poussée du RN et au rejet du leader LFI Jean-Luc Mélenchon qui fait figure de « repoussoir » chez ses électeurs, « On a le vent de face… »


Comparatifs des programmes

 

RASSEMBLEMENT NATIONAL (RN)

 

Très peu de mesures liées à la cause environnementale. Le RN continue de s’opposer globalement à toute mesure jugée contraignante face au changement climatique. Il s’oppose aussi au déploiement des énergies intermittentes.

 

Stratégie énergétique :  relancer massivement les investissements dans le nucléaire, construire 20 nouveaux réacteurs et prolonger la durée de vie de ceux qui existent à 60 ans ; moratoire sur les parcs éoliens et solaires : Supprimer les subventions aux éoliennes, arrêter les projets éoliens et démanteler progressivement les parcs existants (comme Reconquête).

Pacte vert européen : Contre

Emissions de gaz à effet de serre :

Transports :  Revenir sur l’interdiction de la vente des voitures neuves à moteur thermique, fixée à 2035 en Europe ; supprimer les zones à faibles émissions dans les métropoles.

Maîtrise et économie d’énergie : assouplir, voire faire disparaître les obligations de rénovation énergétique des bâtiments ainsi que le diagnostic de performance énergétique qui deviendrait juste « consultatif », réautoriser la mise en location des logements énergivores que la loi sort progressivement du marché, depuis 2023 et jusqu’en 2034.

Grands travaux :

Substances chimiques perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS), appelées « polluants éternels » (en raison de leur persistance dans l’environnement) :

Pesticides : Mettre fin à la stratégie européenne de réduction

Gestion de l’eau :

Pouvoir d’achat (en matière de factures énergétiques) : annuler la hausse de 12 % du prix du gaz prévue pour le 1er juillet 2024. Réduire la TVA de 20 à 5,5 % sur le gaz, l’électricité, le fioul et les carburants ; sortir des mécanismes de fixation des prix du marché européen de l’électricité pour établir un prix français de l’énergie basé uniquement sur la production nationale. Le RN estime que cela pourrait réduire de 30 à 40 % la facture d’électricité des Français. Cependant, cette proposition est critiquée par la plupart des experts, car elle priverait la France de la possibilité de vendre son excédent d’électricité aux pays voisins et d’importer de l’électricité, comme cela a été nécessaire pendant la récente crise énergétique.

Eco-conditionnalités :

Politique d’accueil de réfugiés climatiques :

 

Nouveau Front populaire

 

Le vote d’une loi énergie climat est prévu dans les cent premiers jours, afin de « jeter les bases de la planification écologique ».

 

Stratégie énergétique : Peu explicite sur le nucléaire, le NFP  n’envisage a priori pas de « sortie » du nucléaire et veut favoriser un mix énergétique incluant nucléaire et énergies renouvelables. Et entend développer l’éolien en mer et les énergies hydroliennes :  « faire de la France le leader européen des énergies marines avec l’éolien en mer et le développement des énergies hydroliennes ». Par ailleurs, revenir sur la fusion entre l'Agence de sûreté nucléaire (ASN) et l'Institut de recherche sur la sûreté nucléaire (IRSN), prévue au 1er janvier 2025 ; refuser la privatisation des barrages hydroélectriques.

Pacte vert européen : OK

Emissions de gaz à effet de serre : viser la neutralité carbone en 2050

Transports : le fret ferroviaire (comme la rénovation des bâtiments et les énergies renouvelables) est présenté comme une priorité.

Maîtrise et économie d’énergie : s’agissant des « passoires thermiques », renforcer les aides à l’isolation des logements pour tous les ménages et garantir la prise en charge des travaux pour les plus modestes.

Grands travaux :  Mettre en place un moratoire sur les grands projets d’infrastructures autoroutières.

Substances chimiques perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS), appelées « polluants éternels » (en raison de leur persistance dans l’environnement) : interdire tous les PFAS pour toutes les utilisations, notamment les ustensiles de cuisine.

Pesticides : rétablir le plan Ecophyto, interdire le glyphosate et les néonicotinoïdes et soutenir la filière du bio et l’agroécologie.

Gestion de l’eau :  instaurer un moratoire sur les « méga-bassines » et gérer 100 % de l’eau en régies locales publiques. Améliorer la qualité de tous les cours d’eau et faire contribuer les industriels à la dépollution des nappes et des sols. Doubler le nombre d'aires maritimes protégées.

Pouvoir d’achat (en matière de factures énergétiques) : annuler la hausse de 12 % du prix du gaz prévue pour le 1er juillet 2024 ; annuler la hausse de 9,5 % des tarifs réglementés de l’électricité entrée en vigueur le 1er février 2024 ; instaurer la gratuité des premiers kWh de la facture d’énergie (la quantité d’énergie jugée vitale n’a pas encore été déterminée). 

Eco-conditionnalités : s’agissant des subventions aux entreprises, appliquer le principe d’écoconditonnalité (issu d’un décret de 2014), et conditionner les aides aux entreprises au respect de critères environnementaux, sociaux et de lutte contre les discriminations au sein de l’entreprise. Exiger le remboursement des aides en cas de non-respect des contreparties.

Politique d’accueil de réfugiés climatiques : créer un statut de « déplacé climatique ».

 

 

RENAISSANCE (Ensemble)

 

Ensemble s’appuie essentiellement sur les acquis de la majorité sortante présidentielle, et de ce fait apparaît comme peu disert.

 

Stratégie énergétique : favoriser un mix énergétique incluant nucléaire et énergies renouvelables. Miser sur le nucléaire avec six nouveaux petits réacteurs (déjà prévus), et peut-être encore huit supplémentaires.

Pacte vert européen : OK

Emissions de gaz à effet de serre :  Poursuivre une baisse annuelle de 6 % des émissions de gaz à effet de serre, afin d’atteindre une diminution de 55 % d’ici à 2030 par rapport à 1990.

Transports :  Proposer 100 000 véhicules électriques par an en leasing social à 100 euros par mois maximum.

Maîtrise et économie d’énergie : s’agissant des passoires thermiques, créer un fonds pour aider les classes moyennes à rénover leur logement (avec un objectif de 300 000 rénovations d’ici à 2027). Rénover la totalité des logements Crous. Il serait envisagé de taxer les rachats d’actions afin de financer un “fonds de rénovation énergétique” destiné aux classes moyennes et populaires. Ce fonds permettrait de rénover 300 000 logements supplémentaires d’ici 2027.

Grands travaux :

Substances chimiques perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS), appelées « polluants éternels » (en raison de leur persistance dans l’environnement) :

Pesticides :  Réduire les risques liés à l’usage des pesticides de 50 % d’ici à 2030, sur la base d'un indicateur gouvernemental.

Gestion de l’eau : pour ce qui est de la mer, Valérie Hayer avait évoqué lors de la campagne pour les élections européennes un « pacte bleu » pour les mers et les océans et l’objectif du zéro énergie fossile d’ici à 2050 « grâce au développement du nucléaire et des renouvelables. 

Pouvoir d’achat (en matière de factures énergétiques) : une réduction de 10 à 15 % du tarif réglementé de vente de l’électricité en février 2025 ; des économies de l’ordre de 200 € sur la facture des Français pour le prochain hiver. 

Eco-conditionnalités :

Politique d’accueil de réfugiés climatiques :

 

LES RÉPUBLICAINS (LR)

 

Le programme des LR est assez maigre sur le sujet, azimuté qu'il est sans doute par son résultat aux Européennes et l'initiative de son pt Ciotti en faveur d'un rapprochement avec le RN qui a provoqué l'explosion du parti.

 

Stratégie énergétique  : Continuer de développer la filière nucléaire, stopper et définancer les constructions d’éoliennes; arrêter de subventionner les énergies renouvelables. Relancer les centrales à charbon et à gaz.

Pacte vert européen : pas de remise en cause de l’objectif final de neutralité carbone à l’horizon 2050 mais instauration d’un “principe de liberté technologique” pour y parvenir, comme annoncé pendant les Européennes.. LR défendait par ailleurs un “grand programme de construction de centrales nucléaires” dans l’UE ainsi que la promotion de la filière hydrogène.

Emissions de gaz à effet de serre : 

Transports : LR pendant les Européennes a annoncé vouloir revenir sur l’interdiction de la vente de voitures thermiques neuves, prévue pour 2035.

Maîtrise et économie d’énergie : s’agissant des passoires thermiques, réautoriser la mise en location des logements énergivores que la loi sort progressivement du marché, depuis 2023 et jusqu’en 2034.

Grands travaux :

Substances chimiques perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS), appelées « polluants éternels » (en raison de leur persistance dans l’environnement) :

Pesticides :

Gestion de l’eau :

Pouvoir d’achat (en matière de factures énergétiques) :

Eco-conditionnalités :

Politique d’accueil de réfugiés climatiques : 

Écrire commentaire

Commentaires: 1
  • #1

    Dominique LEVEQUE (jeudi, 27 juin 2024 14:36)

    Comment ne pas voir que nous sommes au point d’acmé des effets du confusionnisme idéologique tous azimuts à l’œuvre depuis 2008 et de la décomposition politique qui a suivi et que, oui, nous ne sommes pas à l’abri d’un moment national-populiste, pour ne pas dire post-fasciste ?
    Car nous y sommes : pourquoi les Français feraient-ils confiance à des hommes et des femmes politiques qui ont tant de mal à exposer leur conception de la société et de l’individu ? Pourquoi accorderaient-ils leur confiance à ceux dont la vie politique semble de réduire à des renoncements, des reniements, des atermoiements, des louvoiements, des retournements, quand ce n'est pas des coups de gueule, des acrimonies et des coups menton ? Beaucoup de Français lors du vote des scrutins des 30 juin et 7 août ne considéreront même pas les enjeux environnementaux. Peut-on le leur reprocher quand on voit que les politiques eux-mêmes ont fait le choix de les évoquer mezza voce, et pendant la campagne des Européennes, et pendant celle en cours des législatives ? Peut-on juste en appeler à la Raison, sur cet enjeu comme sur les autres ? Il est à craindre que leur vote ne réponde pas à la raison, fut-elle la leur, mais à la pulsion, brute. Un vote primal. Faut pas croire que le peuple, qui n’est pas plus populiste que Marx était marxiste, Groucho grouchiste ou Dieu pratiquant, soit exclusivement déterminé par ses intérêts. Comme les individus, et peut-être par moments plus souvent qu’eux, il peut se laisser dominer par des passions tristes, pas forcément bonnes conseillères. La faute à qui ? « Autrement dit, à la suite d'un accès de lucidité d'Ariane Mnouchkine qui pensait sans doute à une responsabilité collective, mais aussi de mondes de la société, comme celui de la culture notamment : "Qu’est-ce qu’on n’a pas fait ? Ou fait que nous n’aurions pas dû faire ?"